Vancouver.
Véronique Sanson chantait son port et les souvenirs amers. Je ne suis pas sûr qu’Alan y chante. Son Vancouver à lui est aux Etats-Unis, en face de Portland. De l’autre côté de la rivière Columbia, dans Washington State. De jour on peut apercevoir la silhouette du volcan Mont Saint-Helen, vers le nord. Le soir, la ville brille de mille feux. Y a-t-il seulement un vrai port dans ce Vancouver-là? Un endroit solitaire et mécanique pour méditer sur les 17 ans qu’il a passé en prison?
Alan y est entré en 1993 et en est ressorti en 2010. Il n’avait pas terminé sa peine, pourtant. Il avait été accusé, en même temps qu’un autre homme. Accusé et condamné à 23 ans de prison. Il en a fait 17.
Pendant 17 ans, tous les matins, il s’est réveillé dans sa cellule. Tous les soirs il s’y est endormi. Jour après jour. Année après année. No future.
Cela peut sembler court une année quand on vit dehors, que l’on travaille et que l’on rentre le soir dans sa famille, que l’on se réveille le matin dans son chez-soi. Pour lui chaque jour, chaque année ont été taillés dans l’attente. L’attente que quelque chose se passe qui mette fin à ce destin.
Ce quelque chose est survenu au bout de 17 ans: un test ADN effectué sur les cellules de peau retrouvées en 1993 sous les ongles de la victime. Alan était innocent. Les charges ont été levées. En 1993 on ne faisait pas ces tests. Sur quoi a-t-il été condamné? Je l’ignore. La victime l’a-t-elle chargé, et si oui pour quelle raison? Je l’ignore. Alan Northrop et un autre homme avaient été condamnés en 1993 à 23 ans de prison pour viol.
En 2010 ils ont été libérés de toute charge grâce à l’analyse ADN: ils ne sont pas des violeurs. Alan est sorti libre après 17 ans d’attente. Sans un sous de compensation de la part de l’Etat. Il a trouvé un petit boulot à 12 $ de l’heure dans la ville de Vancouver WA. Au bord de la Columbia River.
Aujourd’hui l’Etat lui demande de payer 111’000 $ au titre de 17 ans d’arriérés de pension alimentaire pour ses enfants nés avant son emprisonnement. Un montant de 100 $ lui est pris d’office sur son salaire (moins de 2’000 $ par mois, la moitié du salaire moyen à Vancouver). Les autorités de l’Etat de Washington annoncent que la loi va changer et que les personnes accusées à tort et emprisonnées injustement seront dédommagées, spécialement celles accusées à tort de délit sexuel, au vu de ce qu’une telle accusation détruit dans leur vie.
Ce changement ne concernera pas Alan Northrop, mais les prochains accusés à tort. Alan travaille et compte chaque centime pour s’en sortir. Il médite sur la justice au bord de la Columbia River. On ne sait pas ce qu’il est advenu de la victime, ni pourquoi Alan et son co-accusé ont été choisis pour endosser un crime qu’ils n’avaient pas commis.
Personne ne chante dans le port de Vancouver, Washington State. Mais Alan continue à vivre. Car il faut vivre malgré tout.
« Le destin met des pierres sur notre chemin. Diamant ou charbon. La récolte est bonne ou le champ brûle. Nous ne choisissons pas tout. Mais que faisons-nous de ces pierres ? Que faisons-nous du destin ? Cela nous appartient. » (Les contes de Crocodile River)
Image 2: Ashley Chow.