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Jura : la mort des hêtres, plutôt une bonne nouvelle

Nous assistons en direct à un phénomène naturel rare: la mutation d’un écosystème. En l’occurrence la forêt jurassienne. La catastrophe forestière annoncée est une étape dans cette mutation. « 17% des hêtres analysés présentent des feuilles brunes et ont subi des pertes importantes de feuilles. »

 

arbres-06-sec.jpgDépérissement partiel

Un article du Temps du 8 juillet dernier annonçait sous la plume de Yan Pauchard:

« Le hêtre se meurt dans les forêts jurassiennes. La faute au réchauffement climatique qui accélère la mort de cette espèce d’arbres. Ce lundi, le canton du Jura a officiellement tiré la sonnette d’alarme. Dans un communiqué, son gouvernement parle d’un phénomène «grave et inédit». Il a déclaré la situation de «catastrophe forestière». »

Ce n’est pas si simple. Je suis allé creuser un peu cette info. D’abord ce ne sont pas tous les arbres des forêts jurassiennes, ni tous ceux d’une même espèce. Ce sont certains arbres.

Comme le précise en titre cet article paru sur le site spécialisé Woodrise: « La forêt ne meurt pas, mais des arbres meurent ». On y apprend aussi « qu’un déficit d’eau aussi important se produit en règle générale une fois tous les cent ans ». C’est exceptionnel mais pas nouveau.

Ces informations méritent quelques précisions. Selon différentes sources les arbres dépérissent en premier lieu en raison de la longue période de sécheresse de 2018. Laquelle est ou non un effet du réchauffement du climat. On n’en sait rien, les grandes sécheresses ont eu lieu de tous temps.

Mais la sécheresse n’est pas la seule cause du dépérissement. Elle ne semble qu’un élément de plus. Comme souvent en matière de climat et d’environnement, les choses sont complexes:

« Très souvent, c’est une combinaison de causes qui provoque la mort des arbres. Par exemple, de nombreux pins meurent actuellement dans les fonds de vallée en Valais. Ce dépérissement est dû à une combinaison d’années de sécheresse, de températures en hausse, de modifications de l’utilisation de la forêt, de concurrence avec d’autres espèces d’arbres, de pullulations d’insectes, d’infestation par des maladies dues à des champignons, et de présence importante de gui. »

 

 

arbres-02.jpgPouvoir tampon

Le sol du Jura ne retient pas assez d’eau. C’est dans sa nature. Il est donc plus sensible et vulnérable aux conséquences d’une période de sécheresse. Cela signifie par exemple que ce ne sont pas toutes les forêts de Suisse ou d’Europe qui dépérissent mais seulement un pourcentage d’arbres dans certaines régions, selon le sol.

Cela dit, si une véritable désertification était en cours ce serait une chose difficile à vivre pour les habitants. Car l’espace intérieur d’une forêt, sous la canopée, est environ 4° moins chaud que l’air extérieur (ou davantage avec le réchauffement). Elles forment des tampons de fraîcheur et d’humidité contre les grosses chaleurs.

Leur disparition frapperait une région plus vaste que leur seule superficie.

Elle causerait également la perte d’une grande part de biodiversité et réduirait la formation de futurs nuages (donc les précipitations, cf expérience Cloud sur les aérosols forestiers et la formation des nuages).

« Pour la première fois, les chercheurs montrent également qu’avec l’augmentation des températures, le pouvoir tampon des températures maximales des forêts mondiales augmente également. Le réchauffement des températures maximales de l’air à l’intérieur des forêts est donc probablement plus faible que prévu.

(…) Même si les températures en dehors des forêts continuent d’augmenter, les températures dans les forêts ne suivent pas nécessairement la même tendance. Le découplage entre les températures à l’intérieur des forêts et celles à l’extérieur augmente tout simplement.

 

 

arbres-09.jpgVieux et riches

Les forêts peuvent donc véritablement être considérées comme un tampon contre le réchauffement climatique. Par conséquent, nos conclusions soulignent la nécessité de conserver nos forêts existantes et de renforcer les efforts de reboisement. »

Le scénario pessimiste est donc la mort à terme de la forêt jurassienne et l’écrasante responsabilité du réchauffement. Mais il n’est pas le seul possible. Le scénario réaliste est que nous assistons à un cycle naturel très ancien: la vie, la mort et le renouvellement des forêts.

Comme au Sahara, qui alterne les périodes arides et les périodes vertes depuis des dizaines de milliers d’années. Des chercheurs du MIT ont évalué la durée de ce cycle sec/humide: environ 20’000 ans. À ce jour personne n’en explique les causes.

Les arbres sèchent, brûlent, des espèces sont chassées d’une région. Mais les arbres repoussent. Ils s’adaptent si c’est possible, ou sont remplacés par d’autres. Ce processus dépend de facteurs locaux tels que mentionnés plus haut, mais aussi des grands bouleversement climatiques passés.

Ce ne serait pas un problème si l’Homme ne s’était pas sédentarisé sur des territoires et ne voulait pas conserver son environnement à l’identique, détaché des cycles naturels. Des arbres, des forêts vivent et meurent. C’est naturel.

En Suisse l’Office Fédéral de l’Environnement (OFEV) prend en compte ces paramètres. Plus les arbres sont vieux et plus la forêt est riche en biodiversité. Les arbres morts sont nécessaires au maintien de cette biodiversité.

 

 

arbres-07-sec.jpgAdaptaçion

Les arbres secs encore sur pied offrent des nids à une faune terrestre et aérienne. La décomposition attire les insectes, nettoyeurs des sols et nourriture pour certaines autres espèces. Bactéries utiles et champignons achèvent de restituer la matière à la Terre.

Quand on dit que les forêts sont attaquées par des parasites, on doit y opposer un autre mot, moins excluant et agressif, et remercier la nature de produire autant de biodiversité.

On ne peut d’un côté prôner cette dernière comme un point cardinal des politiques environnementales, et de l’autre côté diaboliser comme parasites et détruire à tout prix ces insectes qui sont justement ladite biodiversité.

D’ailleurs l’OFEV recommande:

« Pour les espèces liées aux vieux arbres, il est donc primordial de permettre à une partie de la forêt d’accomplir son cycle naturel sans exploitation afin de permettre aux arbres de mourir de mort naturelle en forêt et de s’y décomposer. »

C’est ce que l’on nomme les îlots de sénescence. Les chênes, à longue durée de vie, sont particulièrement concernés. Les forêts jurassiennes sont composées d’arbres à durée de vie plus courte. Néanmoins le Département de l’Environnement cantonal affirme:

« La part de bois mort en forêt, bien qu'en augmentation, reste insuffisante pour garantir la biodiversité. »

Aux anciens temps des chasseurs-cueilleurs, on changeait de territoire selon les grandes variations climatiques. Aujourd’hui la sédentarisation a changé la donne: ce n’est plus l’Homme qui s’adapte à la nature, mais la nature qui doit s’adapter aux hommes.

 

 

arbres-12-papill.jpgBonne nouvelle

L’Homme voudrait figer l’Histoire et la Terre. À cause de cela, la diminution d’une espèce est devenue une plus grande menace que par le passé.

Dans un cycle entièrement naturel une forêt met un long temps, parfois des siècles, à se régénérer. Pendant ce temps des espèces diverses y prospèrent successivement. Par l’effet de la compétition biologique de nouvelles espèces de végétaux s’insèrent parfois et modifient la forêt initiale, et contribuent à sa recomposition.

Dans le cas du Jura les responsables qualifient de catastrophique l’état de leurs forêts. L’industrie forestière, importante dans le Jura, perd des revenus avec des arbres secs. Pour cette raison, mais également pour la biodiversité et pour tout ce que la végétation apporte à une région, le canton du Jura appelle Berne à son aide.

Que va-t-il se passer? On arborisera artificiellement, avec des espèces plus résistantes aux conditions climatiques modernes. L’Homme a pris l’habitude de forcer la nature et contraindre son environnement. L’écologie est une nouvelle raison de continuer la domination de l’Homme sur la Terre.

Mais que faire d’autre? Attendre l’aboutissement du cycle naturel et accepter la perte des forêts du Jura pendant plusieurs siècles? Je doute qu’un politicien ou une politicienne propose cette solution. Même avec douceur, nous continuerons à contraindre la nature, probablement plus que jamais au vu des moyens technologiques dont nous disposons.

Néanmoins les variations climatiques soustraient en partie cette nature à l’emprise humaine. Du point de vue philosophique je trouve que c’est plutôt une bonne nouvelle.

 

 

 

3 commentaires

Commentaires

  • Après une lecture rapide, rien à redire si ce n'est à apporter une précision ici:
    "On ne peut d’un côté prôner cette dernière comme un point cardinal des politiques environnementales, et de l’autre côté diaboliser comme parasites et détruire à tout prix ces insectes qui sont justement ladite biodiversité."
    Plusieurs cas:
    - la pyrale du buis, Importée de Chine, ne fait pas partie de la biodiversité européenne. Détruit les buis suite à leur pullulation.
    - la maladie des frênes qui s'attaque aux racines et menace les arbres atteint de chute inopinée. La maladie progresse vers le sud et l'ouest, ayant déjà atteint la France et l'Italie. Sa progression n'est pas freinée à cause de la diminution des populations d'oiseaux notamment en France (mésanges, coucous).
    - la processionnaire du pin progresse vers le nord (je vous laisse en deviner la cause); biodiversité je veux bien, mais cette espèce est dangereuse pour l'homme et certains animaux,
    - aux USA, le Dendoctronus frontalis progresse aussi vers le nord. Ne fait pas partie de la biodiversité canadienne qu'il pourrait atteindre.
    - le Bursaphelenchus xylophilus nématode importé d'Amérique du Nord s'attaque aux pins européens (premières attaques en péninsule ibérique). Ne fait pas partie de la biodiversité européenne (espèces invasive), Aux USA les espèces de pins locaux ont eu le temps de s'adapter, pas les espèces européennes ou asiatiques..
    Etc.

  • Hola John,
    Merci beaucoup pour ce tour très complet de l'évolution des forêts, avec leurs heurs et malheurs.
    Je me demandais s'il y avait un lien entre l'âge des hêtres qui meurent et la sécheresse/chaleur. Je n'ai rien lu à ce propos ni dans vos liens ni ailleurs et la question me semble intéressante.
    Bon week-end, ici au frais... dans la maison.!!

  • Bonjour Colette,

    Je n'ai pas non plus trouvé de détails sur l'âge des arbres atteint, selon ce rapport. À creuser.

    Ici aussi au frais... en attendant une autre vague de chaleur. (ô¿ô)

    Bon week-end..

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