Un siècle après sa disparition il est de retour. Il est annoncé avec emphase par Clémentine Autain. Il est l’arme secrète de Jean-Luc Mélenchon. Il est la justification ultime de tout pouvoir, ou son ennemi le plus intime. Qui?
Le peuple
Le peuple dont Clémentine Autain, porte-parole de Mélenchon, annonçait le retour en 2012. Sa thèse: au XIXe siècle le peuple était la classe ouvrière. Aujourd’hui c’est la population précaire. Quelle est cette population? Clémentine Autain cite en vrac plusieurs catégories sociales ayant en commun de subir une situation économique délicate. Elle insiste sur les immigrés, les sans-papiers et les mères de familles monoparentales.
Pourquoi écrire un livre sur ce thème, et avec ce titre à l’intonation légèrement mythique? Et qu’est-ce que le peuple?
Le premier sens est global:
«Ensemble des humains vivant en société sur un territoire déterminé et qui, ayant parfois une communauté d'origine, présentent une homogénéité relative de civilisation et sont liés par un certain nombre de coutumes et d'institutions communes.»
Par extension:
«Ensemble de personnes qui, n'habitant pas un même territoire mais ayant une même origine ethnique ou une même religion, ont le sentiment d'appartenir à une même communauté.»
Ces définitions sont largement admises. Le poète Lamartine identifie le peuple à la Nation:
«On entend par démocratie et par peuple la famille française tout entière, la nation dans sa génération la plus complète dans toutes les classes, dans tous les modes d'existence, de situation, de professions qui la composent.»
Le peuple définit aussi la population administrée, par opposition aux dirigeants. Il y a enfin une définition partagée par la gauche de la gauche et la droite de la droite: le peuple en tant que dominé culturellement, politiquement et économiquement. La gauche s’est appropriée le terme et a commencé à parler «au nom du peuple». Le peuple n’est pas considéré comme autonome. L’astuce des élites politiques est de parler comme si leur parole était confondue avec celle du peuple.
Rapiéçage
Madame Autain tente de redonner à la gauche un accouplement vital avec le peuple. Car ce peuple était parti depuis longtemps. La classe ouvrière s’est très fortement réduite en nombre par rapport au début du XXe siècle. Les professions ont été multipliées, le prolétariat s’est formé et a gagné des batailles pour sa dignité et son niveau de vie. Le clivage extrême patron-ouvrier d’il y a 100 ans est très atténué. Cependant le langage et sa marque culturelle ne sont pas effacés. Le parti socialiste par exemple peine à se définir: d’un côté il se veut toujours aux côtés des «damnés de la Terre» et de l’autre ce discours ne prend plus vraiment. Il ne trouve pas de nouveau paradigme. Le féminisme est une nouvelle forme de division des sexes et l’écologie est un opportunisme.
Donner un peuple à Mélenchon c’est lui donner une légitimité. Cependant ce peuple est un patchwork non homogène. Les immigrés actuels ont une culture originelle très différente de celle de la France et de l’Europe et nombre d’entre eux revendiquent cette différence. Les sans-papiers ne sont pas les paysans du XIXe siècle, qui ont formé le prolétariat. Ces paysans partageaient les croyances, endossaient la même religion et adhéraient au projet national. Les femmes seules en familles monoparentales n’ont certes pas la vie facile. Mais les hommes divorcés, pères payeurs, pas plus. Ajoutons que les SDF, population précaire s’il en est, sont essentiellement des hommes français aux origines sociale assez diverses. Il n’y a pas de lien clair dans cette notion de peuple. Cela tient du rapiéçage.
Le recours au peuple est surprenant quand il est invoqué par des élites politiques dont le but est de prendre le pouvoir à leur propre compte. Qui peut penser que Mélenchon parle vraiment au nom du peuple? Ou que Clémentine Autain fait autre chose que des effets de voix inspirés des harangueurs classiques, sous des airs mélangés de Ségolène Royal et d’Arlette Laguillier - le coffre en moins (voir les premières minutes de son discours de Marseille en fin de billet)?
Le vieux monde d’après
Clémentine Autain avait un thème dans la campagne présidentielle: opposer le «monde d’avant», forcément mauvais, ancien, réactionnaire, au «monde d’après», tellement formidable et progressiste. Un grand classique, une vielle mythologie. Mais ressusciter le passé comme elle le fait n’est pas vraiment moderne. Les vieilles marmites ne font pas le progrès.
On ne peut exonérer madame Autain de l’intention d’utiliser le peuple à ses propres fins, ou à celles de ses amis politiques. L’un de ses amis justement, Alain Guillou, commente le livre sur le blog de la politicienne:
«Le potentiel de notre “république” reste formidable: il s’agit d’un vieux modèle mais il peut être “refondu” dans “la version futuriste qui est attendue”: seulement, pour conduire ce nouveau modèle, il faudra laisser au peuple doser lui-même selon son bon sens “l’accélération nécessaire”…»
Les élites ont une vraie habitude de guider le peuple comme si décidément il n’était pas capable de se gouverner lui-même. Ici le langage est ambigu. Il s’agit d’accorder au peuple la possibilité de doser lui-même le processus de refonte de la république, mais sous prétexte de le laisser agir à sa guise Guillou lui dit quand-même ce qu’il devra faire. On dirait un roi moderne accordant au bon peuple un moment de défoulement. Un exemple de manipulation intellectuelle incrustée dans le langage.
Le peuple, heureux d’avoir de telles élites, plongera avec délice dans la soumission en croyant décider par lui-même. Ce n’est pas nouveau. Le «monde d’après» de Clémentine Autain est décidément bien ancien.
Commentaires
Désolé pour l'argumentaire lacunaire, mais je suis le seul à avoir la chair de poule en constatant à quel point Mélenchon suinte la haine et la violence dans tous ses discours ?
@ Courant alternatif: j'ai le même sentiment en l'écoutant. Les harangues hargneuses qui provoquent l'adhésion affective en combinant le binôme-agresseur-victime, on sait où cela mène, hélas...
La violence de Mélenchon est connue et malheureusement appréciée d'une partie de la population. La stigmatisation, le rejet y tournent à plein.