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Delphine, Romane & Elsa (partie 39)

Episode précédent: voir ici.

La pluie viendrait à tomber, le visage du gendarme ne serait pas plus drôle à voir: mélange de surprise, d’incrédulité, de sévérité et de satisfaction. Il me demande de répéter. Je confirme, Elsa confirme, Romane aussi. C’est la première fois qu’un criminel vient se dénoncer. Il n’a jamais vu. Il ne comprend pas, m’examine, se demande si je dispose de mes facultés. Garde le silence. Prend un papier sur un bureau et fait mine de lire. Il ne lit pas: le papier est à l’envers. Il appelle un collègue et passe dans une autre pièce. Revient dix minutes plus tard, comme s’il m’avait laissé le temps de réfléchir. Ou de m’enfuir. Son collègue est le chef de brigade. C’est lui qui vient vers moi.

- Vous dites avoir tué Lone. Bon. Où et quand?

Elsa39-2.jpgJe lui raconte l’affaire. Il m’invite à le suivre et me place dans une petite pièce meublée de deux chaises et d’une table.

- Nous n’avons pas de cellule ici. Je dois m’entretenir avec la police nationale d’Apt pour savoir qui va vous interroger. Vous ne tenterez pas de vous enfuir?

- Je suis venu me livrer, ce n’est pas pour m’enfuir. Passez-moi les menottes.

Il semble gêné. Non, il ne me passe pas les menottes. Il retourne dans la première pièce. Par une petite fenêtre je vois un bout de ciel presque noir. Le vent traverse la gendarmerie en faisant voler la poussière. Le clocher sonne neuf coups. Mes pensées suivent des chemins illogiques. Rien à quoi m’accrocher. Attendre.

Dans la réception Elsa demande à faire une déposition. Elle raconte longuement les événements depuis le concert. Elle ne parle pas du commando de Maurice. Romane fait constater les traces à son cou. Les gendarmes notent tout.

Place de la République Aïcha et Manu ont rassemblé les Banonais, soutenus par Gattefossé, Maurice, Giacomo et la serveuse des Voyageurs. Rapidement ils forment une troupe de plusieurs centaines de personnes, hommes femmes et enfants. La troupe se rend devant la gendarmerie. On délègue Manu et Gattefossé pour parler au brigadier qui est seul dans la gendarmerie. Son collègue est parti enquêter sur les lieux de la bagarre et chercher le corps de Lone. Le brigadier ne peut recevoir les délégués, c’est une affaire criminelle qui concerne maintenant la police et la justice. Les banonais lancent des cris de soutien, que j’entends. Plusieurs demandent ma libération. Certains veulent investir les locaux. Le brigadier tente de les dissuader, mais la pression de la foule monte. Il décide de fermer la gendarmerie et de bloquer les portes. Dehors la foule ne comprend pas et crie de plus en plus fort. Elle bloque la rue. Des voitures et un autocar de transport public forment rapidement une file jusqu’en le bas du village. Le brigadier téléphone à la centrale d’Apt. Il ne sait pas comment faire avec cette situation inattendue. Jamais le village n’a connu une telle manifestation. Il reçoit l’ordre de m’emmener à la gendarmerie de la sous-préfecture.

La troupe a reflué vers le Bleuet et les cafés pour tenir une réunion et discuter de la situation. Le brigadier profite de l’accalmie pour me faire monter dans le véhicule de service et prendre la direction d’Apt. Un guetteur resté sur place va prévenir Gattefossé et les autres. On s’organise rapidement, on monte dans les voitures les plus proches, et l’on se met en route derrière nous. Vers onze heures nous arrivons à la centrale d’Apt. Nous entrons.

On semble m’attendre. Plusieurs agents se lèvent et me regardent. Le brigadier me présente au chef. Je passe immédiatement par une pièce d’interrogatoire où je raconte mon histoire, puis je suis conduit dans une cellule. Nouvelle attente. J’entends à nouveau des cris: «Monsieur Paul, on vous soutient», «Tenez bon on est avec vous!». Dans Apt la nouvelle se répand très vite: Lone aurait été tué pour sauver une des dames qui chantait l’autre soir, la police détient le sauveur, il est retenu au commissariat. Depuis le concert et la mort du technicien l’affaire occupe toutes les conversations. Tous les matins on se pose la question dans les commerces et les cafés: «Alors, on a arrêté le meurtrier?» «Non, je ne crois pas. Qu’est-ce qu’ils disent dans La Provence?» «Rien. L’enquête suit son cours.» « Ils disent que la police est sur une piste sérieuse.» «Il paraît que le bonhomme est toujours dans la région». Alors la nouvelle apportée par le groupe de Banon se répand dans la ville comme un feu d’herbes sèches. Les téléphones sonnent de partout, les commerçants s’informent d’une boutique à l’autre, la parole file, galope, monte les étages, descend vers la rivière, glisse dans les ruelles, saute de table en table sur les terrasses. La parole ne s’arrête plus, elle réunit les habitants de la ville devant le commissariat.
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Après une heure d’attente on vient me chercher. Le commissaire me reçoit dans son bureau en compagnie d’un personnage bien habillé, cravate et chemise boutonnée malgré l’accablante chaleur et le vent de braise. Il me présente le sous-préfet, qui me demande à nouveau de raconter mon histoire depuis le début. Quand j’en suis au combat avec Lone tous deux veulent des précisions, en particulier sur le lieu précis où j’ai laissé le corps. Je ne comprends pas leurs questions. Le sous-préfet m’annonce enfin:

- Nous sommes très ennuyés. Quelque chose ne tient pas dans votre histoire: il n’y a pas de corps là où vous l’indiquez. Un gendarme de Banon a effectué une recherche selon les dépositions de vos amies mais il n’a rien vu. Nous avons envoyé une équipe. Une recherche plus approfondie est en cours. En ce qui vous concerne, vous serez transféré à la prison centrale d’Avignon cet après-midi. Vos aveux nous suffisent. Vous comprenez qu’il n’est pas possible de faire justice soi-même. Qu’en pensez-vous?

Je ne réponds pas. Je ne me souviens pas. Etait-ce le sentiment d’être un justicier, ou l’envie de le tuer? Voulais-je seulement protéger Romane ou quelque chose de plus personnel s’est-il immiscé? Quelle est la bonne version? Je ne peux trancher. Je n’en parle pas. Le sous-préfet insiste.

- Est-ce un acte spontané ou vous êtes-vous préparé? Quelle était votre intention en partant à la recherche de ce Lone?

- J’étais à la recherche de Romane, pas de Lone. J’avais peur pour elle. Sa disparition du café était angoissante.

- Oui, j’ai là la déposition de votre amie, heu, Elsa quelque chose je crois, elle confirme vos dires. Mais n’aviez-vous pas d’autre idée en tête? Pourquoi cette Romane aurait été en danger dans le village?

- Lone pouvait roder. Il était partout depuis trois jours.

- Comment le saviez-vous? Quelqu’un vous a-t-il averti de sa présence?

Il veut des informations sur le commando et le réseau de surveillance. Est-il au courant de quelque chose? Je ne peux parler de cela.  Mon rôle dans le commando n’était pas de tuer. Jamais je n’aurais accepté cette perspective. Et je ne vais pas trahir Maurice et ses amis. J’assume mon acte, pas plus. La justice veut plus. C’est son rôle. Je lui réponds que c’était mon intuition et que les faits m’ont donné raison.

- Il n’y avait pas besoin d’être averti: Lone était là. Sans cette intuition Romane serait morte aujourd’hui.

Elsa39-4-cellule.jpg- Le Procureur de la République d’Avignon est en route. Il statuera. Des journalistes sont déjà au courant, le téléjournal pourrait en parler ce soir. Sans information précise à leur donner nous ne maîtrisons pas la communication. La police est déjà critiquée pour son inefficacité, nous voulons éviter tout dérapage sur cette malheureuse affaire. J’entends la rue vous appeler «Monsieur Paul». Pour eux vous êtes un héros. Mais entendez-moi bien, «Monsieur Paul», je ne veux faire de vous ni un héros ni une victime. Toute la vérité doit être établie sur cette affaire. En attendant on va vous reconduire à votre cellule.

Retour à la petite pièce avec un sommier. L’attente reprend. Je me pose mille questions. Sur mon avenir: l’entretien avec le sous-préfet augure d’une procédure difficile. Je commence à entrevoir l’engrenage où je suis. Des questions sur Lone: où est son corps? Qui l’a fait disparaître? Je pense aussi à Elsa. Elle repart demain et je ne la verrai pas. Mon coeur se serre.

Je m’allonge sur le sommier et malgré son inconfort je m’endors.


A suivre

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