Les suisses seront appelés à voter sur l'initiative contre le remboursement de l'avortement. Faut-il maintenir ou non la prise en charge de l’IVG par l’assurance maladie? Le débat pourrait être âpre et les premières escarmouches montrent où se situe la ligne de démarcation entre les partisans et les opposants.
Le débat de la Tribune a opposé hier Valérie Kasteler-Budde, co-présidente du Parti évangélique genevois et Maria Roth-Bernasconi, Conseillère nationale socialiste.
L’avortement est-il une maladie?
Un premier argument porte sur le fait que l’Interruption Volontaire de Grossesse n’est pas une maladie et à ce titre n’a pas à être financée par l’assurance de base. Il s’agit davantage d’une affaire privée consécutive à un choix personnel. A vrai dire je ne vois pas, dans la transcription du débat, d’argument opposé à celui-ci. C’est peut-être l’argument majeur en faveur de l’initiative, le plus technique. Quand on sait que l’assurance maladie en Suisse peut refuser des traitements trop coûteux quand pourtant il s’agit de maladies déclarées, pourquoi rembourser un acte qui n’est pas un soin à une maladie reconnue comme telle?
On pourrait élargir le concept de maladie. Dire par exemple que la détresse ou le stress d’une grossesse non désirée est assimilable à un état de burnout et peut induire des conduites à risques ou une dépression. Dans ce cas la grossesse serait le symptôme d’une autre maladie, qui en l’état n’a pas de définition. La question est: peut-on vraiment assimiler cet état de grossesse non désirée à une forme de maladie? C’est une des questions posées par l’initiative. Si elle est refusée c’est que le peuple aura décidé d’assimiler maladie et choix personnel de l’avortement. On pourrait se demander pourquoi un choix personnel est pris en compte plus qu’un autre. C’est comme ça, il n’y a pas de principe directeur dans une telle décision mais une position opportune sur un sujet, l’avortement, qui a été porté par le mouvement féministe et qui à ce titre trouve une légitimité politique plus qu’intellectuelle ou médicale. Mais au fond, ce que fait l’initiative est de reposer la question de cette légitimité. Je rappelle qu'il s'agit bien du remboursement ou non de l'IVG, et non son éventuelle interdiction.
Le droit à disposer de son corps
D’ailleurs le discours de Madame Roth-Bernasconi évite d’aller sur ce terrain, probablement parce qu’il n’y a pas d’autre argument que le politique. Ce qu’elle dit: «Les mêmes milieux qui défendent cette initiative sont ceux qui se sont opposés à l’assurance maternité. C’est un pur prétexte. Il s’agit d’une attaque générale contre le droit des femmes de décider librement si elles veulent, ou non, mener une grossesse à son terme.» Pourquoi ne pas dire clairement que c’est un choix politique opportuniste? Pourquoi invoquer le droit à disposer de son corps et du foetus alors que cela n’a rien à voir? Ce qui a à voir ce sont: une problématique liée à la contraception et à la co-responsabilité de l'homme et de la femme, la détresse possible, le remboursement ou non d'un acte aujourd'hui admis dans la société.
Comme il y a des détournements d’avions, il y a des détournements d’idées. Il est dommage que Madame Roth-Bernasconi détourne le débat de fond pour une attaque qui lie deux sujets très différents et qui s’appuie sur l’idéologie féministe et non sur une position intellectuelle indiscutable. L’assurance maternité n’a rien à voir avec l’avortement. Quel curieux amalgame, quel singulier argument si c’en est un. «Si tu ne sais pas répondre sur le fond à ton contradicteur, dis qu’il a la rage!» Il n’y a dès lors plus de débat et la socialiste fait preuve d’une grande légèreté et d’une faiblesse conceptuelle. Ceux qui seraient en faveur de l’initiative seraient donc des gens qui se moquent des femmes et de leurs besoins. Ah, le gynocentrisme, l’argument imparable du besoin des femmes. Argument qui dans certains domaines a du sens, mais qui ici sonne comme l’étendard féministe de la femme libérée contre les oppresseurs de tous poils. Cette position fausse le débat qui, de technique et intellectuel, devient affectif et sectariste. Si les opposants à l’initiative sont représentés par une politicienne aussi peu claire et qui mélange tout de cette manière, ils ont du souci à se faire pour la suite du débat.
A propos de la liberté de disposer de son corps et de mener ou non une grossesse à son terme deux autres points sont soulevées. Le premier est: où est l’homme, le compagnon, celui qui a une co-responsabilité dans la grossesse? Nulle part. Madame Roth-Bernasconi semble faire partie de ces féministes pour lesquelles l’homme n‘existe pas, ou seulement en tant qu’élément périphérique de la femme. Pourtant il pourrait, en cas d’acceptation de l’initiative, participer aux frais. Ce serait une manière de le rendre responsable de sa relation. Dans le discours féministe sur l'avortement, l'homme est absent. Est-ce une manière d'entériner la situation, une sorte de fatalisme? Ou est-ce une vengeance contre lui? Ou une revendication pour affirmer qu'on n'a pas besoin de l'homme?
Où est l’homme?
Car l’autre point est le constat d'une sorte de séparation entre d’un côté une relation homme-femme avec tout ce qu’elle implique de désir, d’anticipation et si besoin de contraception, et de l’autre côté le fait de «... décider librement si elles veulent, ou non, mener une grossesse à son terme.» Ce que j’entends dans ces propos: «Je suis enceinte, je vais voir si je le garde ou non». Cet acte de propriété sur le foetus qui préfigure l'acte de propriété sur les enfants, cette sorte de banalisation, sont étonnants alors qu’une grossesse non désirée est une situation difficile et qu’un avortement engage le corps et le coeur de la femme. Ici cela ne ressemble à rien d’important.
De plus on mélange encore deux sujets qui n'ont rien à voir: la libre décision de la femme et le remboursement par l'assurance maladie. L'argument de la libre décision est même, à mon avis, contre-productif.
On ne choisit pas librement une maladie, et c'est bien ce qui justifie l'existence des assurances et du principe de mutualité, alors qu'on choisit librement de devenir enceinte et d'avorter ou non.
Bien que je sois intéressé au débat de principe soulevé par l’initiative je suis plutôt favorable à l’aspect politique du remboursement. Mais je regrette qu’il n’y ait pas d’opposant admettant la difficile légitimité intellectuelle et médicale du remboursement par l’assurance de base. Je regrette aussi que par l’étendard féministe on tente de culpabiliser les partisans de l'initiative à défaut de leur opposer des arguments auxquels, malgré la fragilité de cette légitimité, on pourrait adhérer.
Refuser l’initiative revient en partie à valider le fait que la femme décide sans l’homme, selon la doxa féministe. Pourtant ils sont deux pour faire un bébé, même non désiré, et même si c'est la femme qui en subit le plus les conséquences. Je pourrais refuser l'initiative à cause de la détresse des femmes. Mais là encore rien à voir avec la liberté de choix, puisque l'avortement resterait permis. Seul son reboursement serait en cause. Pour voter non je devrai donc accepter que le seul argument en faveur du remboursement est politique, comme un geste en faveur du féminisme réformateur des années 70.
En creusant un peu plus le sujet on voit qu'il ne suffit pas de traiter les initiants de gens qui n'ont qu'une envie: attaquer les droits des femmes. Je croyais d'ailleurs qu'il y avait des droits humains. Je suis étonné de savoir qu'il y a les droits des femmes. Et donc à côté, différents, il y a les droits des hommes? Hommes et femmes, dans ce discours, sont nettement différenciés. J'en prends note.
Je n’ai pas abordé d’autres aspects, dont l’éthique, qui demanderait un billet à part entière pour ouvrir le débat.
Commentaires
"«... décider librement si elles veulent, ou non, mener une grossesse à son terme.» Ce que j’entends dans ces propos: «Je suis enceinte, je vais voir si je le garde ou non»."
ce type de phrase démontre clairement que nous sommes dans une société matriarcale, où seul compte l'avis féminin.
actuellement les enfants sonts de plus en plus maternés, on accéde aux moindres de leurs désirs, et ils le sonts d'autant plus qu'ils sonts désirés, ce que permet la contraception et l'avortement, et rembourser l'avortement est dans la droite ligne d'un fonctionnement matriarcal. c'est à dire faire payer un choix purement privé par l'ensemble de la société. le choix de ne garder que les enfants désirés comme ça ils seronts d'autant plus maternés d'autant plus des enfants rois.
Reçu un autre argument que je trouve intéressant:
"Sachant que ce sont bien souvent les plus démunis qui y ont recour on peut peut être considérer le remboursement comme une aide sociale."
Cela renforcerait l'aspect politique du remboursement d'une manière plus sociale.
Le féminisme de M. Roth-Bernasconi dessert les femmes:
Argumenter sur le libre choix de garder ou non un foetus, déclinaison de la libre disposition de son corps, exclut l'homme. L'homme n'est jamais présent dans son discours.
Or comment donner envie à l'homme de dialoguer davantage avec sa compagne et de prendre mieux ses responsabilités dans une relation si on l'exclut d'une décision aussi importante?
C'est le monde à l'envers: on demande à l'homme d'être plus présent et on l'exclut en même temps. Quel non-sens intellectuel!
« On ne choisit pas librement une maladie, et c'est bien ce qui justifie l'existence des assurances et du principe de mutualité, alors qu'on choisit librement de devenir enceinte et d'avorter ou non. »
Pas d'accord!!! Celui ou celle qui fume, celui ou celle qui boit comme un trou, celui ou celle qui mange comme un cochon (?) (ou un cochon par jour...? Ch'sais plus...), celui ou celle qui ne fait pas d'exercices physiques, etc... s'expose sciemment à un risque accru de développer une maladie.
À quand le non remboursement des coûts des traitements médicaux contre les cancers, les maladies cardiovasculaires, etc... pour les fumeurs, les alcooliques, les gros (mangeurs), etc... etc...???
Quand à affirmer qu'une femme choisit librement de se retrouver enceinte et qu'elle sait d'avance quand et où cela se produira... c'est un peu gros! Ou alors, il faut absolument que vous révéliez votre secret à toutes ces femmes qui cherchent désespérément à tomber enceinte!!
À moins d'avoir consulté le marabout du coin (est-ce vous??), c'est IMPOSSIBLE de décider de tomber enceinte à coup sûr, si je puis dire, et de savoir lors de quelle « futution » précise cela se passera.
On ne tombe pas enceinte comme on va acheter son paquet de clopes...
=:oB
"c'est plutôt de ne pas tomber enceinte quelles choississent ( en utilisant des moyens de contraception pilule d'où la difficulté aprés des années de prise de pilule de tomber enceinte par dessus ça les hommes sonts moins féconds qu'avant) et de supprimer un foetus si ça arrive malgré tout.
Clairement NON ... alors qu'il existe tant de pilules ... c'est de la responsabilité des femmes de ne pas en arriver là.
Euh, à propos de la place de l'Homme...,c'est quand même les femmes qui portent l'enfant,accouchent avec les complications que ça implique ,la douleur ou la mort quelque-fois... les premières concernées donc.
Il est vrai que le fait que l'on ne demande pas l'avis à l'homme, dans le principe, c'est mal et peux en effet tenir du sexisme... mais dans les faits on est plutot rares à vouloir viscéralement un bébé quand même.
D'ailleurs, ça fait un peu "tu vas souffrir pendant 9 mois parce que MOI je veux un bébé"
Alors oui,on devrait demander l'avis au papa,parce que ce serait la moindre des choses, par pur respect ou politesse, mais ,sur ce point en particulier,je pense que c'est la maman qui devrait avoir le dernier mot puisque c'est elle qui physiquement va en baver .
Ce qui ressort clairement du sexisme après c'est plutôt les paternités imposées,les fausses paternités à pensions, les gardes retirées,l'Homme objet au rôle de pourvoyeur financier etc...
Quant-à rembourser l'avortement...il faudrait plutôt le banaliser pour qu'il revienne moins cher et ne coûte plus grand'chose,non ? (honnêtement je sais pas comment ça se passe et ces questions d'assurance,je les laisse aux spécialistes)
Je n'ai que peu de temps, et ne peux commenter votre billet autant qu'il le mériterait, excusez-moi. Considérer la grossesse et la maternité comme une maladie, au sens strict du terme d'atteinte à la santé ne résultant pas d'un accident (cf. TFA) est bien évidemment grotesque; mais, si l'on vous suit bien, alors pourquoi l'assurance maladie prend-elle en compte, et paye, les frais médicaux liés à la grossesse et à l'accouchement ? Ne devrait-on pas considérer, en bonne logique, que les femmes qui ont décidé de tomber enceintes et qui ont choisis de mener leur grossesse à terme assument elles-mêmes les conséquences de ces choix? Pourquoi quelqu'un qui choisit de ne pas avoir d'enfant devrait-il payer pour celles qui en veulent? Certes la problématique de la grossesse et de l'interruption de grossesse figure maladroitement dans la LAMal, mais l'alternative est dès lors soit de la retirer intégralement de la loi (en l'intégrant peut-être à l'assurance maternité?) soit on se satisfait de cet arrangement bancal ; en tout cas, on ne devrait pas exclure l'IVG des remboursements de l'assurance maladie si l'on continue à indemniser les frais liés à la grossesse et à l'accouchement.
Il y aurait beaucoup d'autres choses à considérer, mais je n'en ai pas le temps. Simplement, veuillez prendre en compte les promoteurs de l'initiative pour vous apercevoir que ce n'est pas simplement une question de financement de l'IVG, mais bien une offensive sournoise contre le droit pénal en la matière.
@ Aquarius:
Vous amenez un argument très fort en faveur du remboursement. Nul doute. Cet argument a vraiment du sens. La grossesse est aussi un choix personnel et non une maladie, et les soins préventifs ainsi que l'accouchement sont pris en charge. On sait aussi que l'accouchement à la maternité permet d'être plus rapidement prêts à intervenir en cas de complications. L'accouchement à la maison revient au même, avec la présence d'une sage-femme, ou comme en Hollande un camion-bloc opératoire prêt à fonctionner en cas de besoin.
L'on admet donc que ce qui a trait à la grossesse soit dans l'assurance, l'interruption de la grossesse, qui peut avoir plusieurs causes, a une raison de l'être aussi. D'ailleurs les raisons d'une interruption de grossesse peuvent aussi être une maladie, une fausse couche.
Votre argument me semble bien tenir la route, je vais encore y réfléchir mais je crois que je pourrai le faire mien. Merci pour cette contribution très utile.
Par contre je ne vois pas encore où est l'offensive contre le droit pénal. Je vous lirai volontiers davantage sur ce point dès que vous aurez le temps.
@ Nemo:
Faire payer la moitié à l'assurance du garçon est aussi une piste intéressante, puisqu'au fond mon article avait deux idées: le fondement du remboursement et la responsabilisation de l'homme.
On pourrait imaginer que l'homme soit même appelé à donner un accord écrit afin de le responsabiliser. Mais en laissant à la femme qui ne pourrait envisager la grossesse une porte de sortie au cas où l'homme ne veut pas donner son accord.
Pourquoi? Pour laisser quand-même à la femme une possibilité de décision finale. Bien sûr cela revient à s'opposer au désir de l'homme et donc à l'exclure. Mais on pourrait fonder cette décision finale sur le fait que c'est le corps de la femme qui est engagé.
Entièrement d'accord avec toi! L'avortement n'est pas un maladie! Des droits pour les femmes? Pourquoi veulent -elles se distinguer des hommes! C'Est la même discrimination comme les noirs au État-Unis dans les années 50. Il y avait une loi pour les noirs et une autre loi pour les blancs!
Une précision donc. Le droit, en matière d'IVG, est inscrit dans le Code Pénal, art. 118 et seq., depuis 2002. Si l'on examine de près la liste des membres du comité d'initiative "Financer l'avortement est une affaire privée", on trouve sans peine que la totalité de ces éminent(e)s citoyen(ne)s se sont, en son temps, mobilisé(e)s contre ce que l'on a malheureusement appelé la solution des délais. La plupart de ces signataires sont proches des milieux chrétiens intégristes, ou membres des associations "oui à la vie" ou "aide suisse pour la mère et l'enfant" qui n'ont jamais caché que leur programme visait à criminaliser quasiment toute forme d'interruption volontaire de grossesse (cf. initiative "pour la mère et l'enfant" rejetée sèchement en votation populaire le même 2 juin 2002). L'initiative sur le financement de l'IVG, dont tout le monde reconnaît qu'elle aurait un effet insignifiant sur la facture de l'assurance maladie, ne vise donc qu'à remettre en cause le résultat inscrit actuellement dans le Code Pénal. C'est dans ce sens que je parlais d'offensive "sournoise", les initiants camouflant leurs vraies intentions sous un prétexte plus "acceptable".
Il est un autre point à prendre en considération. Même si l'IVG est remboursée, en partie au moins, cela ne signifie en rien une incitation à l'avortement (de plus elle l'était déjà avant la "solution des délais"). L'adoption de cette "solution" n'a pas contribué à faire exploser le nombre d'IVG, qui au contraire, a diminué depuis cette date. Si l'on veut lutter efficacement contre l'avortement, il ne faut pas pénaliser l'acte, mais le prévenir, à l'aide d'une éducation sexuelle précoce et efficace et par un meilleur accès aux moyens contraceptifs les plus fiables : or, ces mêmes milieux qui veulent exclure le remboursement de l'IVG par les caisse maladie sont aussi ceux qui s'opposent à ces deux moyens, sous prétexte de préserver la sphère familiale ou de garantir une pureté des mœurs. Cherchez l'erreur...
Comment croire que, de ces milieux, il n'y ait que le soucis de réduire les coûts de la santé publique ?
Prochain épisode, qui visiblement inspire beaucoup vos commentateurs, pas toujours heureusement : la place de l'homme dans cette histoire. Si vous le voulez bien, bien sûr.