L’expression fait polémique. D’un côté elle est revendiquée, de l’autre elle est taxée de racisme. Voyons cela sans stigmatisation.
Nous avons tous une origine et une appartenance, partagées avec d’autres. Cela tient en partie à l’ancienneté de résidence familiale sur un territoire. Cette ancienneté pose une priorité de fait. Un exemple: si je vais à un concert, l’endroit où je me pose est temporairement le mien. Personne ne me force à en bouger pour prendre ma place. Le premier arrivé fait loi. Il en est de même dans une file d’attente. Tout le monde le sait.
C’est pareil pour un territoire. Les premiers occupants y créent leur monde. Il le gèrent et l’administrent selon leurs besoins. Ils en rendent compte. Ils posent les limites et des frontières. Quand un territoire est occupé et administré, il appartient en quelque sorte à ceux qui l’occupent. L’appartenance, et l’identité collective qu’elle génère, tient non seulement au territoire mais aussi à une langue commune, à des croyances élaborées lors d’événements partagés ensuite ritualisés, à une histoire qui s’est forgée sur le temps, à une langue commune, à des valeurs et des règles de vie et aux lois qui en découlent. Culture, région et parfois couleur de peau forment le creuset d’identités spécifiques.
Il faut apprendre à dépasser cette spécificité, ne serait-ce que pour établir des liens commerciaux positifs. Mais établir des liens suppose que l’on reconnaît d’abord les différences et les appartenances spécifiques. Les communautés humaines ne sont pas fraternelles par principe mais par apprivoisement, par intelligence, par stratégie ou par nécessité.
Il y a longtemps que j’entends des remarques sur les «vrais genevois» ou les «français de souche». Cela n’incite pas au racisme. Cela signifie que ceux qui se reconnaissent comme tels on des critères. Ces critères sont:
- la couleur de peau dans de nombreux cas: un blanc n’est pas reconnu comme antillais par la communauté d’origine africaine qui peuple majoritairement cette île; toutefois, un suisse, africain d'origine, est aussi suisse qu’un suisse «de souche» sur le plan légal. La naturalisation confère les mêmes droits à tous les citoyens d’un pays, indépendamment de leur couleur ou de leur religion. La citoyenneté est un critère au-delà des spécificités;
- les origines communes, territoriale en particulier. Etre né au même endroit crée une proximité et des liens. C’est ainsi. Ce n’est pas par hasard si toutes les communautés expatriées se retrouvent pour des rites communs: la fête nationale, Noël, la prière du vendredi, etc.
- une culture commune: musique, littérature, valeurs partagées, codes de communication identiques, degré de permissivité dans un groupe, etc. La recherche de son semblable est une étape importante dans la création de son sentiment d’appartenance, de son identité et de sa confiance en soi. Les croyances communes, le type d’organisation sociale font partie de cette culture.
Le sentiment d’appartenance collective et d’identité commune est quelque chose de normal dans la construction de l’individu et des groupes. Etre français de souche, ou suisse, ou antillais de souche, est une notion qui, au-delà d’une citoyenneté commune, définit des spécificités. Le citoyen «de souche» a une antériorité de plusieurs générations sur le naturalisé. Etant moi-même fils de migrants et naturalisé tout en étant né à Genève, je suis conscient de cette différence d’ancienneté. Juridiquement et affectivement je me sens chez moi en suisse. J’ai les droits des citoyens suisses, mais bien que mon pays soit la Suisse et aucun autre, j’ai une pudeur face aux familles qui sont suisses depuis quatre ou cinq générations.
Un naturalisé doit assimiler une culture, des règles parfois nouvelles, un mode de communication. Le passeport n’est qu’une identité juridique, limitée, pas une identité culturelle. Il n’y a pour moi aucun malentendu à se revendiquer «de souche», comme si l’on était historiquement porteur d’une culture que le naturalisé n’a pas toujours. Aujourd’hui l’expression «de souche» révèle fréquemment un conflit entre citoyens aux origines différentes. Un tel conflit doit être analysé avec lucidité. Mais la peur d’être taxé de raciste ne doit pas gommer le fait qu’il y a des antériorités culturelles, même s’il y a égalité juridique. Un suisse ou un français de souche est héritier d'une histoire où sa famille s'est peut-être illustrée; il est d'origine gréco-chrétienne; il se reconnaît dans la langue et dans les règles de base de la société. On reconnaît la souche là où elle a poussé.
Dans la notion de citoyenneté il faut dépasser la question du passeport. Etre citoyen d’un pays c’est en accepter les lois, donc la culture, donc l’Histoire et la manière dont le pays se raconte lui-même. Pour cela les naturalisés font bien de respecter les citoyens «de souche» et d’entendre ce qu’ils ont à dire d’un pays. Cela devrait faire partie d'un respect naturel, un respect qui nous rapproche.
Un jour il n’y aura peut-être plus de frontière. Cela ne signifie pas qu’il n’y aura plus de différence culturelles, religieuses, politiques ou ethniques. Cela signifiera que, sans gommer les différences, nous aurons appris comment nous apprivoiser.
«Je suis né quelque part, laissez-moi ce repère, ou je perds la mémoire».
(Né quelque part)
Commentaires
Très intéressante vulgarisation pour définir la notion de peuple.
Ce qui amène à définir la notion de communautarisme.
Pour ma part, je vois le communautarisme comme une fraction de peuple dans un autre peuple. C'est ce qui rend cet amalgame «explosif» (le détonateur et la poudre).
Votre exposé démontre avec pertinence que le grand pique-nique mondial tant souhaité par la communauté de gauche est une utopie.