Affaire dramatique jugée devant le Tribunal de police. Cette mère prise dans l’enfer de la drogue, laissant aller son appartement à vau-l’eau, ne nourrissant plus correctement ses enfants, inspire beaucoup de tristesse pour la souffrance et la désagrégation de soi portées à un point où le sens élémentaire des responsabilités n’existe plus.
La Tribune, sous la plume de Catherine Focas, relate cette situation.
«C’est l’histoire d’une fillette de 10 ans et de son frère de 4 ans qui vivaient depuis des années dans un appartement sans électricité, insalubre (un «foutoir» selon les témoins) où l’on trouvait en vrac de la nourriture avariée, des excréments de chien, du linge et de la vaisselle sales, des débris de verre, de porcelaine et de mobilier cassés. Sur la table basse, des résidus de cocaïne, des seringues partout. «Je n’arrive pas à trouver les mots», dit l’inspecteur. A la vue du petit garçon, le visage sale, vêtu comme un mendiant, il est bouleversé: «J’ai un fils du même âge.»
Ces enfants-là n’avaient pas d’habits propres, ne se lavaient pas (la salle de bains était le plus souvent occupée par leur mère qui se shootait), ne mangeaient pas à leur faim, dormaient rarement à des heures normales car maman et son compagnon du moment organisaient des fêtes avec leurs copains toxicomanes.»
Loin de moi l’idée de porter un jugement sur un couple parti à la dérive. On ne sait ce qui a un moment fait chuter l’individu dans l’abîme ni pourquoi il y reste. Par contre, on a une nouvelle fois la démonstration des carences des services de la protection des mineurs (SMPI).
La situation durait depuis plus d’un an. Des voisins avaient alerté le SMPI, sans effet. Il a fallu qu’à fin août 2007 ce soit le service vétérinaire qui intervienne car les chiens dépérissaient. Sur place il a appelé la police. Un inspecteur a témoigné:
«A Genève, on va plus vite lorsqu’il s’agit de chiens que lorsqu’il s’agit d’enfants.
«La personne qui est intervenue pour les chiens m’a demandé si je connaissais la situation des gamins et m’a montré des photos de l’appartement, poursuit l’inspecteur. Je suis tombé des nues. Je me suis fortement étonné que la clause péril n’ait pas encore été prononcée et qu’on laisse ces enfants un jour de plus dans cette situation.»
L’assistant social lui rétorque qu’on ne va pas lui apprendre son métier. L’inspecteur a alors des mots très forts: «Dans cette affaire, il y a une cascade de négligences à tous les niveaux. C’est effrayant! Je suis surpris de voir qu’il n’y a que deux personnes accusées devant ce Tribunal de police.»
Je dirais à cet inspecteur qu’à Genève certains représentants de l’autorité ont raison, forcément raison, toujours raison, qu’ils est exclus de se remettre en question. S’il l’assistant social n’est pas intervenu malgré les alertes (en 2007, les gendarmes de Carouge ont rédigé deux rapports sur ce cas; acheminés au SPMI, les documents sont restés sans suite), s’il a fallut 12 jours après la visite de cet inspecteur dans l’appartement pour invoquer enfin la clause de péril, c’est qu’il considérait que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Ainsi soit-il.
Commentaires
Je crois que cet inspecteur ne le sait que trop bien. Ce que j'aime beaucoup en revanche c'est que l'enquête administrative à pousser le FONCTIONNAIRE du SPMI à la pré-retraite, y a pire comme tappe sur les doigts !!!!!
Vraiment lamentable mais une fois de plus au moins, on voit que nos flics font leur travail et bien !
Mauvaise coordination entre les services de l'Etat (école, services sociaux, régie immobilière (lors des fêtes organisées), protection de la jeunesse), mise en garde non jugée urgente, pas de suivi du dossier, bref un des maillons n'a pas fonctionné. Il serait utile de répertorier dans les services sociaux, les catégories à haut risque comme les toxicomanes et regarder de plus près les conditions de vie et d'hygiène et de prendre le plus rapidement des décisions d'éloignement et de protection des mineurs s'il le faut.
Le durcissement constant de nos sociétés de consommation (stress, chômage, précarisation, disparités, isolement, perte de repères et de valeurs, etc.) ne peut engendrer que du profit pour quelques uns et du désespoir et de la violence pour tous les autres.
Tant que des réformes politiques de fond n'auront pas été entreprises dans le sens d'une société moins discriminatoire et mercantile, plus équitable et soucieuse de TOUS ses représentants - de leur bien-être matériel mais aussi de leur épanouissement intellectuel et psychologique - nous ne sommes pas près de voir cesser les horreurs qui remplissent les colonnes de faits divers.
Il est temps d'analyser ce qui nous arrive à échelle globale et d'en faire la synthèse, pour pouvoir prendre les devants du monde et d'arrêter de lui courir après.
@ HL Ceci me renvoie à votre formidable initiative VRACS D'IDEES, qui malheureusement ne rencontre que peu de succès. Peut-être devriez-vous le mettre davantage en valeur, ou rappeler son existence dans chacun de vos billets?
@ Un passant: je partage ce point de vue que sur bien des sujets nous courons après le monde, à tenter de colmater une fuite de vapeur dans la cheminée alors que la salle des machines prend l'eau.
Pour le VRAC D'IDEE, je ne voulais pas paraître trop l'imposer, mais je vais relancer pendant une bonne période pour lui donner des chances de prendre. Bonne suggestion de le rappeler et de mettre le lien dans chaque billet, merci pour l'idée.
Le SMPI Pfffffff Plutôt la protection de leur salaire. Ils ne sont là que pour attendre leur fin de mois. Pour le reste ils n'ont que de "la merde dans les yeux", c'est plus commode!
Et vous trouvez des circonstances atténuantes à ces gens? Pas moi! La petite n'allait pas à l'école? Les voisins auraient dû et pu se mobiliser un peu plus! Marre de tant d'individualisme, d'incompétence. On se mobilise plus pour les voyous et consort que pour la misère qui sévit à Genève. Le laxisme des Tribunaux faisant le reste!
Le mot de CAMBRONE n'est pas de trop!
Le procès de qui?
- d'un système de valeurs qui nie l'existence de normes objectives et qui proclame que toutes les valeurs se valent,
- d'une société qui encourage l'individu à se comporter comme un être immature et irresponsable et à ne courir qu'après son petit plaisir du moment.
On peut tous jouer les indignés contre telle mère indigne, tels voisins peu intéressés, telle régie inconséquente, tels services incompétents. Nous nous abreuvons tous aux mêmes valeurs. Nous avons tous les pieds dans la même fange. Nul d'entre nous n'est à l'abri que cette femme soit sa soeur, sa fille, son ex. L'appartement de cette pauvre femme n'est que l'allégorie de notre société.
Protection ? quelle protection ?? Je me souviens avoir reçu, lors de mon divorce une personne qui entrant dans un appartement plutôt joli et une chambre d'enfant très bien arrangée, a cru bon soulever le couvre-lit pour regarder l'épaisseur du matelas! C'était il y a bien longtemps d'accord, mais j'avais été choquée et je pensais, pour me calmer, que finalement elle faisait son travail. Oui quand il y a rien, on contrôle histoire de justifier son salaire, mais là pauvres gosses. Quant à la sanction de pré-retraite, on rêve; c'est encore une très bonne utilisation des deniers publics. Pourquoi ne pas le juger et lui infliger des jours de travail d'utilité publique, bien loin des enfants et de leur protection!
Aah, il y en a qui utilisent chaque occasion pour se lamenter sur l'"état de notre société".
"d'une société qui encourage l'individu à se comporter comme un être immature et irresponsable"
C'est qui, cette société ? C'est nous tous ? Dois-je culpabiliser ? Je refuse catégoriquement !
Dans le cas précis il s'agit d'un déraillement d'un ou plusieurs individus, mais nous ne connaissons pas les causes profondes. En aucun cas c'est la faute de la "société", c'est une accusation qui n'apporte aucun espoir de solution parce qu'elle "arrose" tout le monde sans montrer du doigt les vrais origines.
Il faudra tout simplement accepter le fait que dans un monde de plus de 6 milliards d'individus, ce genre de déraillement ne peut pas être prévu ni évité par la "société" (c.à d. les 5 milliards 9999 millions ... d'individus restants).
Ce qui est condamnable dans le cas, c'est que les institutions que la "société" a mis en place pour intervenir dans ce genre de drames se cachent derrière des formulaires, règlements et autres excuses au lieu d'agir en urgence avec un maximum d'humanité.
"Le durcissement constant de nos sociétés de consommation (stress, chômage, précarisation, disparités, isolement, perte de repères et de valeurs, etc.) ne peut engendrer que du profit pour quelques uns et du désespoir et de la violence pour tous les autres."
Est-ce que le couple en question souffrait de tout ça? Quel rapport avec les évènements ci-dessus?
Vous avez un champ de vision bien court et étroit.
- Société de consommation? Tiens, j'imagine que vous écrivez vos commentaires sur un bout de papier parce que vous ne possédez pas de PC, histoire de ne pas céder à cet insupportable appel à la consommation.
- Stress, chômage, précarisation? Pipi de chat par rapport à la situation pendant et avant la 2ème guerre mondiale. Je me souviens des récits de mes parents...
- Disparités? En quoi? Egalité absolue pour tout le meonde, même pour ceux qui n'en veulent pas?
- Pertes de valeurs? Avant de perdre des valeurs, il faut en avoir. Est-ce que on doit adopter "vos" valeurs pour être accepté par "votre" société?
@benpal:
Vous écrivez: "nous ne connaissons pas les causes profondes". Je pense au contraire qu'on connaît les causes profondes, mais qu'on préfère faire semblant de croire que nous avons la situation en mains. Tout l'édifice social vacille, et on essaie de le maintenir en place par mille béquilles (nouvelles lois, nouvelles prérogatives de l'Etat, nouvelles autorités). Quand un problème apparaît, on préfère croire que seule la béquille est cassée, et on va remplacer la béquille cassée par une nouvelle béquille plus solide, ou par deux béquilles. On n'accepte pas de voir que le problème, ce n'est pas la béquille cassée, mais le fait que l'on ait besoin de toutes ces béquilles.
Une fleur tient toute seule parce que ses cellules, bien vivantes, sont en état de turgescence. Notre société est une fleur fannée autour de laquelle on tresse un fil de fer pour qu'elle continue de se tenir droite. Au début, un petit fil très fin suffisait, mais aujourd'hui le fil devient de plus en plus épais.
Il y a dans notre société un problème que le théologien suisse Hans Urs von Balthasar avait vu juste: "l'Etat post-chrétien sera encore porté un temps par la religiosité et l'éthique de ses citoyens chrétiens; mais que la force de ceux-ci faiblisse et l'institution étatique, dont la société a besoin pour ne pas sombrer dans l'anarchie, se muera en une carapace qui ne laissera à l'individu aucun espace pour respirer."
@ benpal
"Un champ de vision court et étroit" alors que je m'interroge au-delà du drame individuel? Alors que j'évoque une société mercantile et consumériste lancée à grande vitesse qui ne peut engendrer que du profit pour quelques uns et de la souffrance pour le plus grand nombre? Donc des drames comme celui évoqué plus haut?
Un déraillement? Ce ne sont là que des déraillements isolés et indépendants les uns des autres, tous ces drames épouvantables? Infanticides, suicides, torture en réunion, viols collectifs, etc. Ils ne révèlent rien d'autres que ce qu'ils sont, et l'on doit les évaluer indépendamment de l'évolution commune et de ses valeurs intrinsèques, à savoir ladite "société"?
La société c'est nous, certes, mais c'est avant tout ceux qui nous régentent et qui ont le pouvoir d'influer sur son cours directement et à grande échelle. C'est à ceux-là que revient en premier lieu la responsabilité du meilleur comme du pire. Sur ce point, je ne me sens pas plus responsable que vous.
Pas de disparités dans nos sociétés, égalité absolue? Là vous faites fort! Je n'ai même pas envie d'y répondre.
Enfin, les valeurs que je considère universelles, comme le respect de soi et de l'autre, par exemple, de surcroît le respect de ses propres enfants et la conscience du devoir envers eux... ma foi, si cet argument ne peut être émis sans s'exposer au procès d'intention, alors je crois que nous n'avons rien pour nous entendre.
Une dernière chose sur la consommation: travailler sur un ordinateur ne fait pas de moi un consumériste chevronné (si j'avais un ordinateur dans chaque pièce, on pourrait y réfléchir).
A ce jour, nos sociétés de consommation génèrent en premier lieu du gaspillage et du déchet. On consomme, on jette et on recommence.
Peut-être en va-t-il désormais ainsi pour l'être humain...
C'est grave ces gens qui viennent prêcher la bonne parole.... c'est d'un niais de penser que la société d'aujourd'hui est la cause des excès de certains individus!!!
De tous temps la société a eu ses failles! Et la religion Lord Acton n'a pas apporté grand chose si ce n'est de l'hypocrisie, des meutres perpétrés au nom de Dieu, du lavage de cerveau et en somme de la crasse bêtise!!!
Chacun est responsable de ses actes! Blâmer la société est complètement à côté de la plaque...
@un passant:
Je suis d'accord avec vous, sauf sur un point: le salut ne viendra pas des autorités (dont le rôle ne peut être que de construire de nouvelles béquilles). La seule chose que nous puissions faire, c'est essayer de faire changer les mentalités, chacun dans son entourage.
@Boo:
Allons, allons... si je suis pareillement à côté de la plaque, ridicule, et niais, pourquoi vous fâchez-vous comme ça, avec tous ces points d'exclamation? Faites donc preuve de la haute rationalité dont vous vous réclamez, face à moi, apôtre de la superstition et de l'ignorance. Je ne voudrais pas vous vexer, Boo, mais pour l'instant, après avoir lu la liste de tous les maux que vous attribuez à la religion, je me demande juste quelle est la vôtre - vous en tenez une solide, de religion.
@ Lord Acton.... je fais partie de ceux qui n'ont pas besoin d'un livre pour enfants et de croyances imaginaires pour avoir des valeurs morales et un sens de l'éthique...
Les points d'exclamations n'étaient pas dans le but d'agresser mais plutôt de montrer mon imcompréhension!! mais enfin...
La religion est une des principale cause des diverses guerres ! De plus, en lisant la Bible, on y découvre des choses étranges. Par exemple dans Exo 35:2 "On travaillera six jours, mais le septième jour sera pour vous une chose sainte, c'est le sabbat, le jour du repos consacré à l'Eternel. Celui qui fera quelque ouvrage ce jour.là sera puni de mort !" Alors qui commence a éliminer les divers employés qui travaillent le dimanche ? ? Autre exemple :Lév. 25:44 "C'est des nations qui vous entourent que tu prendras ton esclave et ta servante qui t'appartiendront, c'est d'elles que vous achèterez l'exclave et la servante" ! Serait-ce en France voisine ?
Pour ma part, nulle autre croyance que celle en l'Homme, mon athéisme est consommé.
J'ai hâte qu'on appréhende un jour la Bible et le Coran comme on appréhende aujourd'hui les mythes grecs, avec intérêt, recul et sans passion. Ce sont de merveilleuses légendes, allégoriques et philosophiques, parmi les plus sublimes de la littérature, mais qui ne doivent en aucun cas nous dicter notre mode de vie, et encore moins servir de prétexte à la domination et aux carnages.
Je crois en la science sous toutes ses formes, en la philosophie et en la politique, mais pas telle qu'elle se pratique aujourd'hui. Il serait bon que nos dirigeants - tous camps confondus - reviennent parfois aux sources pour retrouver une forme d'idéal et de noblesse.
Voici un extrait de Ethique à Nicomaque de Aristote (livre I, théorie du bien et du bonheur)
"Un premier point qui peut sembler évident, c'est que le bien relève de la science souveraine, de la science la plus fondamentale entre toutes. Et celle-là, c'est précisément la science politique.
C'est elle en effet qui détermine quelles sont les sciences fondamentales aux Etats, quelles sont celles que les citoyens doivent apprendre, et dans quelles mesure il faut qu'il les possèdent. (...)
Comme c'est elle qui emploie toutes les autres sciences pratiques, et qui prescrit en outre au nom de la loi ce qu'il faut faire et ce dont il faut s'abstenir, on pourrait dire que son but embrasse les buts divers de toutes les autres sciences; et par conséquent, le but de la politique serait le bien, le bien suprême de l'homme."
Peut-être faudrait il que ces paroles soient affichées dans tous les locaux de l'Etat.
@un passant:
Vous citez Aristote qui écrit: "Un premier point qui peut sembler évident, c'est que le bien relève de la science souveraine, de la science la plus fondamentale entre toutes. Et celle-là, c'est précisément la science politique.
C'est elle en effet qui détermine quelles sont les sciences fondamentales aux Etats, quelles sont celles que les citoyens doivent apprendre, et dans quelles mesure il faut qu'il les possèdent."
Est-ce que vous vous rendez compte que vous n'auriez pas pu, sur cette base-là, condamner qui que ce soit à Nuremberg, car chaque accusé avait fait très exactement son devoir, ce qui selon la doctrine - athée (je ne me priverai pas de le souligner) - de l'Etat était nécessaire au bien. Mais vous ne direz pas pour autant que le nationalisme-socialisme était bien. Le communisme était lui aussi basé sur une solide science de l'Etat, et orienté vers le bien - pensez! son but était de créer le paradis sur terre.
Si vous voulez dire que les religions sont causes de guerres, ne perdez pas de vue que l'athéisme a été l'une des religions les plus efficaces en termes de massacres.
@ Lord Acton
Certes, les exemples de folie dévastatrice ne manque pas dans l'histoire de notre évolution, et hélas, ils n'ont pas camp défini. Ce serait trop simple.
Mais au-delà des tyrans mégalomanes et sanguinaires, j'ai envie de vous posez une question:
Qu'est-ce qui fait que l'individu tend soit vers le religieux, soit vers l'athéisme, et qu'il pense dans un cas comme dans l'autre, pouvoir y trouver des solutions?
Que pensez-vous encore de cette réflexion que j'avance sans certitude mais avec conviction:
"La science cherche à comprendre le monde, la religion cherche à lui donner un sens".
Une complémentarité est-elle envisageable? Ces deux vision du monde peuvent-elles cohabiter, ou l'une doit-elle forcément prendre l'ascendant sur l'autre?
PS: "La quête inachevée" de Popper est épuisé en librairie, et une seule bibliothèque le possède à Genève. Un exemplaire pour 400 000 habitants! Cela me conforte dans l'idée que le livre doit être lu et j'irai m'en saisir dès que j'aurai deux minutes à moi.
@un passant:
Ce qui est complémentaire, c'est la foi et la raison. La religion et l'athéisme ne peuvent pas être complémentaires, car l'athéisme est une religion. Croire que Dieu n'existe pas n'est pas une attitude plus scientifique que croire que Dieu existe - les deux affirmations prennent place dans l'espace métaphysique, qui est l'espace dans lequel aucune théorie scientifique n'est possible. D'ailleurs, vous serez sans doute d'accord avec moi si je dis que l'athéisme ne se limite pas à chercher à comprendre le monde, mais qu'il cherche à lui donner un sens. L'athéisme a placé au sommet de son panthéon des idoles qui se succèdent, et auxquelles les sociétés athées sacrifient des innocents: nationalisme, idole régnante des années 1848-2950; individualisme, pricipale idole en exercice (1950-...); environnementalisme, idole naissante (1990-...) avec un grand prêtre comme Al Gore (propriétaire de nombreuses voitures, qui sillonne la planète en jet) - ah, quel magnifique faux prophète il fait! Ah, si l'on critiquait Al Gore sur la base des critères que l'on utilise pour critiquer tel ou tel pape hypocrite du XVIème siècle... bientôt, on fera des guerres pour arraisonner les pays qui polluent trop (qui se souviendra alors qu'Al Gore est prix nobel de la paix?).
La raison pour laquelle l'immense majorité des hommes prennent position sur la question de l'existence de Dieu (même à notre époque) est qu'à mon avis chaque personne entend un appel métaphysique et essaie d'identifier l'auteur de cet appel. Soit on accepte cet appel, soit on essaie de l'ignorer (mais l'appel est persistant). La raison pour laquelle des discussions sur l'existence de Dieu tournent souvent mal, avec des interlocuteurs qui se crispent, est que chacun, même les athées, perçoit l'importance de la question - de telles crispations ne se produisent jamais entre quelqu'un qui croit à l'astrologie et quelqu'un qui n'y croit pas (parce que celui qui dit ne pas croire à l'astrologie s'en fout complètement - alors que celui qui dit ne pas croire en Dieu ne s'en fout pas complètement). Au fin fond de notre nature humaine, il y a quelque chose de spirituel dont on ne peut pas se débarrasser.
L'immense majorité de mes amis se disent athées. En fait, il ne sont pas vraiment athées. Ils essaient d'accommoder l'appel métaphysique qu'ils entendent avec l'individualisme ambiant et je me rends compte que ce qu'ils essaient surtout de fuir, c'est l'idée qu'une tradition antérieure à eux puisse leur "imposer" quelque chose, ou l'idée que le pape (qui critique leur mode de vie) doive représenter quelque chose pour eux. De telles attitudes sont regrettables - car enfin notre époque est prompte à admirer la tradition du bouddhisme (p.ex.) ou de sagesses immémoriales, mais elle a beaucoup de mépris pour la tradition de l'Eglise catholique qui est tout de même quelque chose d'assez extraordinaire dans l'histoire de l'humanité - des centaines, des milliers de penseurs souvent brillants se sont posé des questions qui nous regardent nous aussi, pendant 2000 ans et ce n'est pas fini. Je constate souvent de l'immaturité (proche de la crise d'adolescence) dans cette espèce de refus épidermique. Cela n'engage pas à grand chose de lire St Augustin, ou St Thomas d'Aquin, et tant d'autres, qui étaient des intellectuels de tout premier ordre. La cosmologie de St Thomas d'Aquin est plus conforme à l'état actuel de la science que ne l'est celle des physiciens du XIXème siècle! Il y a eu un problème dans le développement mental récent de notre civilisation.
Erratum:
"nationalisme, idole régnante des années 1848-1950"
@ Lord Acton
Très belle réponse à laquelle j'adhère globalement, à la différence près que je ne me considère pas en état de refus épidermique. J'ai lu de grands pans de la bible, St Thomas d'Aquin également (pour un travail sur les péchés capitaux). On peut reconnaître la grandeur et l'intelligence parfois scientifique de ceux qui ont constitué la religion, idem pour Calvin, sans pour autant adhérer à leur croyance.
Pour ma part, je ne me dispense pas du spirituel et du sacré, deux notions que je raccroche effectivement à la métaphysique, et non à Dieu.
Si je devais adhérer à une religion, elle relèverait plutôt du panthéisme, mais en aucun cas d'une religion qui me met en position de brebis égarée en attente de son berger.
Enfin, l'un de mes mentors, un homme éminent décédé aujoud'hui, m'a toujours recommandé de me déclarer agnostique afin d'éviter d'avoir à me justifier. Mais la justification verbale peut étayer la conviction, je crois que nous sommes d'accord sur ce point.
@ HL
Mais on s'écarte du sujet initial et j'espère que vous ne nous tiendrez pas rigueur de cette petite digression.
@ un passant:
Pas de soucis. Les digressions font partie du jeu. J'étais trop occupé ces jours pour alimenter.
Je partage ce point de vue: "... en aucun cas d'une religion qui me met en position de brebis égarée en attente de son berger.". Les religions sont à l'image des humains: ambivalentes. Je n'ai pas besoin d'une autorité temporelle, fût-elle religieuse, pour savoir que je n'ai pas toute science et toute compréhension de l'univers et de ma propre vie, ni tout pouvoir sur moi ou sur le monde.
Je ne nie pas que les religions ont contribué à ancrer des valeurs dans l'humanité. Je constate aussi que les religions révélées sont intrinsèquement porteuses de domination et de souffrances, par le fait que la notion de révélation atomise toute critique et tout écart. La révélation ne peut être discutée. Ces religions, avec leurs bons côtés, portent aussi l'intolérance, l'exclusion, la guerre, la mort. Il fallait donc - et il faut encore - les combattre pour réduire leur pouvoir de nuisance et leur totalitarisme fondamental. Le recul de l'emprise de ces religions ne s'est fait que dans le sang, et peut il en être autrement dès lors que tout écart du dogme est un blasphème puni de mort?
Sur la notion de spiritualité, il faut d'abord être sûrs que chacun donne le même sens à ce mot. Pour ma part, je peux l'accepter dans une perspective philosophique, éthique et métaphysique, mais pas dans un sens théologique. Puisque "Dieu" est supposé être l'origine, l'unité et la finalité de la création, pourquoi donc y a-t-il plusieurs religions (supposées "relier" et non diviser) qui toute prétendent avoir la vérité et qui pourtant sont en concurrence?
La notion de divin que je prends en compte est celle d'unité fondamentale de la création. Peut-être les physiciens nous proposeront-ils un jour une démonstration scientifique de cette unité. Ils ont déjà montré que le monde, dans son extrême multiplicité, n'est fait que d'une poignées de particules. Peut-être plus loin pourront-ils faire la preuve d'une particule initiale, "souche", ou d'un champs quantique unifié bien que différencié.
Cela signifiera clairement que nous sommes tous un, et que tout ce que nous faisons à autrui c'est aussi à nous et à ceux que nous aimons que nous le faisons.
L'éthique pourra être débarrassée de la croyance et des peurs qui y sont nécessairement associées (la peur est un fond de commerce des religions révélées).
Sur la question des nouvelles formes de religions dont vous parlez, Lord Acton, je ne suis pas d'accord avec vous. Le nationalisme, l'individualisme, l'environnementalisme ne sont pas assimilables à des religions. Ce sont des convictions, qui changent selon les époques, et que les humains portent en avant jusqu'à ce qu'elles soient démontrées inefficaces ou relatives.
Mais on peut observer que certains humains mettent dans ces convictions une forme de foi proche de la foi religieuse.
La foi, pour moi, ne saurait se perdre dans les sables d'un dieu hypothétique. Elle devrait s'investir dans l'humain. On sait qu'il est loin d'en être toujours digne, mais au moins on sait à quoi on a à faire:
l'humain est génial, créatif, intelligent, capable de bon et de bien, d'amour, de partage, de compassion, d'empathie, de solidarité, de beau;
et il est aussi capable de crimes, de mensonge, de faire du mal sans raison, de domination, de haine.
Tandis qu'avec Dieu, on ne sait pas à quoi on a à faire, à part les démonstrations guerrières relatées dans les textes en son nom, ou les miracles que personne n'a jamais pu vérifier.
@ HL
Il est d'autant plus opportun de rappeler ici que les trois religions qui ensanglantent le monde depuis 25 siècles et aujourd'hui encore, relèvent toutes d'un seul et même Dieu unique, que celui-ci soit nommé YHWH, Jéhovah ou Allah.
Une seule et unique pyramide féodale qui génèrent inlassablement des massacres que l'on peut - par conséquent - qualifier de fratricides. Et tout ce sang au nom de la paix et de l'amour... un paradoxe qui confine à l'absurde et qui ne tolère aucune justification, même au travers des rhétoriques les plus habiles.
En revanche, contrairement à vous, je ne pense pas qu'il faille combattre les religions. C'est l'intégrisme qu'il faut combattre. Nul ne devrait être contraint de croire ou de ne pas croire. C'est le droit de chacun de s'en remettre à sa croyance la plus profonde, du moment que cette croyance - ou incroyance - ne tend pas vers le prosélytisme et la domination.
Erratum: " qui ensanglantent le monde depuis 21 siècles "…
J'étais remonté jusqu'aux Grecs, ciel, eux que j'admire tant! Mais qui ont aussi leur lot de massacres, hélas...
@ Lord Acton
Petite précision sur une formule qui m'avait échappée: On peut qualifier l'athéisme de bien des façons, mais certainement pas de "religion". C'est son exact antonyme. Même si je comprends la provocation voulue dans cette formule, elle n'en est pas moins fausse.
@hommelibre:
Je ne vais pas trop insister car je sais qu'il y a là une zone de fracture évidente dans nos manières de penser... Fracture pas si grave que ça finalement car j'apprécie beaucoup vos billets, comme j'apprécie aussi les posts d'un passant (et d'autres encore)... Cela dit, Dieu a toujours existé dans ma vie, et je ne l'ai jamais perçu comme oppressant, ce qui fait que les critiques ordinaires (et souvent rabâchées) contre la religion me sont incompréhensibles... Dans la mesure où Jésus a dit "Je suis la Vérité" (prétention qu'aucun autre homme n'a eue - beaucoup disent: "je sais où est la vérité", ou "je détiens la vérité", ce qui est très différent), découvrir la vérité, où qu'elle soit, c'est découvrir Dieu... C'est pour cela que le christianisme est la seule religion qui n'ait pas besoin d'avoir peur de la vérité, et, si l'on veut voir le christianisme comme une doctrine, la seule doctrine qui se renie aussitôt qu'elle accepte de voiler la vérité... Cette soumission à la vérité, loin d'être asservissante, est libératrice - "la vérité vous rendra libres".
Si j'aime bien votre blog, c'est qu'on y lit beaucoup de choses qui me semblent relever d'une recherche honnête et souvent efficace de la vérité (ce qui pour moi équivaut à une recherche de Dieu, que vous le vouliez ou non...).
Vous écrivez: "Le nationalisme, l'individualisme, l'environnementalisme ne sont pas assimilables à des religions. Ce sont des convictions, qui changent selon les époques, et que les humains portent en avant jusqu'à ce qu'elles soient démontrées inefficaces ou relatives."
Le nationalisme, le culte de l'Etat-nation, l'idée que l'Etat ne doit reculer devant rien, a quand même conduit au sacrifice de millions de victimes. Ce n'est pas juste une conviction. Ou si c'est juste une conviction, il faut voir jusqu'où de telles "convictions" ont poussé les hommes, de la justesse de quels sacrifices elles les ont convaincus, pour quelque chose qui aujourd'hui nous paraît totalement chimérique. Quels étaient les enjeux de la première guerre mondiale? Quels étaient les enjeux des guerres franco-allemandes du XIXème siècle? Il faut lire Proust pour voir les bons bourgeois français, rationnels et cartésiens, devenir de parfaits va-t-en-guerre en été 1914, soudain l'honneur de la France justifiait que l'on sacrifie de jeunes hommes par centaines de milliers...
Vous écrivez, au sujet de la religion: "Le recul de l'emprise de ces religions ne s'est fait que dans le sang, et peut il en être autrement dès lors que tout écart du dogme est un blasphème puni de mort?" Mais diriez-vous autre chose du nationalisme? que de sang il a fallu pour noyer cette idole! Et tout écart du dogme était lui aussi un blasphème puni de mort... voyez le sort réservé aux "défaitistes", "traîtres" et autres "déserteurs"...
Si cette idole s'est effondrée si vite, c'est qu'elle a été à la base d'un culte moins sage et plus excessif que les grandes religions. Mais cette idole a bien été le dieu que l'Occident s'est donnée pour les années 1848-1950. D'ailleurs, il vaut la peine de relire le Syllabus de Pie IX (1864) qui dénonçait avec une grande clairvoyance les excès qui étaient possible à cause de la vision totalitaire de l'Etat-nation, dont les actes ne devaient jamais être limités. Les médias de l'époque s'étaient moqués de Pie IX, qui était un passéiste et n'avait évidemment rien compris à la modernité - mais 80 ans plus tard le procès de Nuremberg ne disait pas autre chose que Pie IX: la puissance de l'Etat est limitée par le droit naturel, il y a un devoir de désobéissance...
Votre critique de la religion ne se confond-elle pas avec une critique que l'on pourrait adresser aussi à toute doctrine humaine? Honnêtement, la société "républicaine", laïque (ou plutôt athée), est-elle meilleure? Le monde est-il devenu plus pacifique et moins sanguinaire depuis que l'Occident est post-chrétien? Personnellement, je n'ai pas du tout l'impression que l'abandon de la religion ait rendu notre société meilleure. Personne n'a non plus remarqué, dans les écoles, un regain de paix depuis que les élèves n'ont plus de leçons de catéchisme. Ou si?
@ Lord Acton:
J'apprécie toujours vos commentaires et votre regard sur le monde. Je ne partage pas toujours le même point de vue, mais pas de problème, car nous pouvons argumenter voire nous contredire sans que ce soit un combat.
Vous avez raison sur le fait que les religions ne sont pas les seules à avoir produit des bains de sang, et comme vous le soulignez le nationalisme a produit les pires de l'histoire humaine.
Les convictions portées à ce point peuvent être pire que l'intégrisme religieux, car dans la religion vraie il y a des valeurs et normalement une remise en question personnelle.
Je trouve super que vous vous sentiez si libre dans une religion. Et si la quête de la vérité peut être représentative d'une quête de Dieu, alors nous avons plus de proximité sur cette question que ce que mon comm plus haut laissait penser.