J’ai connu ces moments d’euphorie, à parler pendant des heures et des jours avec des amis ou avec des inconnus, dans la rue ou en réunion. L’exaltation était grande: une érection intellectuelle! On surfait sur les mots, on suait des idées.
Mais voilà: les groupes, les grands défilés, la répétition de slogans sortis de la bouche des leaders, ce n’est pas trop mon affaire. Je sais comment, dans les groupes les plus spontanés, se glissent des individus forts en rhétorique aux desseins plus politisés. Je sais comment des amis, des frères, peuvent devenir féroces sous l’emprise d’une foule.
En mémoire de mes expériences passées j’ai voulu voir ce qui se dit dans les débats du mouvement Nuit debout. J’ai cherché l’info sur le net: forums, site du mouvement, vidéo, blogs. J’ai par exemple lu Pachakmac sur le sujet car il s’y investit fortement.
Si je regrettais précédemment que ce mouvement soit déjà clivé et qu’il reprenne un vieux discours du passé, je vois d’autres intentions surprenantes. Ainsi, cette suggestion pour les footballeurs très riches et célèbres:
« … il y a moyen pour que les génies, (…), contribuent beaucoup mieux aux strates inférieures de leur sport et à la société en général en reversant une bonne part des gains obtenus dans un pot communautaire démocratique. C'est un exemple parmi d’autres. »
Idée construite sur un jugement moral: un gros salaire serait indécent. Comment le rendre décent? En le donnant, pardi. C’est toujours simple de dire aux autres ce qu’ils devraient faire pour être du bon côté...
Et faire quoi? Un « pot communautaire démocratique » pour améliorer entre autres le destin de jeunes joueurs. D’abord, qu’est-ce qu’un pot communautaire démocratique? Une somme mise sans proportion aux gains (un pot n’est pas l’impôt). Mais qui en déciderait l’attribution? Et comment serait-elle attribuée? Pour cela il faut une administration neutre qui sache où mettre les priorités. C’est ce que fait déjà l’État:
« … des mesures "sports pour tous" via le financement du plan "citoyens du sport" qui vise à développer la pratique du sport dans les quartiers populaires et le soutien aux sportifs de haut niveau ».
et aussi:
« … 12,1 M € seront dédiés au plan "citoyens du sport", à travers la création de postes d'éducateurs et qui vise à développer la pratique du sport dans les quartiers populaires. »
L’État soutient les strates inférieures du sport, par le financement de formations, l’édification de centres sportifs, la création de postes d’éducateurs sportifs, le soutien au sport de haut niveau qui engendre des vocations, entre autres. Grâce à quoi? À l’argent public, dont celui des sportifs les mieux rémunérés, qui paient pour certains de très grosses sommes au fisc.
Leur argent alimente également les caisses publiques par la TVA et par les impôts des commerces ou entreprises auxquels ils ont recours. La richesse appelle la richesse, pour autant qu’elle soit suffisamment partagée. Et si l’on peut être choqué par les montants de certaines rémunérations de footeux, il faut aussi savoir que leur argent en banque permet à d’autres de demander un crédit pour développer une affaire.
Ces vedettes sont à l’origine d’un business qui fait travailler diverses corporations. Ils peuvent investir eux-mêmes, ou donner une part de leurs revenus à des associations. Certains le font discrètement. Le pot démocratique existe déjà.
Par ailleurs je pense que chacun doit faire avec ce qu’il est et ce qu’il a (moyens, compétences, opportunités) sans jalouser son voisin, fût-il très riche. Le vrai mérite à mon sens n’étant pas de lui ressembler ou de le stigmatiser, mais de faire de notre mieux avec ce qui nous est donné, et de prospérer chacun à notre mesure.
Toutefois les inégalités de revenus sont plus criantes quand la situation des petits revenus se dégrade. Un État moderne doit tenir compte de toutes les composantes de la population pour tendre vers une nécessaire équité. Laquelle équité participe pour une part importante à la cohésion sociale.
Mais désigner les riches comme ceux qu’il faut quasiment rééduquer, c’est classique et discriminant. On crée un ennemi, on fabrique un bouc émissaire. The same old story. Les riches sont des cibles idéales. La critique de la société devrait s’accompagner d’une critique de la critique, avec analyse des présupposés et des pré-formatages qui alimentent cette critique. Le but: voir une même situation sous tous les angles, en véritables situationnistes. Sans quoi la cécité nous guette.
La moyenne des revenus en France varie de 10’400€ à 36’300€ par année, soit un rapport de 3,5 entre les plus bas et les plus hauts revenus moyens. Il s’agit de moyenne et l’on sait que certains PDG gagnent des centaines de fois de salaire le plus bas. Selon le gouvernement, 10% des foyers fiscaux les plus aisés paient 74% de l’impôt sur le revenu.
Il y a toujours des individus ou des groupes plus riches. Ce sont eux qui investissent. Le problème éventuel réside plus dans l’usage de la richesse et le comportement de certains possédants, que dans la richesse en elle-même. Sans cette analyse fine et différenciée des comportements, désigner patrons ou riches vedettes de foot ou du cinéma comme ennemis du peuple est préparer de futurs décapitations, symboliques ou réelles. Je ne vois pas de quoi réenchanter le monde.
C’est peut-être mieux: la politique n’est pas faite pour rêver mais pour gérer les institutions des sociétés humaines et redistribuer l’argent public selon des choix. L’enchantement, c’est ailleurs.
Commentaires
Là je suis bien plus d'accord !
Les initiatives les plus vaines émergeant de certains groupes qui essayent de drainer l'énergie d'autrui, au nom d'une fraternité contestataire, vers de ridicules actions à côté de la plaque m'ont toujours profondément déprimé. On est à la limite de la connerie de potache.
Vous oubliez les pays où l'idéalisme aveugle a triomphé dans toute sa splendeur pendant quelque temps, comme le Cambodge: on y a vu la démonstration, répétée en moins extrême ailleurs, que dans un premier temps il faut massacrer les riches et les puissants, puis prendre leur place à la tête des survivants pour s'adonner à ses propres affaires.
Il n'y a guère de révolution qui a échappé à ce scénario, mais bon, on peut toujours se boucher les oreilles et fermer les yeux.
Nuit debout est un rituel de contestation utile à renouveler les futurs cadres du PS.Il est connu que tous les x temps, les lycéens s'amusent à manifester et bloquer les écoles. Le tout est toujours bien encadré par les syndicats et les profs engagés à gauche. Au finale, cela permet de faire sortir quelques éléments, qui s'engageront dans un parti de gauche ou syndicat.
Prendre la rue politiquement, c'est le risque de se confronter à ceux qui la tiennent. Dans des grandes villes comme Paris (ou même Genève), politiquement ce sont les antifas et la gauche extrême (le reste du temps des gangs ou mafias ethniques). J'imagine mal un groupe de jeunes UMP, PLR, UDC ou autres tenir des meetings en pleine rue, de manière improvisée. Ils se décourageraient vite et seraient remballés, probablement avec violence, par l'extrême gauche.
Au final, seul de discourt marxiste primaire a le droit d'être exprimé. Et il faut trouver des cibles. Car un groupe ne peut exister que par une lutte, et donc contre quelque chose ou quelqu'un.
Très cher hommelibre ...
« Idée construite sur un jugement moral: un gros salaire serait indécent. Comment le rendre décent? En le donnant, pardi. C’est toujours simple de dire aux autres ce qu’ils devraient faire pour être du bon côté... »
Je crains qu'il y n'y ait dans l'hypothèse de départ de votre billet une légère confusion.
Ainsi, vous assimilez cette sorte de règle "morale", ... comment rendre quelque chose d'indécent, gagner de l'argent, en quelque chose de décent ... à une sorte de _pardon_ ... offert par les pauvres.
Or selon la _morale_ chrétienne, pour qu'un pardon soit offert, encore faut-il que l'auteur d'un acte faisant du mal, réalise d'abord qu'il a effectivement causé du mal, et de lui même vienne *** demander *** pardon à ceux qu'il a lésés. Là, on peut alors parler de _morale_. C'est bien de _morale_ chrétienne à laquelle vous référez, n'est-ce pas ? Sinon, à quelle morale faites vous référence ?
Remarquez, votre billet tombe bien sur le blog de la Tribune de Genève, parce que un certain Max Weber ...
https://fr.wikipedia.org/wiki/Max_Weber
... a écrit une thèse intitulée "L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme", dans laquelle il avance que le père du capitalisme est ... Jean Calvin ... et ainsi contribué au rayonnement de Genève que vous devez proabablement connaître.
Mais comme mon temps pour vous raconter des histoires est limité, je vous laisse en découvrir le détail ici ...
http://larevuereformee.net/articlerr/n244/la-liberte-et-largent-calvinisme-et-economie
Ainsi, ce ne sont pas les manifestants de la Nuit Debout qui ont "inventé" cette fameuse règle "morale" de _redistribution de l'argent gagné_, sous-entendu ... les profits ... mais la condition pour que _gagner de l'argent_ ne soit pas un _pêché_. Une sorte _d'excuse_ de l'église pour ceux qui ont la "chance divine" de gagner de l'argent, certains beaucoup d'argent, y compris sur le dos des pauvres.
Accessoirement, Jean Calvin vécut et décéda environ 3 siècles avant Karl Marx.
Bonne soirée à vous.