Certains mots perdent de leur puissance. A vouloir tout désacraliser notre époque en oublie les fondamentaux sans lesquels le monde tourne moins bien. Dans ces fondamentaux il y a par exemple l’honnêteté. C’est fondamental l’honnêteté si l’on veut établir les relations humaines sur la confiance. Parce que sans confiance on peut aller vivre seule-e sur une île.
L’honneur fait partie de ces fondamentaux dont il est de bon ton aujourd’hui de se distancer, voire de sourire de manière condescendante en évoquant cette notion un peu ringarde. Et pourtant. Loin d’être ringard l’honneur est ce qui nous permet de nous sentir droit dans nos bottes avec le sentiment d’avoir fait ce qu’il y avait à faire.
L’honneur est associé à l’estime ou la considération, l’intégrité, la dignité. Il ne réside pas forcément dans le quotidien de la vie, ou pas de manière visible. Mettre un point d’honneur à tenir une promesse ou un engagement n’a en général rien de périlleux ou d’héroïque. Par contre on parlera de laver son honneur si l’on est injurié, ou de sauver l’honneur en un moment où tout semble perdu. Ce sont des situations non ordinaires où l’on tient un cap et un engagement moral.
Le naufrage d’un paquebot est une situation non ordinaire. Dans un tel moment la personne habilitée à décider de ce qui doit être fait est le capitaine. C’est son job et son engagement. On lui fait confiance sur la base de cet engagement. Il semble que sur le Concordia le contrat de confiance a été rompu.
L’enquête établira précisément ce qui s’est passé, et la justice tranchera.
Mais selon l’enregistrement d’une conversation téléphonique entre le capitaine et un garde-côte il avait quitté le navire alors que des passagers étaient encore visiblement à bord.
Un autre homme, commissaire de bord, est resté et y a presque laissé sa vie:
«Le commissaire de bord Manrico Giampietroni a sauvé des dizaines de passagers avant de tomber au fond d'un des cinq restaurants inondé, sur le Costa Concordia et de retrouver l'air libre dimanche, 36 heures après le naufrage du navire de croisière.»
L’honneur d’un capitaine est de rester sur le bateau. Il doit aller voir partout s’il y a encore des passagers ou des membres d’équipage à évacuer. Le capitaine part le dernier. Cela au péril de sa propre vie. Il devait donc tout inspecter. Cette conversation montre qu’il a quitté le bateau alors que des passagers s’y trouvaient.
«Des gens descendent par l'échelle de proue. Faites demi-tour, retournez sur le bateau et dites-moi combien de personnes s'y trouvent et ce qu'ils ont à bord", dit un officier de la capitainerie de Livourne s'adressant au capitaine Francesco Schettino.
- Dites-moi s'il y a des enfants, des femmes et de quel genre d'aide ils ont besoin, et dites-moi le nombre de chacune de ces catégories. Est-ce que c'est clair ?», insiste-t-il.
- Ecoutez Schettino, vous vous êtes peut-être sauvé vous même de la noyade mais je vais vous faire beaucoup de tort. Vous allez me le payer. Bon sang, retournez à bord !», ordonne l'officier.
- S'il vous plaît...», tente le capitaine.
- Il n'y a pas de s'il vous plaît ! Retournez à bord ! Promettez-moi de retourner à bord !», l'interrompt le garde-côtes.
Le capitaine : «Je suis sur un canot de sauvetage. Je suis en-dessous, ici. Je ne vais nulle part. Je suis là.»
Il n’est pas certain que sa présence sur le bateau échoué aurait sauvé des vies. Mais sa place était sur le pont. Que s’est-il passé dans sa tête? On n’en sait rien. Aujourd’hui il passe pour avoir renoncé à son honneur. C’est terrible. Il sera jugé puisque c’est un délit grave. Mais, pire: il se peut qu’il ne connaisse plus l’estime de ses pairs pour le reste de sa vie. Il sera celui qui a abandonné navire et passagers.
Cela fera peut-être un personnage de roman. Un homme, anti-héros, ne trouvant plus un lieu où il soit respecté. Devant raser les murs et se travestir pour échapper à la vindicte. Il sera le mauvais. Malgré lui il atteint une dimension qui le dépasse.
Mais nous avons besoin de héros. L’honneur, cette posture virile que les femmes aussi savent prendre, cette résistance à la peur, cette intégrité au mépris de son propre intérêt, cette grandeur intérieure, donne de la valeur à nos vies. Il y a bien un prix à cette valeur. Il pouvait payer de sa vie.
Il est vivant, certes. Mais quoi qu’on en dise, mieux vaut un héros, même mort. L’honneur ajoute de la valeur à la vie. L’exemple malheureux de ce capitaine vient nous le rappeler.
Commentaires
"Cela fera peut-être un personnage de roman." Il en existe déjà un, "Lord Jim" de Joseph Conrad*. Difficile de trouver mieux.
Bonne soirée
*Préférez la traduction de Odette lamolle aux éd Autrement"
attention retour du cheval de Troie,conseil d'ami!
Merci pour l'info Trio-octet.
Juste. Après, il n'était pas forcément obligé de mourir... La définition de l'honneur est culturelle et celle de nous autres européens n'inclut pas le hara-kiri. Mais qu'il reste à bord à coordonner les secours jusqu'au petit-jour et que les professionnels prennent la relève, c'eût été la moindre.
Intéressant point de vue après la discussion qui s'est menée sous le blog de Minet sur ce qu'un homme est censé faire ou non pour défendre l'honneur de sa dame... Les juristes et la société (ou du moins différents sous-ensembles culturels de la société) n'ont apparemment pas tous la même approche de la question.
Mais Monsieur Souaille, le capitaine d'un navire est un professionnel, peut-être le plus qualifié, pour l'évacuation de son navire, que personne au monde ne connaît mieux que lui. Ce n'est pas que l'honneur mais aussi le droit maritime ainsi que le bon sens qui lui commandent de rester à bord sur son navire en détresse, jusqu'à l'évacuation du dernier passager et du dernier membre d'équipage. En outre, dès l'instant où le bateau est en situation de naufrage, il doit scrupuleusement obéir aux ordres de l'officier responsable des opérations de secours, en l'espèce le commandant de la capitainerie de Livourne (en droit maritime, l'autorité compétente pour commander les opérations de sauvetage est la capitainerie du port maritime le plus proche).
Et s'il lui faut mourir parce que tous les passagers ne sont pas encore évacués, c'est le lot du métier de capitaine, qu'il a choisi. Tel fut le cas d'Edward Smith, commandant du Titanic, qui resta au bord et périt dans le naufrage parce que tous les passagers n'étaient pas évacués. S'il était monté dans une chaloupe, outre son honneur perdu, il aurait fini ses jours en prison.
Si les faits avérés contre le capitaine Schettino sont avérés, à savoir abandon du navire et désobéissance aux ordres de la capitainerie (sans parler de la curieuse route maritime qu'il semble avoir empruntée), il sera condamné à de nombreuses années de prison, indépendamment de son honneur perdu. Il ne pourra plus être officier de marine marchande. Il y a 150 ans, il aurait été pendu pour cela.
Ce n'est donc pas qu'une question d'honneur, mais un crime grave que d'abandonner en dernier son navire en perdition et de ne pas obéir aux ordres de la capitainerie compétente.
Ce n'est pas par hasard qu'il faut vous expliquer tout ça, Philippe Souaille. Quand on commence à relativiser toutes les valeurs de base, on ne sait plus trop où on en est, n'est-ce pas ? On transforme l'affaire Hildenbrand en affaire Blocher, etc, etc...
M. Noula, où avez vous lu que je disculpai de quelque manière le capitaine ? Il est un professionnel chargé de mettre en oeuvre l'évacuation. Une fois celle-ci terminée, et qu'on en est à faire fouiller les cales par des hommes grenouilles, il ne sert plus à grand chose, même si bien sûr il doit rester à disposition.
Au Japon, jusqu'au milieu du XXème siècle, il aurait du en plus se faire hara-kiri, ce qui n'est pas le cas chez nous. Je n'ai rien dit d'autre. Mais qu'il aille en prison, ne serait-ce que pour avoir frôlé les côtes de trop près, cela me semble juste.
Quant au fait d'être pendu pour ne pas avoir quitté le navire en dernier, vous avez des exemples précis ?
Géo, vous devriez vous calmer, respirer un bon coup, prendre un cours de lecture accélérée et relire mon texte. Je ne relativise en rien les fautes du capitaine italien. Il se trouve juste que la peine de mort a été abolie dans nos contrées. A fortiori pour lâcheté, incompétence et même pour homicide par négligence ou faute professionnelle grave. Après l'honneur c'est autre chose. Le duel aussi avait ses charmes, mais peut-être est-il judicieux de relativiser dans certains cas ?
Maintenant sur le fond, si l'on veut comparer la somme des dégueulasseries (et des conséquences négatives pour le pays) ayant menées à la démission d'Hildebrand, il me semble clairement voire pencher la balance d'un côté... On vient d'en avoir une preuve supplémentaire avec les documents truqués de la Weltwoche. Votre hebdo de chevet ?
Je crois que l'histoire est encore pire :
"Si Francesco Schettino a décidé de changer la route initialement prévue, c'était pour faire plaisir à un membre d'équipage. En s'approchant de Giglio, il comptait "saluer" la famille de ce serveur, qui habitait sur l'île. Pour y parvenir, il aurait, selon les informations du Point, débranché le système de navigation automatique, qui aurait permis de détecter les rochers. Il a également mis les alarmes hors service et menti à la garde côtière en invoquant une simple panne de courant."
Il met d'abord tout le monde en danger et ensuite, il se barre....
http://www.europe1.fr/International/Francesco-Schettino-capitaine-dechu-909433/
Ce pauv' capitaine est une victime innocente!
Il est l'illustration même que la malchance peut s'acharner sur une personne, heure après heure:
- Le système de navigation automatique est tombé en panne 15 minutes avant l'accident, tout seul... Fichu matériel "Made in China"!
- Les côtes se sont rapprochées subitement et un récif s'est lâchement jeté sous son navire, sans prévenir!!!
- Il s'est fait agressé sournoisement par des cocktails, des ponchs et des cacahuètes, qui se sont tous précipités dans sa bouche, quand il inspectait les coursives... Décidément, on n'est en sécurité nulle part... pas même au bar!!!
- Enfin, on a appris ce soir que lorsqu'il s'apprêtait à sauver, d'une seule main, la totalité des 3216 passagers et des 1013 membres d'équipage, il s'est pris les pieds dans sa cape (de super-héros), a glissé sur la coque et s'est retrouvé dans une chaloupe de sauvetage, contre sa volonté! Et comble de la malchance, cette barque l'a retenu contre son gré, puis s'est honteusement éloignée du navire en perdition...
C'est moche, de s'en prendre de la sorte à une pauvre petite chose sans défense!!! Très moche...!! Ce type est l'homme le plus malchanceux du monde!!! Les faits le prouvent.
=:oB
PS: Hommelibre, dans votre dernier article, vous affublez Nicolas Sarkozy d'un nez rouge uniquement... Est-ce parce que le capitaine du Concordia a emprunté le reste de la panoplie du parfait clown??? ;o)
Brian, j'allais me coucher et voilà que vous débarquez (pas du navire)!...
Pour le nez rouge, je laisse imaginer le reste. Les grandes chaussures, par exemple... :-)
J'ai voyagé plusieurs fois de cette façon-là, et je dois dire que la seule chose à regretter était que le voyage ne fût pas plus long...
Cela dit, sur ce genre de bateau,tout est fait pour que les passagers oublient qu'il se trouvent en réalité sur un élément instable et dangereux, vous le constatez facilement lors de l'exercice d'abandon du bateau, peu après le départ: on passe le temps à bavarder ou a jouer avec le sifflet du gilet de sauvetage en attendant que l'exercice barbant se termine. Aussi, puisque le paquebot compte quatorze ponts, qui peut penser sérieusement que les gens qui sont au bar du 5e auront le temps, ou la possibilité, d'aller chercher leurs gilets dans leurs cabines 4 ou 5 ponts au-dessus, en pleine panique?
Non, la mer n'est pas un lieu calme et bienveillant, le risque zéro n'existe nulle part, pour aucune activité humaine, mais ces paquebots sont tout de même assez sûrs : il a fallu une suite d'erreurs humaines, de bêtises et de lâchetés plus consternantes les unes que les autres pour que le bateau coule et que des gens y meurent. Autrement dit, les machines peuvent s'améliorer de plus en plus, mais les risques seront toujours très élevés lorsqu'on laisse toujours un incompétent appuyer sur les boutons...
L'honneteté cela se discute car je ne crois plus trop que cela soit payant dans nos sociétés, la vertu etc.... non plus d'ailleurs. Par contre c'est clair je rejoins entièrement HL sur la dignité, le sens du devoir qui là pour le coup ont fait défaut à cet homme.......bien oui au fond, ce n'est qu'un homme. Il a beau avoir signé toutes les conventions, tous les engagements etc.... mis sur le fait il en redevient ce que allez savoir nous serions peut-être aussi en pareille circonstance....couard et lâche. D'ailleurs, certains témoignages de rescapés font froid dans le dos quand on voit comment des passagers se sont comportés envers d'autres pour sauver leur vie....ceux là même qui peut-être sont de merveilleux parents, voisins, amis....mais qui n'ont pas hésité à piétiner enfants, femmes, personnes âgées...pour passer avant sur les chaloupes! la nature humaine quoi!
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