Fabienne commente parfois mes billets hors ligne. Cela lui permet de me faire partager des choses plus personnelles que j'aime lire. Aujourd'hui elle m'autorise à faire mon billet avec ses réflexions sur le temps, en réponse à un petit mot que je lui avais envoyé avant-hier. Je la remercie vivement.
«Prendre le temps, j'aime cette expression. C'est sortir du programme pour faire quelque chose de précis ou ne rien faire, juste regarder, écouter, sentir, s'ouvrir un instant. Ce temps que l'on prend n'appartient à personne, il est là, on peut en prendre tant qu'on veut quand on en a envie.
En allemand, on y met un réflexif, on dit, sich die Zeit nehmen, ich nehme mir die Zeit, le sujet s'impose verbalement doublement, il se donne la permission de s'emparer de ce petit bout de temps, c'est moins souple, moins évident, moins facile.
J'avais acheté à Heidelberg une horloge faite d'un disque des Carmina Burana, sur l'étiquette rouge l'artiste avait placé un cercle émaillé blanc et écrit: Zeit ist immer . Elle était dans la cuisine, elle s'est encrassée au cours des années, je l'ai jetée un jour, mais je porte en moi ces trois mots comme un koan zen.
Parfois une autre phrase dite ou écrite dans un autre contexte la fait résonner et m'envoie raisonner ailleurs, sur ce temps qui est toujours, sur les mots raisonner et résonner, et il arrive un moment où tout se réunit en un seul accord.»
Et j’ajoute à ce premier texte celui-ci, extrait d’une réflexiion d’Etienne Klein, ingénieur physicien:
"Songeons à une phrase aussi simple que « le temps passe », que nous répétons à l'envi tant elle nous semble frappée au coin du bon sens. Que signifie-t-elle au juste ?
Personne ne conteste que le temps est ce qui fait que toute chose passe, mais de là à dire que c'est le temps lui-même qui passe, n'est-ce pas commettre un abus de langage, opérer un glissement de sens ? La succession des trois moments du temps (le futur, le présent et le passé) n'implique nullement qu'on puisse dire que le temps se succède à lui-même. Eux passent, c'est certain, mais lui ? N'est-ce pas justement du fait de sa présence constante que les choses ne cessent de passer ?
On devrait donc plutôt dire que c'est la réalité tout entière qui « passe », et non le temps lui-même, qui ne cesse jamais d'être là à faire justement passer la réalité. Ainsi discerne-t-on, à l'intérieur de l'écoulement temporel lui-même, la présence surprenante d'un principe actif qui demeure et ne change pas, par lequel le présent ne cesse de se succéder à lui-même (« Le temps lui-même en l'entier de son déploiement ne se meut pas et est immobile et en paix » , pour reprendre les mots de Heidegger).
Ainsi donc, voulant dire que le temps est ontologiquement associé à la labilité et à la fuite, on se retrouve à devoir envisager son … immobilité !"
PS: Pour les otages suisses en Libye, le temps s’est arrêté, ou éclipsé. Il semble que la chaleur ait fait se distordre les montres, et peut-être même les neurones du guide suprême...