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Cours, Forrest, cours...

Il y a dans Forrest Gump cette phrase qui revient plusieurs fois: «Cours, Forrest, cours...». Et Forrest court, sans s’arrêter, pendant des années. Il court pour changer l’histoire, son histoire, il court pour oublier, ou pour courir. Pour n’être plus rien que sa course. Plus nulle part ailleurs que dans ses pieds qui plus jamais ne se posent ensemble sur le sol. Et malgré lui il est happé, fait vedette, et courir ne lui offre plus cette transparence, cette protection d’invisibilité.

forrest-gump-p111.jpgPour Bernard Giraudeau courir c’était ne pas perdre l’équilibre. Comme en vélo: avancer c’est rester droit, s’arrêter c’est tomber. Mais pourquoi courir? Pourquoi ou vers quoi? Courir vers un lointain, un large, un ciel, où ce qui court derrière nous n’est plus? Courir devant ce qui nous poursuit, assez vite pour ne pas en être rattrapé? Courir devant les impayés de la vie, les collisions latentes, les chantiers en friches? Courir sur un fil qui à chaque pas se rompt, mais être à chaque pas devant le point de rupture et ne jamais tomber.

L’hommage d’Ariane Dayer dans le Matin dimanche rappelle cette course dont Bernard Giraudeau parlait lui-même. Cette course qu’il a tenté de freiner quand le cancer s’est déclaré. Mais course qu’il a continué, pris d’une sorte de frénésie, de boulimie. Car pourquoi s’arrêter quand le moteur a été de courir toute sa vie? S’arrêter: ne serait-ce pas justement rompre un équilibre?

Pouvons-nous être autre que ce que nous sommes?

Est-il raisonnable pour un hyperactif comme lui, de faire un arrêt sur image, de peut-être ne plus se reconnaître? Au nom de quoi? Et en quoi sa course aurait-elle été erronée, en quoi se serait-il rendu malade par cette course?
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La maladie avançant, il a bien dû la ralentir, sa course. L’essentiel a changé de visage. De la puissance de l’acteur et de l’artiste, il est passé à la fragilité de l’homme que son corps abandonne peu à peu. Et il est resté l’amour, l’amour de sa femme et de ses enfants. Et l’envie de comprendre plus que d’agir. Agir, son corps ne le lui permettait plus. Il lui restait à comprendre.

Pourrait-on demander à une homme ou une femme, à 20 ans, de ne pas courir après quelque chose, de ne pas avoir d’ambition, de rêve, de projet, de désir? Pourrait-on lui reprocher de fuir peut-être quelque chose mais de faire de cette fuite un puissant moteur? Pourrait-on reprocher à quelqu’un qui regarde devant de n’avoir pas encore réglé le solde de ce qui est derrière? L’Homme devrait-il être accompli avant même que d’être?

Cours Forrest, cours...

Bernard Giraudeau s’est arrêté, lui. Courir est l’apanage des vivants. L’immobilité est la beauté de la mort.

 

 

 

Catégories : Philosophie 1 commentaire

Commentaires

  • Courir vers un lointain, un large, un ciel, où ce qui court derrière nous n’est plus?

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