En simplifiant à l’extrême, en matière de justice le coupable est assimilé au démon, et la victime à l’ange. Ne dit-on pas d’ailleurs à propos de enfants victimes: «Ces chers anges», et du coupable: «Le monstre»?
La question de la recherche de la vérité - j’entends la vérité des faits dans un contexte criminel donné - n’est jamais simple en l’absence de flagrant délit ou de preuves matérielles indiscutables.
Il y a un problème fondamental dans la justice, c’est la foi accordée à celui ou celle qui se présente en premier comme victime et la défiance envers celui ou celle qui est d’emblée suspecté d’être le ou la coupable. On n'ose pas imaginer qu'un adulte s'engage dans une démarche juridique sans bonne raison. On le croit donc, et c'est le premier biais. La présomption d’innocence doit en principe - et ici le principe doit être intangible - permettre d’instruire en toute objectivité, sans préjugé. Dans les faits cela ne se passe pas toujours ainsi, loin de là.
Pourquoi? Parce que l’on ne veut pas charger davantage celui ou celle dont on préjuge qu’il ou elle est la victime. On ne crucifie pas un ange. Par contre on se donne bonne conscience à achever le démon bien avant que l’affaire soit jugée. Dès que ce biais est installé, dès que la présomption d’innocence n’est plus respectée, et cela survient vite, on n’est plus dans un cadre de justice mais de vendetta.
Affaire Ranucci
Certains se souviennent peut-être de l’affaire Ranucci, mise en livre sous le titre «Le pullover rouge». On voit comment la police enquête à charge, comment un commissaire ment ouvertement, comment elle détourne des indices et témoignages, comment elle extorque des aveux par la violence - aveux sur lesquels Ranucci reviendra par la suite. La police belge avait même transmis un dossier à la police française démontrant déjà à l’époque la présence de Fourniret aux dates et lieu du crime. La France n’en a rien fait. Il fallait que Christian Ranucci soit coupable. Il fut condamné et exécuté. Et il restera éternellement comme l’horreur d’une justice qui n’en a que le nom, qui fabrique et instrumentalise un coupable désigné d’avance, un démon, au nom de la défense de l’ange.
Quand l'ange est le démon
Ce qu’il faut savoir c’est qu’un ange peut se tromper, être encouragé par des pressions. Pire: l’ange est parfois le démon (qui d’ailleurs dans la bible est un ange déchu). L’ange peut prendre le risque de mentir pour différentes raisons, conforté par la certitude que la justice le protège et lui en donne d’ailleurs des signes.
Les juges - qui ne reçoivent pas de formation spécifique en Suisses - devraient être coachés sur les erreurs judiciaires. Ils devraient suivre régulièrement des séminaires où on leur passe les affaires d’erreurs judiciaires reconnues ou vraisemblables. On montre bien des accidents aux conducteurs automobiles.
Les juges doivent aussi suivre des séminaires de psychologie comprenant des jeux de rôle pour leur faire prendre conscience de leurs préjugés.
Il faudrait enfin une autorité indépendante du Parquet pour superviser les éventuels manquements à la rigueur de procédure et d’instruction. Car le Conseil Supérieur de la Magistrature ne remplit pas ce rôle qui lui est pourtant dévolu.
Un juge supporte mal qu’un coupable échappe à la sanction. Mais il doit savoir qu’il y a pire: condamner un innocent. Car si dans le premier cas on peut regretter que l’institution judiciaire n’ait pu établir la preuve de culpabilité, dans le second la justice perd toute crédibilité et devient une arme dans les mains de juges dont l’arrogance, la bonne conscience et l’incompétence sont criminelles. Dans l’affaire Ranucci, où les preuves sont inexistantes et les doutes omniprésents, des hommes - policiers, juges, jurés - ont du sang sur les mains selon toute bonne conscience.
Que ces juges se mettent quelques instants dans la tête de Ranucci le matin de son exécution devant la guillotine, ou dans la peau des innocents d’Outreau dans leur cellule. Qu'ils se mettent dans les tripes de Loïc Sécher, dont l'ange accusateur, une ado de 14 ans déjà connue pour des affabulations, était un ange déchu, perturbé, mais dont personne, ni police ni juge, n'a osé faire ce qui est du plus strict comportement professionnel: douter et vérifier.
La justice n'est pas affaire de sentiment, d'air du temps, d'états d'âme des juges ou de pression populaire, et il n'y a pas de victime tant qu'il n'a a pas de jugement.
PS: La Justice libyenne vaut-elle mieux que celle qui a condamné Ranucci? On sait à tout le moins que les éléments de preuve dans la condamnation des otages suisses manquent cruellement.