Le cancer reste une maladie emblématique. Par sa puissance, par le risque qu’elle fait encourir, par sa nature sourde et inexorable, par le bousculement de vie qu’elle implique. Quand ce n’est pas la mort, c’est quand-même la mort de quelque chose.
Lâcher, me lâcher
Je ne meurs pas à mon passé. Pas à tout mon passé. Pas à mon histoire, pas à mes balises. Pas à mes spleens. Pas à mes rêves. Pas à mes amours. Même si de nouveaux bras se tendront et m’accompagneront peut-être pour la suite du voyage, il restera toujours un regard quelque part, un regard inoubliable, qui m’inspire encore aujourd’hui, qui m’inspirera peut-être jusqu’à la fin, comme une part de moi-même rencontrée et perdue. Comme une soeur muette, une amante abandonnée au vent. Peu importe la place qu’elle m’a laissée à ses yeux qui n’en finissaient pas de me blesser, moi je lui laisse cette place jamais bien loin, je lui dois cette place. Il n’y a rien d’autre à comprendre, c’est comme ça.
J’ai lâché une partie de mes tripes sur la table d’opération. Je dois maintenant lâcher le reste ailleurs. Lâcher mes retenues, mes pudeurs inutiles, et prendre cette dimension qui se dessine depuis longtemps mais que chaque fois j’ai retardée. Je n’étais pas prêt. On ne m’a pas coaché à cela.
Aujourd’hui le cancer me coache.
Levier de transformation
Aujourd’hui la vie est neuve, intense encore plus qu’avant, et une rivière claire coule dans mon ventre. La vie, forte comme un ciel d’aube. (Parler en images est plus explicite). Chaque jour devient unique, l’unique jour sans savoir si un autre le suivra. Un «No future» lumineux. L’éternité était danse et rires. Elle l’est encore, elle le sera toujours, mais avec cette fois le compte des jours et des nuits. Elle sera belle et déchirante comme le soleil de juillet, au désert, quand la soif fait chanter le sable. Comme les rêves en attente au-dessus du cynisme du monde.
Chaque seconde est une seconde de vie. A moi d’y faire quelque chose où je plonge entièrement, comme je sais le faire. Aller encore plus à l’essentiel, plus direct, plus libre. Cela vient déjà. Trancher dans d’inutiles vieilles attitudes intérieures qui pèsent plus qu’elle ne portent.
Rouvrir la porte à mes Rimbaud, mes Verlaine, mis en attente pendant que je développais une voie de soins originale et que j’oeuvrais à l’intégrer dans le monde en proposant des guaranties.
Gérer l’après
Je commence à me gérer selon l’après-cancer. J’ai déjà profité de l’opportunité de l’hospitalisation pour cesser de fumer. Mon alimentation est une attention quotidienne au millimètre près. Très intéressant: gérer mes besoins au plus juste.
Je veux encore plus partager mon expérience de l’humain, plus que jamais. Mais plus seulement dans le cadre de mon école, qu’il me faudra transmettre en y restant pour mes meilleures interventions. Quelle que soit mon activité, exprimer davantage mes exigences dans le travail. Je pourrais accompagner des cancéreux, participer à une aide au développement dans cette Afrique que j’aime. Superviser des projets. Intervenir dans la gestion des relations humaines. Développer de nouveaux stages sur la communication, aller plus loin dans la quête intérieure.
On ne connaît jamais la durée de sa vie mais on l’oublie. Le cancer me le rappelle. Je n’ai donc pas de temps à perdre, je veux donner tout ce que je porte.
Créativité
J’écoute en boucle Léo Ferré, je m’imprègne de sa puissance. Mon écriture va changer, cela presse déjà en moi. Les commentaires d’aoki et de Pachakmac sous mon clip audio récent «Un jour une inconnue» ont parlé au bon endroit.
Il y a mon manuscrit qui n’a pas trouvé d’éditeur, et qui est en lice dans un concours. Si je ne trouve rien je ferai peut-être circuler le manuscrit par le net pour lui donner une existence. C’est une histoire belle en intéressante. Préparer le prochain manuscrit en travaillant sur ce qui manque à celui-ci. Il y aurait une pièce de théâtre à écrire sur la vie d’une chambre d’hôpital, avec les personnalités, les choses cocasses, les visiteurs, les nuits. Bref de quoi faire un spectacle hilarant. D’ailleurs depuis deux jours on est quelques-uns à rire beaucoup, avec des infirmières aussi. Sacrée ambiance hier soir! Mais attention: les soins sont excellents, pas de laxisme.
Mon travail d’écriture et de musique vont prendre une nouvelle dimension. Là encore, me lâcher, lâcher mes tripes et mon esprit. En somme il s’agit de passer la vitesse supérieure.
Hisser les voiles
Faire de ce cancer une chance, une évolution personnelle. Après les années sombres de l’injustice, voici les années claires du cancer: mon ventre est comme rempli de couleur bleu ciel.
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Pour réaliser tout cela mes propres ressources ne suffiront pas. Sur le plan financier, je l’ai déjà écrit, mon travail se relève difficilement de l’acharnement pénal dont j’ai été l’objet. Qu’on se le dise: je suis disponible à ce que l’on investisse sur moi, sur mon travail, ma compétence, mon humanité, ma créativité.
Je suis prêt à prendre de nouveaux chemins, à élargir ceux que j’ai pris. Je pars vers une nouvelle vie, portée par le torrent joyeux qui coule dans mon ventre.
Rimbaud, Verlaine, Gandhi, Siddhartha, Sitting Bull, Braveheart et tous les autres, revenez. Venez avec moi. Nous irons à Prague-la-Belle, ou aux hauts-lieux de Samarcande, aux plaines aborigènes où rêve la Terre. Venez, nous danserons sur les plages d'Irlande, pleurerons au flamenco d’Andalousie, venez!
Hissons les voiles! Le bateau repart sur la haute mer.
Prochaine étape: le port de l’Eternité!
«Elle est retrouvée.
Quoi ? - L'Eternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil.
(Arthur Rimbaud)
Pour accompagner ce billet, trois morceaux: deux du groupe irlandais The Corrs et un du musicien celte espagnol Carlos Nunez: une part de rêve - c’est important le rêve (je ne me refais pas) et deux doses de fête - c’est important la fête (je ne me refais toujours pas),...
PS: Toujours une pensée pour les deux otages suisses retenus en Libye depuis 18 mois.
Commentaires
Un très chaleureux merci, John, pour ce texte au dynamisme si dense et si authentique.
Que votre élan vous conduise au firmament de vous-même!
Avec mes très cordiales pensées.
Une infirmière vient me faire un soin et me raconte une nouvelle de Mircea Eliade. Dans cette nouvelle, l'auteur imagine qu'à l'aube des temps nos cellules se renouvelaient sans cesse et ne mourraient jamais. Puis un jour elle cessèrent de croître. Le cancer, c'est la mémoire de cette éternité...
C'est aussi le désordre, d'où les choses peuvent bouger, se réorganiser et créer un nouvel ordre.
Cher John,
C'est dans l'épreuve que l'on grandit. Ces fausses allégations qui ont rendu ta vie misérable durant quelques 7 ans ne sont probablement pas étrangères à la présence de cette nouvelle tuile dans ta vie. Je te souhaite d'avoir la force et la détermination pour affronter cette nouvelle épreuve avec toute l'énergie que tu pourras rassembler afin de continuer la merveilleuse aventure de la vie. Meilleures pensées d'outre-Atlantique
Bonsoir John,
Magnifique texte, très intense et impressionnant ...
Il me rappelle la lecture de "Mars" de Fritz Zorn, écrit dans les mêmes circonstances, livre autobiographique que j'ai lu il y a une vingtaine d'années.
Votre texte est cependant beaucoup plus lumineux !
Dans ces moments là, la sensibilité est exacerbée, le ressenti d'un poème, d'une chanson, d'un morceau de musique, d'une peinture, d'un paysage, d'une odeur ou d'un goût prend une autre dimension. On redécouvre ce que l'on avait ignoré auparavant ...
Bien à vous !
Bonjour,
nous ne nous connaissons pas, certes, mais cela n'a aucune importance dans le sujet que je voulais aborder. Vous dites :
"
Je commence à me gérer selon l’après-cancer. J’ai déjà profité de l’opportunité de l’hospitalisation pour cesser de fumer. Mon alimentation est une attention quotidienne au millimètre près. Très intéressant: gérer mes besoins au plus juste. "
J'y vois là l'occasion pour vous de réfléchir, peut-être, à un nouveau billet.
Car je suis souvent estomaqué, mauvais jeu de mots je l'avoue, de voir à quel point l'alimentation de nos jours est devenue une véritable prise de tête !
J'ai lu tant et tant sur l'alimentation que je ne sais plus qui croire, mais ce que je crois encore et que je n'ai lu nulle part, c'est que quelqu'un qui a un rapport sain avec son alimentation ne se prend pas la tête : il ou elle écoute les signaux de son corps, son instinct, son odorat, et mangera quand il a faim, pas autrement. Et il ou elle aura déjà fait un grand pas dans la bonne direction.
Bref, gérer c'est bien, sauf quand cela tourne à l'obsessionnel du bien manger, et que le véritable plaisir de manger correctement disparait et devient une corvée que l'on s'impose.
En très simple, manger n'est pas une tâche, c'est un plaisir ! Il faut juste que le plaisir soit en accord avec ses instincts, ses tripes (autant ou sens propre que figuré, et sans jeu de mots), et pas en accord avec la facilité, un agenda ou un frigo mal remplis...
Enfin, selon moi. Mais cela fait le malheur de mon médecin puisqu'il n'a encore jamais eu l'occasion de gagner sa vie grâce à moi.
Bonne route à vous !
Vos goûts musicaux, si excellents, si profonds. Oui, John, rien que ça et je sais votre force, votre énergie de vie, ce vécu passé et celui, à venir. Oh Oui! Danser sur une plage ou dans un pub irlandais, faire la fête, s'aimer, oublier toutes nos divergences et nos divisions, et ne garder que notre humanité si noble et douce, qui coule de source quand la fête est divine. C'est quand la soirée des blogueuses et des blogueurs de la Tribune et de 24 Heures? Histoire de rire au lieu de s'engueuler ou pire de s'envoyer de stupides injures de corbeaux à la figure. Mais oui, John, on est de trop grands rêveurs. On s'imagine tant de grandeur et d'éternité. Et puis reviens la réalité du terrain qui sonne beaucoup plus dure, qui saigne, qui tue et détruit. Pourquoi l'être humain est capable de tant d'harmonie et de tant de cacophonie? Pour faire naître de notre chaos originel, des constructions spirituelles?
Greg, bien volontiers je ferai un billet sur l'alimentation. Je vous entends bien. Globalement je vais dans votre sens. Après on peut préciser des choses. Mais je ne veux pas en dire plus tout de suite, je vais le préparer.
Bien à vous.
Pachakmac, bonne idée une fête cet été ou ce printemps. La fête transcende les déchirements.Une fête où la créativité ait une large place (amenons les djembés et autres instruments!)
J'ai en moi une mosaïque d'impressions laissées par les notes écrites, les messages teintés de cette essence vivante qui laisse une chaleur, des musiques diverses qui entremêlent leurs notes égrenées le long d'un fil ondulant qui les relie toutes,d'infirmière qui raconte Mircéa Eliade, de renaissance et de créativité, et surtout les "hissons la voile" qui ponctue à merveille ce rêve de bateau dans l'océan avec un capitaine prêt et qui attend impassible que le passager lui suggère enfin une destination ... ça c'est super fort !
De bien beaux moments de grâce, par le partage ! Constitutif d'un renouveau et qui rappelle que la vie est bien plus belle quand elle est VIVANTE !
Thanks Mister Homme Libéré
Bonjour HL, avec tout ce que vous écrivez, je vous croyais sorti des HUG. Très belle énergie que la vôtre!
Je n'ai qu'un mot: ECRIVEZ, ECRIVEZ, ECRIVEZ... mais un livre dont l'histoire continue. "Je veux encore plus partager mon expérience de l’humain, plus que jamais." Allez-y! HISSEZ LES VOILES!
"Il y a mon manuscrit ".. de quel manuscrit parlez-vous? Attendons le résultat du concours et, pendant ce temps, je vous souhaite un prompt rétablissement.
Bonne journée
PS: The CORRS, j'adore! Trois soeurs? Une étonnante ressemblance ne trouvez-vous pas? surtout le nez!
Hello Patoucha,
Oui pour le manuscrit attendons.
Les Corrs, belle musique, et des soeurs non seulement ressemblantes mais d'une grande beauté et pleines de talent! ;).
Bonne journée.
Yessss! Mais je joue et je chante comme un pied donc je me contenterai de danser (un peu) et de rire avec tout le monde:)
Hé oui c'est bien ce que je pensais. Elles sont magnifiques!
Je suis en admiration devant le "malade" encore plus drôle et poétique que jamais!
Mille heureuses pensées pour ce W-E
Plein d'espoir et never ever give up! Je suis à + 7 ans avec un T4 inguérissable qu0ils disaient.... take care et choisi bien tes médecin 3 avis, toujours....
Touchée de nouveau par vos écrits en pensèe avec vous Amicalemnt et que l'énergie de vous et des autres ne vous quitte jamais
Bonsoir Chantal, c'est agréable de vous retrouver de temps en temps et de recevoir votre sympathie. Les force reviennent, j'ai déjà envie de faire des kilomètres! Je suis prêt à hisser les voiles. Mais sans forcer au début, le corps a besoin de temps.
Bien à vous.
Que je me sens proche sans vous connaître, mais le cancer nous donne aussi cette connivence devant l'urgence de vivre fort, doux et surtout utile. Après 7 ans de tortures mentales et physiques je respire toujours la vie, l'art me porte, il est l'équilibre, réussite magique, pied de nez aux douleurs...je te veux fort et courageux, la tempête est là, tu es à la barre. Never ever give up!
Aline, j'ai déjà visité et apprécié votre blog (pour qui ne connaîr pas: cliquer sur sa signature), où pudiquement vous parlez de votre cancer. Je comprends mieux maintenant la lumière qui émane de vos photos, cette énergie d'urgence paisible et intemporelle, comme un saut au-dessus des contingences alors même qu'on y est en plein. Paradoxe assumé.
Merci à vous.
je suis soufflée... impressionnée! de tant d'aura de pensées multiples comme des étoiles filantes venant de partout, de nulle part et allant droit au coeur!
ouhaa!... la vie nous en apprendra tant à qui sait l'entendre, la vie nous donne tant à qui sait la respirer...la vie nous ouvre à vers nos inconnus...à qui sait ouvrir ses bras...la vie sait nous recevoir à qui lui ouvre son coeur...je suis sidérée charmée de tant de couleurs de l' âme...