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Crise de charabiase épicène à Libé

Les profs vont apprécier. Le quotidien a publié le 4 mai une tribune en soutien au mouvement des gilets jaunes. Il est signé par environ 1’500 artistes français, connus ou non. La tribune se termine par un bouquet final épicène le plus déjanté que l’on puisse lire – si l’on arrive encore à lire.

 

epic-02.jpgRègles

Ça commence tranquillement avec des citoyen·ne·s et des aut·eur·rice·s. Deux singularités: d’une part la multiplication des points médians. Elle produit une décomposition illogique des mots concernés par cette torsion du langage.

D’autre part le choix du féminin autrices plutôt qu’auteures, voire auteuses. Il s’inspire possiblement d’un rapprochement avec les mots moniteur-monitrice, orateur-oratrice, facteur-factrice, protecteur-protectrice.

La terminaison -teur se féminise donc souvent en -trice. Mais aussi en -re et -reuse: docteur-doctoresse ou docteure; menteur-menteuse, rapporteur-rapporteuse.

Il y a des règles de féminisation. Vérifions:

« 3.3. Noms se terminant par -teur

3.3.a. La forme féminine se termine par -trice dans les conditions suivantes :

il n’existe pas de verbe correspondant au nom (agriculteur, aviateur, instituteur, recteur...),

il existe un verbe correspondant au nom, mais dont la terminaison ne comporte pas de -t- (accompagner-accompagnateur ; calculer-calculateur ; conduire-conducteur...), indépendamment de l’existence d’un verbe correspondant, il existe un nom corrélé morphologiquement se terminant par, -tion, -ture, -taire ou -torat (éditeur-édition ; lecteur-lecture ; tuteur-tutorat…). »

 

 

epic-03.jpgMorphologie

Il n’y a pas de verbe correspondant au substantif auteur. Il entre bien dans la première catégorie et son féminin est juste: autrice. Néanmoins tout le monde n’a pas adopté cette règle. L’adjonction d’un -e est parfois préférée.

Le féminin autrice n’est pas nouveau. Un article du Temps donne quelques précisions à ce sujet:

« Autrefois note l’académicien Frédéric Vitoux, «il était d’usage d’employer le mot “autrice“, comme on le faisait du féminin d’acteur, “actrice“. Cela entrait en cohérence avec sa racine latine». Le mot bien que jugé «laid» pour certains fut ainsi usité jusqu’au début du XVIIe siècle. Et, cela fut le cas également des mots «auteresse» et «authoresse», précise le Trésor de la langue française. »

L’académicien ajoute:

« J’éviterai d’employer le mot «auteure» car il n’entre pas avec la morphologie de la langue. Les mots français qui se terminent en «-eure» sont très rares. Pourquoi donc ne pas écrire «une auteur»? Il existe plein de mots faisant leur féminin en «-eur». C’est le cas par exemple de «douceur», «odeur», etc. »

 

 

Epic-01.jpgDanseu·r·se·s

Un problème actuel est la politisation de la langue. L’idéologie veut formater le langage sans que les populations aient leur mot à dire. Si ce n’est pas l’univers décrit dans 1984 ça y ressemble.

La politisation plus générale de la Tribune publiée par Libération passe par la tentative d’amalgamer différentes problématiques: féminisme, écologie et rupture sociale. On ratisse, on ratisse. Alors même que les précaires seront les perdants des politiques de « régulation » climatique et que le féminisme des bourgeoises de gauche et des déjantées ne les concernent pas.

Ce qui est classé sous épicène relève aussi de la désarticulation intellectuelle. Voici le bouquet final de cette Tribune:

« Nous, écrivain·e·s, musicien·ne·s, réalisa·teur·trice·s, édit·eur·rice·s, sculpt·eur·rice·s, photographes, technicien·ne·s du son et de l’image, scénaristes, chorégraphes, dessinat·eur·rice·s, peintres, circassien·ne·s, comédien·ne·s, product·eur·rice·s, danseu·r·se·s, créat·eur·rice·s en tous genres, sommes ­révolté·e·s par la répression, la manipulation et l’irresponsabilité de ce gouvernement à un moment si charnière de notre histoire. » 

 

 

epic-04.jpgSculpt·eur·rice·s

Cette partie de l’écriture épicène était initialement réservée aux administrations. Or on la voit se répandre dans des textes que sa prétendue fonction égalitaire rend illisibles et générateurs de confusion, ou de décrochage du message. Imaginez Notre-Dame de Paris avec ce type d’écriture.

Et pour ce qui est de la règle mentionnée plus haut: sculpteur n’entre pas dans la première catégorie. Le substantif entretient un rapport direct avec le verbe sculpter. Ce verbe contient un t dans sa terminaison. Or:

« 3.3.b. La forme féminine se termine par -teuse lorsqu’au nom correspond un verbe en rapport sémantique direct comportant un -t- dans sa terminaison et/ou qu’il n’existe pas de substantif corrélé se terminant par -tion, -ture ou -torat»

Sculptrice serait donc incorrect et devrait être remplacé par sculpteuse. Et surtout, quoi que l’on décide, il est préférable de ne pas massacrer la langue par d’abscons sculpt·eur·rice·s ou danseu·r·se·s qui, en plus de donner envie de devenir analphabète, ne font de toutes façons du féminin qu’un rajout ou un appendice du masculin.

Bonne nouvelle: il semble peu probable que la poésie soit contaminée. Imaginons Baudelaire écrivant ainsi ces vers de la Danse Macabre, extraite des Fleurs du Mal:

 

« Le gouffre de tes yeux, plein d’horribles pensées,

Exhale le vertige, et les danseu·r·se·s prudent·e·s

Ne contempleront pas sans d'amères nausées

… »

 

Ce n’est plus la Danse Macabre, c’est Kill Bill! Il y a plus gracieux. Par exemple Guillaume Apollinaire:

 

Epic-05.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Catégories : Féminisme, Politique, société 7 commentaires

Commentaires

  • Et pendant ce temps, que se passe-t-il de sérieux dans le reste du monde?

  • Quelle supplice pour nos yeux!Vous faites bien de nous les soulager par les poèmes!

  • Quel suppleur ;)! Nos yeux plissent ;)

  • Hommelibre,
    vous faites bien de dénoncer cette torture du langage.
    « Nous, écrivain·e·s, musicien·ne·s, réalisa·teur·trice·s, édit·eur·rice·s, sculpt·eur·rice·s, photographes, technicien·ne·s du son et de l’image, scénaristes, chorégraphes, dessinat·eur·rice·s, peintres, circassien·ne·s, comédien·ne·s, product·eur·rice·s, danseu·r·se·s, ..."
    Le langage épicène est plus simple, plus esthétique et plus respectueux de la musicalité que les auteurs de textes et de messages y mettent. Souvent cette musicalité est consciemment pétrie pour la compréhension du leurs contenus.
    L'épicène consisterait à dire " Nous, hommes et femmes de la profession de..." ou bien plus simplement "Nous, de la profession de.. Dans la fonction de,,., les représentants de..."

    Je crois, à défaut de se proclamer académiciens, cette élite artificielle née des démocraties factices, veut inventer sa propre aristocratie et une nouvelle école. Son code (infernal) de sélection qui lui permet de reconnaître les siens ainsi que ses cercles soumis. A défaut d'être estimée, elle en veut une déférence et l'effacement des contestataires.
    Si la bourgeoisie a fait ou récupéré plusieurs révolutions à différents endroits de la planète, cette aristocratie contemporaine, hissée au rang de fortunés et de puissantes autorités publiques, veut dominer ceux qu'elle prétend protéger. Et le meilleurs exemple pour elle est de faire le procès de la droite sur ces questions, celle qui s'est dit libérale, historique et porteuse de lumières, Le procès du conservatisme et du crime de l'inégalisme. Ainsi, elle aura produit "Le" succédané de l'égalité bien plus concurrentiel et plus vendeur que l'égalité elle-même, tout nue.

    Allez savoir si cette forme d'écriture et du parler, n'entrave pas la compréhension, toutefois elle ôte aux idées la force de percussion qui me semble pourtant essentielle dans un message.

    Pour ma part, je ne changerai rien dans ma manière de rédiger, Le soucis d'être compris devrait primer sur le reste.
    Si j'en suis là, c'est peut-être parce que je ne suis pas francophone. Mais quelle satisfaction quand mes textes sont compris. Pour l'instant je n'ai pas encore reçu d'objection pour avoir ignoré la féminisation des mots. Je me sens pourtant pas moins féminine et je jouis pleinement de mon statut et des attributs de femme, Indépendante en tous points et souveraine dans mes choix et décision.

    S'il y a bien un combat à mener, c'est bien dans le domaine professionnel pour une égalité de traitement salarial, promotionnel, égalité des conditions d'embauche et dans la qualité des rapports sur le place-même de travail.

  • @ Beatrix,

    Je partage cet angle de vue:
    "Je crois, à défaut de se proclamer académiciens, cette élite artificielle née des démocraties factices, veut inventer sa propre aristocratie et une nouvelle école. Son code (infernal) de sélection qui lui permet de reconnaître les siens ainsi que ses cercles soumis. ".

    Pour ma part je féminise parfois, mais pas systématiquement. La fluidité de lecture doit être préservée, elle est aussi importante que le contenu.

    "Mais quelle satisfaction quand mes textes sont compris."

    Oui, t0ut-à-fait.

  • @Béatrix
    Je vous donne raison. J'ai cependant changé sur un point: j'écris "Madame, Monsieur"
    au début d'une lettre.

  • @ Mère-Grand,
    Oui je fais de même et c'est depuis que j'ai appris à écrire. Même si on ignore qui est le répondant de son courrier administratif ou commercial, on imagine aisément une dame autant qu'un homme.

    Le marché du travail s'est enrichi de la présence toujours plus massive des femmes. Elles sont tout aussi exploitables et rentables. Pourquoi les gaspiller en les reléguant à la maison au service de la personne de leur conjoint et de leurs enfants ou parfois de leurs aînés? (je suis volontairement cynique au contact du réalisme néo-libéral).

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