C’est une frustration. La frustration des perdants face aux gagnants. Et il n’y a pas de solution institutionnelle à cela. 45%, 48% ou 49,5% des votants sont renvoyés dans leur chaumière avec pour seule perspective d’attendre les prochaines élections et de regarder ses adversaires se lâcher sans réserve? C’est la règle démocratique.
Les frustrations sont légions après le vote des Grands-Bretons. Celles et ceux des anglais qui croyaient à l’Europe en sont arrachés brutalement. De quoi être frustré.
Dans la foulée une pétition en ligne, forte de trois millions de signataires, demande de revoter sur la sortie de l’Union Européenne. Ces gens ont-ils bien réalisé que le vote a déjà eu lieu? Depuis quand voterait-on et revoterait-on jusqu’à arriver au résultat voulu par les frustrés de la démocratie?
Depuis quand dénie-t-on aux urnes le fait de rendre un verdict défavorable à son propre camp? Trois millions demandent de revoter. Probablement trois millions ayant déjà voté non, ce qui leur enlève toute légitimité. Ils se sont exprimés, on ne revote pas. La démocratie n’est pas un jeu.
Comment le projet européen, projet de paix et de prospérité qui a mis fin à des siècles de luttes et de guerres, de frontières instables, d’irruption de dictatures, peut-il être à ce point rejeté par certains? C’est peut-être le moment de tirer un bilan intermédiaire et de repenser ce projet. Il y a une telle diversité historique en Europe qu’un modèle de fédération doit trouver ses formes propres. Par exemple, que met-on sous l’autorité d’un gouvernement central européen à créer, et que laisse-t-on à l’autorité nationale?
Les sceptiques sur l’Europe n’ont certes pas le triomphe modeste. Mais la frustration des perdants n’est pas plus belle à voir. Plutôt que d’analyser, de réfléchir, beaucoup de commentateurs stigmatisent les opposants en les traitant d’europhobes. C’est de la même veine que le mot raciste. Ne peut-on, en démocratie, débattre d’un projet sans être insultés en cas de désaccord? Les partisans de l’Europe sont-ils si peu inspirés, si peu enthousiastes et créatifs, si faiblement respectueux de la démocratie, disons-le: si bêtes, qu’il leur faille dénigrer moralement leurs adversaires? Leur frustration les aveugle. Mais la frustration n’a pas de valeur civique et la démocratie n’est pas un jeu.
À Notre-Dame-des-Landes la population régionale a voté en faveur de la construction de l’aéroport. Ce projet vieux de 40 ans est combattu par les Zadistes (partisans des ZAD, Zones à Défendre), au nom du bocage se trouvant sur le lieu des travaux.
Pourquoi faire voter à un référendum régional consultatif, sans valeur contraignante, alors qu’en France le référendum effectif n’existe pas? Le gouvernement n’a pas osé assumer les décisions démocratiques déjà prises et s’est défaussé sur ce vote.
Bien sûr cela donne une nouvelle légitimité au pouvoir. Mais si chaque défense des grenouilles à deux têtes ou des bousiers sacrés produit une telle débauche d’énergie au niveau national, il deviendra préférable de ne plus rien faire. Comme cela personne ne s’opposera. Parce qu’en l’état, les Zadistes qui s’opposent au nouvel aéroport ne semblent pas prêts à accepter le résultat du référendum. Pourtant c’est la démocratie, et celle-ci n’est pas un jeu.
Un festival de street-art s’est déroulé dans la préfecture de l’Isère. Dans ce contexte une fresque a été réalisée par l’artiste Goin sur un mur de la ville. Elle représente deux policiers anti-émeute qui matraquent Marianne, symbole de la France et de la liberté.
Elle est couchée au sol avec le drapeau tricolore. L’un des policiers tient un bouclier où il est écrit: 49.3, le chiffre de l’article constitutionnel qui permet de voter une loi sans débat ni majorité. Si le procédé est frustrant pour les députés il n’en est pas moins légal.
Le titre de cette oeuvre de rue est L’État matraquant la Liberté. Prétendre que cet article 49.3 tue la liberté est évidemment excessif.
Taper sur les flics comme trop souvent n’est que borborygme préhistorique d’une frange irresponsable de la société. Mais le défoulement des frustrations ne fera pas changer d’un iota le blocage intellectuel français, fait de clivage exacerbé, d’autoritarisme, de surdité et d’arrogance, et d’une vision politique boiteuse. La démocratie n’est pas un jeu.