C’est aussi une belle histoire. Alors qu’en Tunisie tombent les symboles de l’ancien régime, cette arabie captive des gouvernements les plus anti-démocratiques, les plus tordus, cette arabie se remet à nous faire rêver.
Les symboles tombent
Ben Ali était à la tête d’une sorte de secte, comme la presse et internet l’ont relaté hier. Des adorateurs fétichistes du chiffre 7, à cause du coup d’Etat du 7 novembre 1986 où le dictateur a déposé Bourguiba. Du 7 il y en a partout. Des rues, place, avenues, squares du 7 novembre, dans les plus petits villages. Des monuments, des timbres-postes, des cafés, des magasins, des billets de banque, sur les cartes d’identité, une compagnie aérienne, jusqu’à l’indicatif téléphonique dont le 0 avait été changé: le 7 trônait partout, souvent en mauve qui était la couleur fétiche du despote et de ses courtisans. La télévision nationale, rebaptisée depuis, s’appelait TV7.
Les symboles représentant le 7 dans les rues sont peu à peu détruits. Un certain nombre de voleurs - je veux dire des membres du clan Trabelsi-Ben Ali - sont arrêtés. Ils seront jugés comme des voleurs à grande échelle. De plus en plus les gens placés par l’ancien régime sont remplacés, comme le relate Libération:
«Mercredi, des employés de la compagnie d’assurances publique Star ont viré leur patron, qu’ils accusent de corruption. Idem à la Banque nationale agricole, mais aussi à l’Utica, le Medef local, qui a débarqué Hedi Jilani, trop lié aux Ben Ali. A la radio-télévision, des comités de syndicalistes ont pris le contrôle du journal télévisé : pendant ce temps, le PDG, enfermé dans son bureau, faisait fonctionner la broyeuse à plein régime. Même les aveugles ont manifesté pour renverser le président de leur union, «vendu à Ben Ali».
Vendredi matin, c’était au tour des hôtesses de Tunisair de rejoindre la contestation. En tenue de travail, elles occupaient la cour du siège de la compagnie, réclamant la démission immédiate de leur PDG, Nabil Chettaoui.»
La révolution fait éclater les mensonges
Cette révolution sans violence majeure, sans coupeurs de têtes, cette révolution pour la liberté et la démocratie, révèle en creux la réalité des régimes de nombre de pays. Trop de pays n’ont de démocratique que des simulacres d’élection et une oligarchie politico-économique qui par devant parle au nom du peuple et par derrière pille le pays et sème la terreur.
Les touristes en Tunisie voyaient un pays calme, agréable, stable. Ils ne voyaient pas l’Etat policier, la peur de parler, ils n’entendaient pas la torture dans les prisons. Mais ne nous y trompons pas: le régime tunisien était le modèle du régime de plusieurs pays arabes, asiatiques ou africains. Des caricatures de démocratie.
Le printemps des démocraties?
Alors que nos démocraties occidentales se replient comme en hiver sous les attaques qu’elles subissent (par exemple venant des intégristes de tous bords), alors que l’on peine à défendre la liberté telle que nous la connaissons, voilà qu’un pays la réclame, cette liberté. Et pas n’importe quel pays: un pays arabe, de cette arabie dont nous ne voyions plus auparavant que les dictatures et la prise en otage des population. D’Alger à Gaza, de Damas à Mogadiscio, ce n’est qu’oppression, régimes policiers, spoliation des richesses par une oligarchie. Et voici qu’un de ces pays change la donne, et fait se lever un nouveau soleil sur ces pays opprimés. Le soleil d’une liberté pour laquelle nos ancêtres aussi se sont battu et ont versé leur sang.
Les tunisiens ont très bien compris le système dans lequel ils vivaient. C’est le même dans toutes les dictatures, qu’elles soient tenues par un clan familial, par un parti unique, par une oligarchie politico-économique, par un système idéologique totalitaire. Il y a mainmise sur l’économie, qu’elle soit captée par le clan ou collectivisée au profit des dirigeants. Il y a l’Etat policier. Il y a la peur, la terreur silencieuse, le placement des amis aux postes clés. On connaît bien les dictatures. L’Europe en a eu son lot, de Moscou à Madrid, de Rome à Berlin, de Lisbonne à Athènes.
Alors ce qui se passe en Tunisie est comme une immense bouffée d’air frais au doux parfum de jasmin. Cette jeunesse tunisienne, soutenue par toute la société et par une armée qui a compris où est son devoir, elle nous dit de l’aimer, de la soutenir. Mais elle nous dit aussi que nos valeurs de liberté sont justes à leurs yeux. Et qu’il ne faut se courber devant personne. Même certains signes extérieurs d'appartenance religieuse n'y ont plus droit de cité. Intéressant, alors que l'Europe est en proie aux coups de boutoirs d'un exibitionnisme religieux aux relents politiques.
Regardons cette vie bouillonnante qui s’exprime dans ce beau pays aux portes du désert:
«Sept jours après la fuite de Ben Ali, le centre de la capitale tunisienne est devenu une vaste agora, où vient s’exprimer un inextinguible besoin de parole. Chacun veut raconter son expérience de la dictature, donner son avis, ses conseils, sa vision des choses. Ceux qui parlent le plus fort ont souvent des choses à se reprocher : «Les vestes sont réversibles», rigole un badaud. Les discussions sont animées, mais empreintes d’un grand respect. Les islamistes, longtemps réprimés et encore peu nombreux dans les manifestations, sont bienvenus, mais quand l’un s’avise de crier «Allah akbar» ou de prier en public, il se fait gentiment rabrouer. La vie a repris un cours presque normal, en plus gai. Il y a des choses à lire dans les journaux. Tout le monde veut prolonger l’état de grâce. «On vit, on sourit, on découvre ses voisins, on se parle», se réjouit Maha, jeune fonctionnaire au ministère des Sports.»
Cela fait du bien. Cela donne envie de danser, d’aller sur place passer des nuits et des jours à parler et refaire le monde. Et de crier, plus que jamais: «Vive la liberté!»
Les manifestants tunisiens filment les émeutes
envoyé par lemondefr. - L'info internationale vidéo.
Commentaires
L'Algérie se réveille:
"Des intellectuels appellent au changement en Algérie"
Cette pétition signée par une trentaine d’universitaires, de journalistes et de personnalités, évoque «le désespoir social», illustré par les émeutes du début du mois qui ont fait cinq morts et plus de 800 blessés dans le pays.
Un groupe d’universitaires, de journalistes et de personnalités algériennes publient, ce vendredi, un appel au changement démocratique dans leur pays, après celui survenu en Tunisie.
Les signataires appellent «à la convergence de toutes les (...) initiatives de citoyens, d’associations, de syndicats et de partis politiques allant dans le sens de la levée du carcan sur la vie publique et pour l’avènement de l’alternance démocratique en Algérie».
Cette déclaration signée par une trentaine de personnalités, est une première, semble-t-il au moins depuis les émeutes qui ont secoué l’Algérie du 4 au 9 janvier. Le texte, transmis à l’AFP et également visible sur Facebook et sur le site du quotidien algérien Le Matin, rend un hommage appuyé au mouvement des Tunisiens qui ont renversé le président Zine AL Abidine Ben Ali. Selon les signataires, cette «juste action du peuple tunisien ouvre une nouvelle situation politique dans un Maghreb lié par un destin commun».
«La crise n’est pas soluble dans l’huile»
Evoquant «le désespoir social» en Algérie, illustré par les émeutes du début du mois qui ont fait cinq morts et plus de 800 blessés dans leur pays, ils critiquent vivement leur gouvernement pour n’avoir donné à ces événements qu’«une seule explication: la hausse du prix des produits de base». «La crise de janvier n’est pas soluble dans l’huile», affirment-ils en référence à ces denrées, tout en soulignant que «les mouvements sociaux n’ont jamais été aussi nombreux que ces dernières années» en Algérie.
«Le pouvoir est seul face au désarroi et à la colère des Algériens», protestent encore ces personnalités très critiques envers le maintien de l’Etat d’urgence depuis 1992, «la répression policière, la manipulation et le verrouillage médiatique», selon eux.
Parmi eux, l’universitaire et journaliste Fodil Boumala, un ancien député, Haïdar Bendrihem, les universitaires Zoubir Arous et Ahcène Bechani, un ancien combattant de la guerre d’indépendance Saïd Boudiaf, l’éditeur Boussad Ouadi et Youcef Lakhdar Hamina, universitaire et fils du réalisateur de cinéma Mohammed Lakhdar Hamina, qui avait remporté la Palme d’Or à Cannes pour «Chronique des années de braise» (1974).
(Source AFP)
Affrontements violents lors d'une manifestation à Alger
Bravant l'interdiction, les manifestants qui réclamaient une «Algérie démocratique» s'étaient rassemblés au centre de la capitale. 42 personnes sont blessées selon l'organisateur. (Plus selon les infos)
(Source AFP)
En effet Patoucha, il faut suivre de près ce qui se passe en Algérie. Il semble que là aussi le point de rupture soit proche. Mais où sera l'armée si l'on en vient à une situation à la tunisienne?
Hommelibre, j'aime bien votre optimisme, mais je ne le partage pas vraiment, surtout au sujet des barbus. TOUS les prisonniers politiques ont été libérés, TOUS! Donc, on y trouve aussi les islamistes. Auront-ils une assise suffisante pour s'imposer? Tout dépendra du poids des traditions mahométanes et des désirs de modernité des Tunisiens.
L'avenir nous le dira. Toujours est-il qu'ils profiteront du chaos si celui-ci règne trop longtemps.
J'ose espérer que des personnes comme Jean-Jacques Walter ou Hélios d'Alexandrie ont raison en annonçant le dépérissement de l'islam:
http://verite-valeurs-democratie.over-blog.com/article-comprendre-l-islam-3-3-49163506.html
http://www.postedeveille.ca/2010/11/chronique-dhelios-dalexandrie-lavenir-de-lislam.html
@ Divico: je pense que les citoyens de pays arabes ont vécu si longtemps sans liberté d'expression et sous le joug de dirigeants autocrates, que j'espère qu'ils ne veulent surtout plus cela. Et au fond je ne suis pas certain que l'Iran fasse encore envie.
Sur les contradictions de l'islam, c'est sûr que cela minera peu à peu cette religion comme le christianisme a été miné par ses propres contradictions. La volonté hégémonique finit toujours par sécréter ses propres antigènes.