Titre d’un roman de Vernon Sullivan paru en 1946 et dépeignant le racisme ambiant de l’époque. Vernon Sullivan est un pseudonyme utilisé par Boris Vian.
Ce livre va-t-il être interdit et brûlé pour incitation au crime? Quel crime? Celui d’incitation à atteinte à la paix des morts. Ce serait dans la logique qu’une décision d’un juge de Zürich. Ce juge vient de condamner un italien de 31 ans à 180 jours amende à 90.-, pour avoir craché deux fois sur sa mère à la morgue de Baden en mars dernier, plus 400.- d’amende.
L’homme a agit ainsi pour exprimer sa souffrance d’avoir été battu par sa mère pendant toute son enfance.
On peut bien sûr estimer qu’il faudrait pardonner aux morts. Qu’alimenter sa propre souffrance ne fait que prolonger celle-ci. Mais voilà, cet homme a eu besoin de renvoyer à cette mère une petite partie de ce qu’il avait enduré.
Bref, la question n’est pas de savoir s’il devrait pardonner ou non. La question est de cracher sur sa mère décédée. Acte fort, très fort. Qui en d’autres temps aurait été digéré socialement par les personnes témoins ou par la communauté à laquelle appartient cette famille. Acte fort qui exprime une grande détresse, détresse qui aurait probablement été respectée, à défaut d’être approuvée.
Et bien non. Un juge considère que ce geste n’est qu’un crime et n’a rien de culturel, aucune dimension restitutive, aucune valeur de rétablissement social. C’est encore une fois la République des juges qui vient frapper à votre porte pour condamner vos comportements individuels d’ordre privé.
Selon toute logique ce juge devrait interdire maintenant le livre de Vernon Sullivan - Boris Vian pour incitation au crime, et le brûler en place publique comme dans les régimes de sinistre mémoire.
PS: Les otages suisses en Libye pourront-ils un jour pardonner à Kadhafi de jouer avec eux à la vendetta? Il faudrait déjà qu’ils rentrent chez eux, après 17 mois de rétention contre leur gré.
Commentaires
Hommelibre, vous faites une association dont la pertinence m'échappe... Sans doute suis-je (in)suffisant... ou demeuré?
Quel rapport existe-t-il en effet entre la souffrance d'un homme qui s'est exprimée d'une manière que la morale et la justice semblent réprouver (à relativement juste titre à mon sens, en dépit de la détresse sans doute réelle de celui qui a perpétré cet acte) et l'ouvrage cité - qui traite effectivement de la question du racisme?
Il me semble qu'à l'heure actuelle, d'innombrables ressources sont à la disposition de celles et ceux qui, abusés légèrement ou fortement, veulent métaboliser leurs souffrances et utiliser les énergies ainsi dégagées à se (re)construire. Ce n'est pas le coach que vous êtes qui devrait l'ignorer, non?
Merci d'éclairer mon "habituelle" légèreté.
Déblogueur, l'association d'idée est uniquement sur le titre, qui dans la logique de cette condamnation devrait selon moi être interdit pour les raisons exprimées dans mon billet. Le livre est d'ailleurs noir et assez violent.
La question de la condamnation: il faut faire la part des choses entre un acte de souffrance faisant partie d'une culture ou d'un langage, et la judiciarisation constante de la vie privée. Devrions-nous, dans cette dynamique, déposer plainte à chaque fois que quelqu'un nous traite de con? Une prise de bec virile entre deux hommes dans un bistrot doit-elle aboutir au tribunal? N'y a-t-il pas un espace pour régler soi-même le problème, ou pour laisser tomber?
C'est cette judiciarisation grandissante que je réprouve. les humains ne savent-ils plus régler les choses eux-mêmes? Devrons-nous en arriver à raser les murs en baissant les yeux pour éviter toute interprétation judiciaire de nos comportements? C'est vers cela que mène cette judiciarisation.
Une expérience très touchante nous ramenait vers les relations entre proches!
L'éducation n'est qu'une récolte, on doit surement être l'exemple de la bienveillance pour nos enfants ainsi qu'envers ceux qui nous entourent!
Article plein de leçons!
Merci de l'avoir choisi.
@ HL: j'ai de plus en plus de peine à suivre... sans doute s'agit-il de ma propre stupidité.
L'atteinte à la paix des morts est un délit. Le juge a considéré que les crachats de l'homme en question tombaient sous le coup de la loi (cf ci-dessous).
Qui plus est, l'homme a vraisemblablement commis sont acte en public, faute de quoi les faits n'auraient pas forcément pu être établis et aucune plainte n'aurait pu être déposée...
Votre assertion selon laquelle les "prises de bec viriles" ne devraient pas forcément aboutir au tribunal me fait irrémédiablement penser au droit à l'auto-défense garanti par leur Constitution aux citoyens des Etats-Unis... On a vu où cela peut mener. Rappelez-vous: Columbine, Virginia Tech...
Je vous rappelle au contenu du Code pénal suisse:
Art. 262
Atteinte à la paix des morts
1. Celui qui aura grossièrement profané le lieu où repose un mort, celui qui, méchamment, aura troublé ou profané un convoi funèbre ou une cérémonie funèbre, celui qui aura profané ou publiquement outragé un cadavre humain, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.
2. Celui qui, contre la volonté de l’ayant droit, aura soustrait un cadavre humain, une partie d’un cadavre humain, ou les cendres d’un mort sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.
Je comprends votre position, Déblogueur. L'article du Code pénal est en effet là pour limiter les errements humains et assurer aux morts une paix juste.
La question, à la lecture de cet article, est le sens des mots et la gravité des actes qu'ils recouvrent. "Grossièrement profané le lieu où repose un mort": je pense aux profanations de tombes dans les cimetières, inadmissible en effet. "Troublé ou profané un convoi funèbre ou une cérémonie funèbre": ce n'est pas le cas ici. L'acte est commis dans une morgue, pas dans un lieu de cérémonie funèbre. "Publiquement profané ou outragé un cadavre humain": c'est le seul point qui pourrait s'appliquer, à savoir outragé un cadavre. Je ne connais pas les jurisprudences dans ce domaine, donc je ne sais pas ce qui est désigné par l'outrage. Je ne peux ici aussi qu'imaginer un acte grave: vio, de cadavre, détroussement, etc.
On est loin d'un acte de dépit d'un fils envers sa mère décédée. La justice se doit d'apprécier les faits dans leur contexte et de nuancer sa position, ce qui ne me semble pas le cas ici.
Je pense qu'un tel jugement mérite appel et analyse approfondie de la jurisprudence. Je n'exclus pas que le juge ait débordé du sens de la loi en appréciant extensivement un acte chargé d'affect et de subjectivité, mais qui n'a pas eu pour but ni pour effet d'outrager un cadavre. Il s'agit d'un acte symbolique circonstancié et non d'une volonté criminelle en tant que telle.
On aurait pu laisser à cet homme très malheureux la chance d'oublier et peut-être de pardonner à sa mère! On aurait dû écouter sa détresse qui est certainement immense. Sa mère est morte mais lui, est encore en vie! Le condamner, va raviver sa haine et pour sa mère et pour ceux qui l'ont dénoncé, est-ce vraiment utile?
Il y a des plaintes motivées par des raisons plus graves qui sont classées "par opportunité". On aurait en effet dû laisser cet homme avec sa souffrance et ne pas charger davantage, surtout sur une interprétation discutable de la loi.
Il subit ainsi une double peine: celle d'avoir été battu pendant son enfance, et maintenant cette condamnation. Il y a là quelque chose qui ne tient pas debout.
1) "Ce livre va-t-il être interdit et brûlé pour incitation au crime? Quel crime? Celui d’incitation à atteinte à la paix des morts."
Le crime en question est un délit. D'où tirez vous l'idée que l'incitation à commettre ce délit est une infraction ?
2) "L’homme a agit ainsi pour exprimer sa souffrance d’avoir été battu par sa mère pendant toute son enfance."
Selon la tdg c'est ce que l'homme a déclaré. Ce fait a-t'il été admis comme établi par le Tribunal ?
3) Ce qui me paraît évident est la curieuse peine. 180 jours amendes, à 90 francs l'un, avec sursis et 400 francs d'amende ferme. 180 jours amendes, cela fait 16'200 francs, 400 francs d'amende apparaît comme étant un montant bien faible ou bien 180 jours amendes comme bien élevé.
4) l'AFP nous apprend : "consistant en un versement de 90 francs pendant 180 jours (soit un total de 5.400 francs - 3.600 euros), ainsi qu'à une amende de 400 francs (270 euros), a annoncé l'agence de presse suisse ATS citant une source judiciaire."
le compte est-il bon ?
http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5jvSzuupyhlRZUGtZiHmOmw2VgftQ
@ CEDH:
Il est toujours possible d'invoquer l'article 24 du Code Pénal Suisse sur l'instigation à commettre un délit (en effet au vu de la peine il s'agit ici d'un délit et non d'un crime, pénalement parlant, même si j'utilise la notion de crime dans une acceptation plus générale):
Art. 24
1 Quiconque a intentionnellement décidé autrui à commettre un crime ou un délit encourt, si l’infraction a été commise, la peine applicable à l’auteur de cette infraction.
2 Quiconque a tenté de décider autrui à commettre un crime encourt la peine prévue pour la tentative de cette infraction.
Il manque en effet la vérification des mauvais traitements. Mais ce n'est pas ce que le tribunal avait à juger.
2) Il ne semble pas que le Tribunal ait voulu retenir les circonstances. Toutefois, selon les informations à disposition, il ne s'agissait que d'un crachat (voir mon commentaire précédent. cela tombe-t-il vraiment sous la notion d'outrage?) et il est bien admis qu'un lien de filiation est établi. Il s'agit donc d'une circonstance très particulière que le simple bon sens ne peut assimiler aux articles du code pénal
Plusieurs éléments déterminent la justice: le texte, la jurisprudence, la contextualisation (souvent incluse dans le texte). Or ici il n'est même pas sûr que le texte soit applicable, tout dépend de l'interprétation du mot outrage et de sa jurisprudence, et de plus il y a un contexte particulier qui aurait dû être pris en compte.
Bonjour à tous. Cette affaire nous ramène aussi à l'affaire Hannibal Kadhafi. Porter des coups à une tierce personne est contraire aux droits humains. Mais fallait-il intervenir avec la lourdeur policière et judiciaire ou tenter une méthode de retour à la raison et des bons traitements entre humains. Hannibal a été puni sans jugement par la justice suisse, par son image dégradée dans la presse internationale. Cela ne l'a pas empêché de récidiver avec sa propre épouse à Noël. Cet homme à besoin d'un message d'humanité, ainsi que toute sa famille au sens large, pour peut-être changer quelque chose à sa vie. Mais qui a compris cela? Qui veut bien comprendre cela? La justice est essentiel à l'existence des sociétés. Mais quand elle se transforme en roulant compresseur qui se mêle de tout dans la vie des couples et des sociétés, le désastre, une méfiance et une haine plus grande s'installent de plus en plus. Et nous en avons une belle preuve avec l'affaire Hannibal Kadhafi. Et nos otages sont la preuve bien vivante de ce désastre humain. Bonne journée à tous.
Pardon pour les fautes d'accord et il faut lire "rouleau" et pas "roulant", c'est le matin. je ne suis pas très bien réveillé:)
- Le livre de Vernon Sullivan (alias Boris Vian) avait effectivement été attaqué en justice après qu'il fut retrouvé, sauf erreur, sur la table de chevet d'un assassin.
- De manière générale, je trouve que cette année commence très mal sur les blogs. Beaucoup de tensions inutiles et de sur-réactions générées par des commentateurs qui ne lisent pas les textes qu'ils commentent.
- Prescription: trois ou quatre pruneaux au petit déjeuner pour tout le monde.
@Hommelibre
a) Oui l'instigation est envisageable. Mais il s'agit alors de pousser quelqu'un à commettre l'infraction, soit de pousser une ou des personnes déterminées à cracher sur une tombe. La diffusion du livre ne suffit pas à constituer une telle instigation. On peut toujours envisager qu'il serve à commettre l'infraction, en en donnant lecture à celui que l'on pousse à commettre l'infraction. En cas de succès faudra-t'il confisquer ce livre ? J'en doute. Quoiqu'il en soit la diffusion du livre ne paraît pas répréhensible. C'est dire qu'à la question :
"Ce livre va-t-il être interdit et brûlé pour incitation au crime? Quel crime? Celui d’incitation à atteinte à la paix des morts."
Je répond, m'engageant lourdement, Non, pas pour le moment entre Genève et Lausanne.
P.S.: La différence entre crime et délit est pertinente puisque la tentative d'instigation d'un délit n'est pas punissable.
b) "Il manque en effet la vérification des mauvais traitements. Mais ce n'est pas ce que le tribunal avait à juger.
2) Il ne semble pas que le Tribunal ait voulu retenir les circonstances."
Il me semble plutôt que l'existence de ces faits sont déterminants. Pour déterminer l'opportunité de la poursuite et pour déterminer la quotité de la peine. Si on les admet la quotité me semble bien élevée. Evidemment si les crachats étaient justifiés par une question d'héritage...
Tous les articles sur l'affaire oublient un point. Le juge ne s'est pas saisi de l'affaire comme cela, il n'y a pas dans son bureau une sirène annonçant qu'un crime a été commis. Il y a forcément quelqu'un qui a été choqué, blessé, par l'acte et qui l'a dénoncé.
Même si la personne était blessée et voulait se venger, il ne faut pas oublier les autres personnes endeuillées qui doivent pouvoir faire leur deuil en paix.
Il aurait mieux fait de s'abstenir d'aller à la morgue....Je ne vois également aucun rapport avec le livre ni le titre? Même si je comprends très bien le but de la réaction de HL. Personne n'est à l'abri d'une dénonciation et le bouquin a été interdit sur plainte et Vian condamné à une forte amende.
J'ai lu "J'irai cracher sur vos tombes" il y a bien longtemps. Je me souviens d'une scène incroyablement violente... comme dans un film, c'est tout! Je puisais les bouquins dans la bibliothèque de mon frère aîné qui me l'avait confisqué. Je n'avais que 16 ans:))
A part cela, je suis du même avis que Lord Action quand il dit: "De manière générale, je trouve que cette année commence très mal sur les blogs". Aussi, je survole et quitte illico préférant la tv ou un bouquin entamé parmi d'autres que je lis selon mon humeur.
Bonne soirée