Bercé des histoires de mon enfance ou des films avec Johnny Depp, j'imaginais les pirates plus vigoureux, entre maigres rusés et gros bras fonceurs. L'iconographie était luxuriante, baroque et parfois même franchement surréaliste. La jambe de bois, la main en crochet, les chapeaux à faire pâlir les élégantes d'Ascot, à quoi on ajoute une odeur qui couvrirait même celle des grandes écuries royales, et une audace - en particulier une communication canon! Bref, il y avait de l'adrénaline et un parfum de poudre.
(De mon blog Genève bouge)
Le Parti Pirate c'est comme le prince charmant: si l'on regarde de près, le crapaud reste un crapaud, les coursives sont branlantes, les voiles sont attachées avec du fil à couper le beurre, et le capitaine, à l'approche du grand frais, en est encore à lire le mode d'emploi du gouvernail.
C'est l'impression que m'a faite la lecture de l'interview de Will van Gulik dans la Tribune papier d'hier. Quoi, vous ne le connaissez pas? M'enfin... le président des Pirates genevois! Ça, pour être discret il est discret. Il ne connait même pas l'identité de son parti. A la question du journaliste:
- Quelle est votre identité?
Il répond:
- Je dois me documenter... (il relit longuement le flyer du parti) Les valeurs pirates sont la justice, la liberté, le respect, la responsabilité et la transparence. Ce sont des arguments plus large que la technologie.
Passons sur le fait qu'il ne puisse pas répondre du tac au tac. C'est surprenant certes mais enfin... Remarquons plutôt la dernière phrase: Ce sont des arguments plus large que la technologie. Et oui, les Pirates ce sont d'abord des gens qui se sont intéressés à la technologie, et à un segment limité de la technologie: internet, et surtout la protection des données et transactions. On peut y mettre l'expression Nouvelles technologies, cela reste intimiste à côté de l'ensemble du secteur technologies.
Cette petite phrase du président ignorant démontre à elle seule la limitation dont ce parti tente de s'extraire: un domaine niche qui n'interagit pas avec les grandes questions sociales, avec l'emploi, l'urbanisme, l'environnement. A lire certains de leurs textes on voit qu'ils essaient de tirer le propos vers le social. Mais cela sent le rajouté de circonstance. Ce n'est pas dans l'ADN du mouvement. L'incorporation de Didier Bonny, ancien PDC puis indépendant puis plus indépendant malgré le fait qu'il le prétende encore, est opportuniste (pour lui aussi) dans une stratégie qui vise à étoffer l'idéologie pour péniblement atteindre le statut de vrai parti, mais cela ne trompe pas.
Cela trompe d'autant moins qu'il n'y a aucune théorisation et analyse profonde des thèses de justice, de liberté, de responsabilité, de transparence. On ne peut en effet considérer l'alignement de poncifs comme une analyse de société. Et si ce sont les mêmes définitions que dans d'autres partis on ne voit pas l'intérêt d'en avoir fait un de plus. Didier Bonny semble être devenu l'idéologue du mouvement, à défaut peut-être d'une vraie tête pensante. Ses papiers sur l'identité du PP (nan, pas Port Payé, les pirates ne paient jamais leur amarrage...) ne cassent pas trois pattes à un canard.
La transparence par exemple se limite à rendre publics les rapports et PV cantonaux. C'est court. On n'est quand-même pas chez wikileaks. D'ailleurs la transparence a ses limites puisque dans le même temps, dans le même billet sur la transparence, il est question de rendre plus opaques les données personnelles. Question unité de thème on fait un grand écart conceptuel. Bas, les pirates doivent être souples pour se lancer à l'abordage.
Dans l'ensemble les valeurs annoncées semblent reprises de La politique pour les nuls. Tout ce qui s'y dit est déjà dit ailleurs en mieux. D'un segment très limité ils ont voulu faire un parti, avec une thématique générale, sociale, économique, et tutti frutti. A mon avis cela ne tient pas la distance et c'est une erreur de casting que de se présenter comme parti politique. Un bon point cependant pour leur candidate Corinne Olivier Sudan qui souhaite "remettre sur la table le projet d'une traversée de la rade".
Bref. Je croyais que les pirates, les vrais, aimaient foutre le bordel, ne faisaient pas de politique, partaient à l'abordage sans demander aux marins de voter pour eux, et n'avaient pas de président flou mais un capitaine solide.
Les pirates ne sont plus ce qu'ils étaient.
Image: Barracuda, Jérémy Pétiqueux
Commentaires
Et oui, Homme libre « tout fout le camp », même les ”pirates” qui aujourd’hui revendiquent à l’aide de poncifs plus de liberté et de transparence sans songer que ces deux concepts s’opposent radicalement...
En remerciant Hommelibre de nous faire de la publicité :
http://penseespubliques.wordpress.com/2013/09/15/quand-hommelibre-met-en-avant-les-pirates/