Dans l’affaire des fausses accusations d’espionnage contre trois cadres de Renault, l’Express publie aujourd’hui l’enregistrement de l’entretien avec l’une des victimes. Kafkaïen!
L’aveuglement de Renault et de Carlos Ghosn
Dans cette affaire le plus choquant a été la divulgation publique rapide des accusations contre les cadres et de leur mise à pied. Ce point est d’une extrême gravité. Une enquête interne de l’entreprise n’a pas force de loi et n’autorise en aucun cas le lynchage public. Et quand bien même un accusé serait reconnu coupable par un tribunal son anonymat doit être préservé.
La direction de Renault s’est fait mener en bateau par des enquêteurs indélicats, soit. Cela peut arriver. Mais même à l’interne la plus élémentaire prudence s’imposait. Car l’enquête judiciaire a démontré depuis qu’aucun document n’a pu être produit, aucune preuve de versements en France ou à l’étranger n’a pu être établie. Donc au moment des accusations contre les cadres il n’y avait déjà aucun document.
La direction a agit sur une croyance: elle a cru dans la parole non vérifiée, non démontrée des enquêteurs privés. Le PDG de Renault assume à son propre compte les accusations puisque le 14 janvier il affirmait: «Nous ne sommes pas des amateurs». Malheureusement si, vous êtes un amateur Monsieur Carlos Ghosn. Un amateur aveugle. A votre poste la moindre des choses était de demander des preuves et des vérifications au vu de la gravité des accusations, accusations qui mettaient en plus un pays ami en cause, la Chine.
L’interrogatoire
Repris de la transcription qu’en fait l’Express voici quelques moments de cet interrogatoire. Kafka y trouverait son inspiration. Imaginez un homme innocent, dont l’innocence est aujourd’hui publiquement reconnue après enquête, qui vient de passer les fêtes en famille, et qui reprend normalement son travail le 3 janvier. Il est directement convoqué par un responsable de la firme, Christian Husson, qu’il connaît bien et qu’il tutoie. Rien ne lui permet d’anticiper ce qui va se passer dans quelques secondes.
«Christian Husson: Salut Matthieu.
Matthieu Tenenbaum: Comment vas-tu?
H.: : Installe-toi. A cette époque de l'année, on se souhaite les voeux!
T.: Mes meilleurs voeux!
C. H.: Alors, moi, je vais te souhaiter à partir de maintenant de ne pas te tromper dans tes choix
M. T.: Ouais?
C. H.: Parce que pour être tout à fait direct avec toi, nous savons que tu as commis des actes graves, contraires à la déontologie chez Renault, et constitutifs d'infractions pénales.
Pour être tout à fait transparent avec toi, à l'heure qu'il est, tes comparses sont entendus dans des bureaux voisins et il leur est reproché les mêmes choses. Soit tu me la joues...
M. T.: Je ne vois pas du tout de quoi tu veux parler.»
Le choc est instantané. Il n’élève même pas la voix tant cela lui semble absurde. mais il a déjà compris que ce n’est pas une plaisanterie. Je connais ce moment pour l’avoir vécu dans un autre contexte, tout aussi dramatique. Cela continue:
«M. T.: Je ne vois pas ce que je ...
C. H.: Si, tu vois, Matthieu. On sait, on sait.
M. T.: J'ai rien à voir...
C. H.: C'est normal, tu me la joues "le suspect de chez le commissaire Moulin qui nie tout", c'est normal.
M. T.: Je ne te la joue pas...
C. H.: Matthieu, nous savons...
M. T.: Mais vous savez quoi?
C. H.: Nous savons.
M. T.: Je ne vois pas ce que vous pouvez savoir? Pour la voie dure, vous pouvez "checker" tout ce que vous voulez... Mais sur mes comptes, vous avez vu quelque chose?
C. H.: Nous savons. Entre maintenant et le 11 janvier, tu vas bien réfléchir.»
La transcription complète est disponible sur le site de l’Express.
Les conséquences
Les trois hommes accusés ont passé pour des traîtres devant le monde entier, cela durant plus de deux mois, jusqu’aux excuses minimalistes de Carlos Ghosn. Les innocents accusés à tort recevront une indemnité et pourront être réintégrer. Christian Husson a ensuite démissionné. Mais pas Carlos Ghosn, qui pourtant avait repris les accusations à son compte.
Est-ce bien normal? En d’autres temps un dirigeant aurait eu davantage le sens de l’honneur. Aujourd’hui il n’assume réellement aucune responsabilité personnelle. Sur ce point je ne pense pas qu’il faille donner autant de responsabilités à un dirigeant: il n’est pas le maître absolu à bord. Autrefois un dirigeant démissionnait ou se suicidait parce qu’il se sentait seul maître après Dieu. Aujourd’hui la responsabilité d’un dirigeant est relativisée. Et je conviens que les seconds couteaux doivent être sanctionnés, car eux aussi devaient vérifier les accusations.
Mais dans la mesure où le PDG a repris ces accusations à son compte il devrait être soumis au même régime: il a un devoir moral de démissionner. Il déclare aujourd’hui: «J'ai la conviction que, pendant une crise, un capitaine n'abandonne pas le navire.» Le problème est qu’en l’occurrence le capitaine a contribué à cette crise par des propos délictueux. Il a commis une faute pénale: une dénonciation calomnieuse. Il l’a fait publiquement, ajoutant la diffamation. Autre délit pénal. Sans compter l’atteinte à la présomption d’innocence et l’atteinte à la vie privée. Enfin son maintien à la tête de Renault après cette lamentable affaire dessert la firme et salit son image. S’il ne démissionne pas il devrait être rapidement poussé vers la sortie par le CA et les actionnaires. Cet homme n’est plus digne de confiance.
Car actuellement l’image de Renault est entachée du double stigmate de la calomnie et de l’impunité.
Suffit-il qu’il ait renoncé à ses bonus? Certainement pas. La peine est légère pour celui qui touche 9,2 millions d’euros par an. Le dédommagement demandé par les trois victimes correspond d’ailleurs à peu près à cette somme. Cela dérange la direction qui craint d’être poursuivie pour abus de biens sociaux qui elle accepte ce montant. Mais si elle refuse la firme sera poursuivie au Prud’hommes, avec des dégâts encore plus importants en terme d’image. De plus le PDG pourrait être poursuivi pénalement pour les raisons citées plus haut.
De cela il faut garder à l’esprit à quel point une fausse accusation est une arme, et le fait que tout doit être vérifié. Il faut apprendre à ne rien croire qui n’ai été vérifié, avec des garanties sur cette vérification. Ici l’innocence des trois accusés est vérifiée et attestée par un magistrat après enquête et par l’absence de tout élément de preuve dans le dossier.
Ici, un résumé de l’affaire.
Et l'enregistrement de l'interrogatoire:
Commentaires
Effectivement comment peut-il se penser capitaine indispensable dans une entreprise ou le negatif etouffe le positif
- des cadres qui se suicident au technocentre
- des cadres accusés sans preuve d'espionnage
- une entreprise, soit-disant française, ou 80% de la production se réalise à l'etranger
- une entreprise qui chosifie les prenoms en les attribuant à ses voitures pour les rendre plus humaines!!! on croit rêver
ce capitaine là, a t-il du respet de la consideration pour l'individu? il en a beaucoup pour lui en tout cas.
Alors que le blog de corto n’apparaît plus dans la rubrique "Les derniers commentaires" celui de hani le milliardaire de la censure est en tête dans les "blogs citoyens" !