A un badaud qui lui lançait à propos de la Syrie: «N’y allez pas, ce n’est pas notre problème», François Hollande a répondu: «Ben si justement. Tout est notre problème, c'est ça le sujet». Une petite phrase qui fera date. La première parole intéressante de Hollande en 18 mois de mandat.
Intéressante pour la réflexion qu’elle induit. Tout est-il vraiment notre problème? Devons-nous par principe et systématiquement nous occuper des affaires des autres? Cette petite phrase contient une contradiction essentielle:
- D’un point de vue humain, humaniste, solidaire, oui nous devons être attentifs aux autres et à leur souffrance; nous devons leur tendre la main s’ils sont dans une trop grande détresse; sans cette solidarité l’humanité n’est plus l’humanité.
- D’un point de vue politique on peut y voir une volonté universaliste, idolâtrée parfois alors que cette volonté, produit à la fois du christianisme et du marxisme, peut être perçue comme le germe même du colonialisme, voire de l’impérialisme.
La contradiction ne peut se résoudre que par l’intelligence des situations, de chaque situation. L’intelligence serait d’abord de mieux considérer les citoyens occidentaux en leur tenant un discours honnête et lucide. Elle serait de faire la part des choses et d’imaginer des solutions pour soulager le sort des civils. Elle serait de ne plus soutenir les djihadistes. Djihadistes dont la France dit qu’ils n’ont pas la logistique pour lancer du gaz sarin sur un quartier de Damas. Mais qui ont quand-même assez d’armes, de matériel et de moyens de communication pour encercler ou prendre de force certaines villes, contre une armée qui elle dispose d’une bonne logistique. Les insurgés ne sont pas quelques révolutionnaires idéalistes et désarmés: ce sont des brigades formées d’enragés solidement armés et d’une cruauté documentée.
«Tout est notre problème»: si par ce «nôtre» François Hollande inclut les français, qu’il leur demande leur avis. Jusqu’à preuve du contraire c’est plutôt «son» problème. Et celui de ses commanditaires saoudiens.
Tout peut être notre problème, oui, mais peut-être pas de la manière dont Hollande l’envisage. C’est aussi notre problème de voir aujourd’hui l’Irak ensanglanté d’attentats dont on ne parle presque plus mais qui font jusqu’à une centaine de morts par jour. C’est notre problème d’avoir à l’époque fourni à Saddam Hussein l’arme chimique. C’est notre problème d’anticiper et d’imaginer la chute de Bachar el Assad: prise du pouvoir par les islamistes, purges sanglantes contre les alaouites, les chrétiens et les druzes, Etat religieux néofasciste, dissémination de centaines de milliers d’armes et de munitions chimiques dans la région. C’est notre problème de penser plus loin que le chiffon rouge que l’on agite opportunément devant nos yeux.
Commentaires
@Homme Libre.
Je suis d'accord avec vous et tout particulièrement avec cette idée que vous exprimez ici
"La contradiction ne peut se résoudre que par l’intelligence des situations, de chaque situation. L’intelligence serait d’abord de mieux considérer les citoyens occidentaux en leur tenant un discours honnête et lucide. Elle serait de faire la part des choses..."
Je me permets de vous indiquer le lien sur une intéressante analyse analogue.
Jean Bricmont expose les défauts identitaires des unes et des autres formations de la constellation de gauche qui les ont empêchés de faire les distinctions nécessaires avant le choix d'une action.
La gauche (de la plus modérée à la plus radicale) baigne dans une confusion de lumière trop éblouissante... Peut-être devrais-je dire dans une obscurité trop épaisse.
Même à gauche on a accidentellement ou pas institué le mandarinat vers l'obscurantisme.
http://www.counterpunch.org/2013/08/14/the-wishful-thinking-left/
les francophones ne sont pas oubliés ici:
http://www.michelcollon.info/Cette-gauche-qui-prend-ses-desirs.html
Merci Homme libre de nous donner l'occasion d'échanger nos points de vue sur des questions graves et fondamentales comme celle-ci.
Vos exposés sont toujours intelligents et constructifs.
2012:
Robert Mood, chef des observateurs de la mission de paix sur le terrain divulgue que «des parties étrangères contribuent à la spirale de la violence en fournissant à la rébellion armes et argent»
le 2 août 2012: Le plan de paix proposé par Kofi Annan, pourtant accepté par le gouvernement Syriens avec l'appui de Moscou et de Pékin capote définitivement
Pourquoi là, cela n'a pas été l'affaire des occidentaux ?
Bien des morts auraient pu être évitées pourtant ?
L'intransigeance et l'impatience occidentale à virer Bachar El Assad a fait capoté le cessez le feu.
La Syrie a une population très cultivée, habituée a une liberté de croyance bien loin des excités charcutiers de l'Islam. Elle aurait sans doutes eu la capacité à gérer un vrai printemps arabe bien plus pacifiquement. Du moins obtenir plus de droits politique sans bains de sang. Car virer El Assad était moins une condition absolue des Syrien que des occidentaux. Les exactions des envoyés Saoudiens ont immédiatement générés des violences dès le début. EN lynchant des policiers par exemple.
(Si une contestation contre François Hollande, virait au point d'abattre et de lyncher des policiers, il n'enverrais pas l'armée sans doutes ? Alors qu'on envoie déjà des gens en prison pour délit d'opinion... )
Comme le relevait ce jeune Syrien Français en 2012 :
http://www.youtube.com/watch?v=o4_nvT1g3r0
Tout est son affaire alors, oui mais à la manière d'un vrai dictateur, François Al Land
On peut n'avoir aucun intérêt pour la faim dans le monde, la pollution, les centrales nucléaires, les guerres, les peuples qui crèvent sous la dictature des uns et des autres. On peut tout ignorer et vivre à cultiver notre jardin potager avec grâce et sourire. Oui. Sans médias, sans relations au monde entier, on peut tout oublier et penser à notre petite vie personnelle. C'est sympa de vivre pour soi. Et on n'embête personne. Ma cabane au Canada, en bon sauvage, toujours dans le coin caché de mon utopie fleur bleue. Oui mais. Notre conscience est le seul rempart à l'absurdité de la condition humaine. Notre conscience est notre amie qui nous permet d'entretenir des rapports positifs et en paix avec l'autre. Notre conscience nous permet de faire face aux tragédies avec humanité plutôt que bestialité.
Alors on peut choisir son mode de vie. Mais on ne choisit pas sa conscience. On la développe et on l'aiguise si on le désire, ou pas...
Vous lirez certainement avec intérêt ce qui suit :
http://www.politique-autrement.org/spip.php?article232
Excellent texte Géo, vraiment excellent. Et avec la conclusion on n'est pas sorti d'affaire. Quoique cette conclusion se discute:
"... pour atteindre des fins « bonnes », nous sommes la plupart du temps obligés de compter avec, d’une part des moyens moralement malhonnêtes ou pour le moins dangereux, et d’autre part la possibilité ou encore l’éventualité de conséquences fâcheuses."
Je ne saurais dire si c'est vraiment "la plupart du temps".
Mais cela se vérifie dans l'éducation, quand la punition sert de moyen d'éveiller l'attention et la conscience dans une perspective bonne.
Cette phrase rappelle sur Terre: "on n’a pas le droit de présupposer la bonté et la perfection de l’homme".
Beatrix, merci pour les liens vers cet article. J'adhère en bonne partie à sa réflexion, ayant eu partiellement un parcours analogue. Mais sans avoir jamais pu m'affilier à un quelconque groupe activiste: j'étais trop indépendant pour cela et le maoïsme et autres n'étaient pas ma tasse de thé.
Le titre est bien trouvé :
http://www.lepoint.fr/monde/syrie-francois-hollande-cocu-magnifique-02-09-2013-1720142_24.php
C'est le gars qui part en disant suivez-moi et qui un peu plus tard se retourne et voit qu'il est seul.
Le commentaire de Morainville est excellent.