- Grrrrmmppettt!
- Rrrdnkwe krraaaa.
- Sssstupnttt bqqpx!
Je ne suis pas Champollion devant les hiéroglyphes et je n’ai pas la traduction. Il faudra attendre quelques centaines de milliers d’années pour que l’on sache précisément ce qui s’est dit ce jour-là. Et il en aura fallu des essais, des reformations des voies respiratoires pour aboutir au langage précis, organisé, chargé de sens concret et abstrait, d’émotions, que nous connaissons.
Je pensais à cela en lisant le commentaire d’aoki cette nuit sous mon billet d’hier soir, billet où je témoigne de la suite de mon expérience du cancer sept jours après l’opération.
«De bien beaux moments de grâce, par le partage !»
On peut se demander à quoi cela sert de faire état d’une expérience très personnelle, intime, d’y mêler des parcelles de ma vie, d’écrire cela sur un forum sans savoir qui lira et comment il lira.
D’abord je pense que si les humains n’avaient jamais tenté de partager leur expérience, leur joies, et souffrances, il n’y aurait aujourd’hui ni langage, ni poésie ni médecine. Les humains passeraient à côté des uns des autres sans communiquer.
La mentalité bourgeoise et aristocratique des siècles passés faisait une séparation très stricte entre ce qui est personnel et ce qui est public. Le vécu personnel n’était pas partagé. Quelle perte d’information et d’enrichissement mutuel. Il a fallu attendre les romantiques pour réhabiliter le «Je», «Je sens», «Je pense», et pour que les dialogues soient autre chose que des «Tu dois, tu es,», etc.
Parler à l’autre en parlant de soi est une évolution positive dans la communication d’une société. C’est aussi un des buts de l’écoute active.
Donc partager mon expérience est pour moi quelque chose de normal et d’utile. Surtout à propos d’une maladie qui fait peur. Lui donner un langage, en faire une sorte de chance ou au moins la positiver. Et pour que cela soit utile il s’agit de m’y impliquer personnellement, de rattacher l’expérience à un vécu. Dire simplement «Il faut donner un sens à la maladie» n’aide personne. Car comment le faire? A moi de montrer un des chemins possibles pour le faire, à ma manière. Ouvrir une porte.
Un végétal sème ses graines partout autour de lui, sans savoir lesquelles prendront. De même nous parlons sans savoir à qui ce sera utile.
C’est l’abondance des échanges qui fait l’abondance du vivant.
La réflexion suivante est: que partager? Je mets de côté les choses ultra-personnelles que je ne partage qu’avec un ou deux amis très proches. Pour le reste, c’est variable.
Mais, s’il fallait faire attention à tout ce que je dis, vivre dans le calcul de ce que je dis ou non, et à qui, j’aurais le sentiment de vivre dans un monde en guerre où l’on doit se méfier les uns des autres.
J’ai aimé une femme qui disait: «Il faut tourner 7 fois dans langue dans sa bouche avant de parler». Moi j’était plutôt du genre à «dire d’abord, constater l’interaction et se repositionner ensuite». Ca n’a pas marché. Je la blessais en parlant trop, elle me blessait en se taisant.
Voilà donc pourquoi j’estime important de partager sa propre expérience. A quoi sert-il de communiquer si ce n’est qu’échanger des idées froides et impersonnelles, sans sentir le vivant de l’autre, sans savoir d’où il vient, où il va, quels sont ses incertitudes, sa quête, et sur quoi sa pensée s’est construite pour mieux en comprendre la finalité? Bien des populations de l’hémisphère sud le savent, qui ont pendant longtemps donné une grande valeur à la palabre.
Et pour terminer une note d’humour qui n’a rien à voir avec le billet:
Les accidents d’avions tuent moins que la drogue. Moralité, si l’on veut s’envoyer en l’air, mieux vaut prendre l’avion...
Et une belle chanson, sans lien particulier, juste parce que je la trouve belle:
PS: Et une pensée pour les deux otages suisses retenus en Libye depuis plus de 18 mois.
Commentaires
J'ai toujours du plaisir à vous lire et vois dans votre parcours une forme de courage qui encourage. Rien que pour cela cela vaut la peine de "partager" avec celles et ceux qui savent lire, y compris entre les lignes... bonne journée, mj
Bonjour Hommelibre, vous nous faites ressentir très judicieusement l'avant et l'après. Cesser de fumer, manger léger constituent déjà un changement important ... Le sentiment intérieur s'en trouve aussi modifié. Les Allemands aiment bien distinguer "Leib" (le corps vécu de l'intérieur)et "Körper" (le corps machine) et je dirai que vos textes savent retranscrire cette dualité tant poétiquement que philosophiquement. Une pensée pour vous ...
Marie-Jeanne, merci. J'apprécie aussi beaucoup chez vous le ton vécu associé à l'analyse, ce qui rend votre propos d'autant plus explicite, ainsi que la belle énergie et le goût de communiquer.
Bien à vous.
Micheline: je ne connaissais pas cette distinction dans la langue allemande, très intéressante. Il n'y a pas d'équivalent en français me semble-t-il. Il s'agit bien de deux choses: d'une part le corps objectivé, physiologique, "la machine" (sans que ce soit péjoratif) et d'autre part le corps vécu par le sujet, en interaction avec la machine. La Gestalt tente en partie de relier de manière dynamique et interactive les réaction physiques et le vécu.
Bonne journée.
"y compris entre les lignes... "
Un exercice..qui n'est pas donné à tout le monde. :)
"Les accidents d’avions tuent moins que la drogue. Moralité, si l’on veut s’envoyer en l’air, mieux vaut prendre l’avion..."
MDRRRRR EXCELLENT!
"L'alcool tue plus que la cigarette au volant." Moralité: Si l'on ne veut pas devenir un meurtrier potentiel, mieux vaut prendre le volant en fumant que saoul :)
Meilleures pensées HL
Patoucha: MDR!!!
Entre ces lignes ...
"Un jour une inconnue" tourne en moi. Pas dans la tête, non; dans mon thorax, dans mes épaules. Cette chanson m'a pénétré l'intérieur.
Elle forme un tout cohérent qui "tourne" comme disent les Africains. J'ai réécouté la structure des lignes de chants, les arrangements finement ciselés autour de la voix qui fait que rien ne prend le pas sur le reste. C'est une sphère homogène née déjà formée.
Alors je me souviens, d'une phrase: Il s'agit moins de danser ou chanter, que d'être dansé, ou être chanté de l'intérieur.
Je pense que celui qui vit cela , vit un moment béni. Quand le jaillissement intérieur est en parfaite adéquation avec l'expression extérieure.Sans structures parasites "pour faire comme ..."
C'est cela la grâce (d'une épreuve?). Non ?
Le dire, c'est la fibre de l'arbre qui grandit avec confiance dans la vie. Si la fibre ne dit plus rien d'essentiel, l'arbre se dessèche, devient amer et cynique, prêt à tuer pour rester en vie. Le taire, c'est l'écorce qui nous protège des coups de canifs impromptus, des méchancetés gratuites, des réactions négatives de toutes sortes. Laissons l'écorce nous couvrir, et à notre fibre de nous dévêtir que dans les conditions de confiance, ou au moins dans les conditions de non agression physique. L'arbre, c'est la respiration de la vie, celui qui nous donne l'oxygène, celui qui permet à une société de ne pas s'asphyxier dans les délires collectifs ou individuels. Bonne soirée à tous.