En regardant sur Planète le destin du porte-avion “Entreprise”, dont la présence a été décisive dans la guerre du Pacifique pendant la deuxième guerre mondiale, de nombreuses questions m’assaillent.
L’épopée de l’Entreprise est unique. Il a tenu malgré les très nombreuses attaques dont il a été l’objet, tenu pendant toute la durée de la guerre. Plusieurs fois réparé, amélioré, il reste un navire de légende.
“O Barbara, quelle connerie la guerre”, écrivait Jacques Prévert dans un poème émouvant. Oui mais voilà, elle a eu lieu. Le Japon avait les moyen d’envahir les Etats-Unis. Avec le fascisme japonais en Amérique, et le fascisme germano-italo-espagnol en Europe, à quoi le monde aurait-il été voué? Nous marcherions au pas sur des musiques militaires, dans un Etat si policier que notre gouvernance actuelle ferait figure de pouponnière.
Et je pense à deux types d’organisation sociale. Celle, militaire, disciplinée, volontariste, très efficace, ayant permis de préserver la liberté (même relative) dont nous jouissons. Et celle, “organique”, auto-organisée, spontanée, de la culture anti-autoritaire.
Les deux ont leur raison d’être. La seconde est proche du fonctionnement physiologique et naturel, dotée d’une organisation mais créative, avec de nombreux synapses libres capables d’inventer de nouvelles voies pour l’humain. Mais incapable de préserver l’acquis en cas de catastrophe. La première est forte de sa détermination, puissante par le ciblage de ses objectifs et la fermeté de ses repères, mais incapable de créer autre chose que du connu, de faire autre chose que répéter les anciens systèmes de société et de penser par soi-même.
Je penche naturellement pour la seconde, pacifiste, ouverte. J’y travaille à ma manière, personnellement et professionnellement. Pourtant je dois reconnaître que sans la première je n’aurais probablement pas eu l’opportunité de créer ma vie, d’être en accord ou en désaccord, de tenir des débats contradictoires. Sans la première je subirais l’écrasante pesanteur autoritaire de l’esprit d’humains déviants comme Hitler, Staline et d’autres.
Difficile aveu de reconnaître que la seconde organisation, inventive, libre, ne serait pas là sans la première, militaire, disciplinée.
Entre deux monde, le temps n’est peut-être pas encore prêt pour choisir la seconde et abandonner la première. La guerre, l’agression, sont fortement présents dans le monde. Et je dois bien reconnaître que c’est encore à l’abri des forces armées que fleurissent des espaces de créativité et d’évolution.
Curieuse réflexion pour moi ce soir. Dont je ne sais encore que penser. Entre Prévert et sa Barbara d’un côté, et le courage et la discipline des gars de l’Enterprise dont beaucoup ont donné leur vie, faut-il choisir?
Barbara - Jacques Prévert (extrait)
"Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
Épanouie ravie ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t'ai croisée rue de Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même
Rappelle-toi Barbara
Toi que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais pas
…
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu'es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d'acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
…"
L'Enterprise
Commentaires
Sans guerre la paix n'existerais pas, je pense.