La nouvelle traversée de la rade est en voie de réalisation. Un projet tout neuf prêt à être mis en route et qui pourrait être opérationnel assez rapidement. Quoi?! Le monstre du Léman, le serpent de lac qui fait des pieds-de-nez aux genevois depuis des décennies serait sur le point d’être apprivoisé? Non: cette traversée n’est pas celle des voitures mais celle des piétons.

Le projet final (Entre deux, Pierre-Alain Dupraz, images Dupraz 1 et 2, cliquer pour agrandir) a été commenté hier par la Tribune de Genève. Il soulève déjà une polémique sur le partage de la charge financière et l’augmentation prévisible de celle-ci. En effet le concept retenu implique des changements dans les débarcadères des bateaux du lac. On ne les manie pas comme des deux-chevaux, ils ont besoin de place.

La passerelle passerait de 20 à 30 millions et l’Etat devrait payer les frais de ces changements. Ce qui selon les uns était entendu, selon les autres pas du tout. Bref. La polémique m’importe moins que le projet retenu.

Il faut d’abord souligner que cette passerelle est une très bonne idée. Le plus célèbre pont de Genève a certes sont petit charme, mais coincé entre rambarde et voie de circulation, les piétions et les cyclistes (qui ne respectent souvent pas le passage qui leur est dévolu par le pont de l'île) se partagent un bout de territoire assez exigu et parfois stressant. Donc le projet de la Ville est une idée à soutenir.

La mise au concours à donné lieu à une exposition au mois de juin. Je n’ai pas vu l’expo mais j’ai trouvé une présentation de tous les projets en pdf ici. Et pour ma part je regrette le choix final. Les goûts esthétiques des uns et des autres sont bien sûr toujours discutables. Mais ce projet final, décollé du pont, en biais dans aucune ligne ou perspective existante, est surprenant.

Beaucoup de projets proposaient un décollement entre pont et passerelle. Certains sortaient délibérément de toute ligne existante et auraient été des objets d’art attractifs en eux-mêmes. Il en existait d’autres plus intégrés au pont actuel et dont la ligne respectait l’actuelle continuité de la rade. Ma préférence allait au projet Baillif-Loponte (images 3 et 4): ligne du pont et de la rade respectée, arbres sur le pont en continuité des plantations sur les quais. Une image de grâce et de légèreté. Le but était aussi d’en faire un lieu véritablement convivial, face à cette vue magnifique vers la rade, le jet d’eau et le petit lac. Cette passerelle semble de plus dotée d’une accroche rive droite plus en continuité avec la hauteur du quai.

Personnellement je trouve le projet choisi (Entre deux) sans originalité, cassant la ligne de continuité de la rade et du pont. Du simple fonctionnel pour l’une des plus belles rades d’Europe. Genève se distingue comme souvent par un manque d’audace et d’originalité qui semblent finalement être sa marque de fabrique.

J’ignore les contraintes techniques imposées aux projets et je ne suis pas architecte. Je ne peux donner que mon impression subjective. Mais tant qu’à créer des espaces conviviaux à Genève, pourquoi ne pas faire preuve de plus d’imagination? De ce point de vue le projet final Entre deux n’est ni imaginatif ni vraiment convivial - ce grand banc adossé au mur de la passerelle faisant plus penser à la Grande Muraille de Genève ou au pont du Titanic avant qu'il ne sombre. Pragmatique et lourd, c'est un modèle d’architecture cloisonnée plutôt qu’un concept intégré et accueillant.

Genève, Genève, il est parfois difficile de t’aimer.