Pas d'histoire de Noël, mais un cadeau pour ceux et celles qui honorent mon blog de leur attention, qu'ils et elles partagent ou non son contenu. C’est l’une des histoires qui composent mon nouveau livre, «Les contes de Crocodile River». Dans ces histoires des humains, drôles ou touchants, suivent leurs idées parfois jusqu'à l'absurde ou au miracle, vêtus d'innocence et de rêves. Celle-ci est plutôt humoristique et courte.
Assis sous le grand baobab ils attendent la conteuse. Petits et grands, jeunes et vieux. Ils bavardent comme des moineaux.
« D’où vient-elle ? De Jobourg. Que raconte-t-elle ? L’histoire du vent. »
« Moi je sais, dit l’un. Je connais bien l’histoire. Je sais à quoi sert le vent. Regardez là-haut. Là, dans l’arbre ! Oui, là : le singe, avec sa gueule toute noire. C’est un vervet. Regardez les touffes de poils autour de ses yeux. Il sert à cela le vent : à faire bouger les poils de ses joues. »
« Le vent n’a pas été inventé pour retrousser les poils des vervets, dit un autre. Ce n’est pas sérieux. Il sert à des choses bien plus importantes. Voici la vérité : le vent fait des vagues. Les vagues, si l’on regarde bien, c’est comme une peau ridée et transparente. Sous cette peau on peut voir le sang de la Terre : l’eau ! En remuant la peau, le vent fait circuler ce sang et toutes les choses vivent : les plantes, les animaux, les oiseaux, et même nous. »
« L’eau, une peau ? Tu divagues avec tes vagues. Moi j’entends à quoi sert le vent : à fabriquer des cerfs-volants. Sans lui personne n’aurait eu l’idée. Et moi, je ne suis pas folle, je suis allé à l’école. Je peux vous dire : les cerfs-volants sont à l’origine de l’é-lec-tri-ci-té. C’est un monsieur Benjamin Machin qui a trouvé ça un matin... »
« Tu ne connais même pas son nom. Franklin, pas Machin ! Benjamin Franklin. Bon tu ne sais rien et moi je suis malin. Alors je vais te dire : le vent a été créé pour que le lion ne nous sente pas approcher. Il a souvent le nez en l’air, le lion. Et les yeux droit vers le nez. Il louche. Quand il hume l’odeur d’une proie ses yeux la voient immédiatement, même s’il louche. Donc nous nous arrivons par derrière et le lion ne remarque pas notre odeur. »
« Et tu fais quoi par derrière ? Tu attrapes sa queue en disant : minou minou ? Et si tu éternues ? Il t’entend ! Et si le vent tourne ? Il te sent. Et après le lion te mange. Miam miam ! Non merci. Je ne veux pas être son petit déjeuner. Je vais vous dire, moi, car j’ai longuement étudié le vent. Eh bien ce sont des esprits qui font de la musique. Ils soufflent sur les branches, contre les falaises, au travers des bambous, et cela siffle, et cela chante, et cela rugit. Le vent est la musique et les esprits sont les musiciens. »
« Toi tu as trop regardé le soleil, ta tête est aplatie dedans comme un haricot ! Moi je sais. Le vent, d’abord, on ne connaît pas son origine. Mais certains l’ont vu descendre du Kilimandjaro. C’est haut le Kilimandjaro. Il prend de la vitesse comme une boule, il arrive sur la plaine, file entre les herbes, vire à droite ou à gauche selon son humeur. Il franchit la frontière et traverse le parc Kruger. Il arrive à Matsulu. Là il vole au-dessus de Crocodile River, passe entre les maisons et quand il voit une belle dame habillée d’une belle robe, il glisse par-dessous et retrousse la robe. Et tout le monde rigole, rigole, il y en a même qui se roulent par terre tellement ils rigolent. Il sert à ça le vent : à rigoler ! »
Toutes les personnes de l’assemblée rient aussi en imaginant cette scène cocasse.
« Oui, c’est vrai. Un jour à Matsulu, il a même soulevé les robes de toutes les dames. Toutes ! Ils ont rigolé pendant trois jours. »
Et l’on se plie en deux en pensant à toutes ces fesses à l’air.
« Moi je l’ai vu soulever les robes de toutes les dames de Johannesburg ! Toutes ! Et tout le monde rigolait à se pisser dessus ! »
« Et bien moi je suis allé en Écosse et le vent a soulevé les kilts de tous les messieurs d’une fanfare. On a tout vu ! Tout ! Et les dames se tenaient les côtes et hoquetaient comme des dindons. »
Et tous de rire sans retenue à chaque évocation du spectacle offert par le vent. À ce moment la conteuse apparaît. L’assemblée fait silence. Elle s’assied. Regarde chacun dans les yeux, l’un après l’autre. On retient sa respiration. Même le vervet se tait.
Quand le silence est aussi épais que le baobab elle demande :
- Quelqu’un sait-il pourquoi les dames de Matsulu ont commencé à porter des pantalons ?
La question de la conteuse fait l’effet d’une vanne que l’on ouvre et une cascade de rires noie la petite place sous le grand arbre. Les chutes Victoria ne serait pas plus bruyantes. Après plusieurs minutes la conteuse se demande encore pourquoi les personnes présentes se roulent au sol dans un fou-rire inextinguible.
Bonne fête de Noël!
John Goetelen
Image 2: Crocodile River, Afrique du Sud, province de Mpumalanga (trad.: "Lieu où le soleil se lève").
«Les contes de Crocodile River»
Commentaires
Merci John de cette histoire que j'ai beaucoup apprécié.
Bonnes fêtes à vous.
PS. Une adresse svp pour acheter ce livre. Merci
Merci Grindesel.
Il est pour le moment disponible en ligne sur le site www.atypic.ch.
Je verrai en 2014 si des librairies veulent le prendre.
Bonnes fêtes!
Grindesel, je vous ai envoyé le pdf du livre par courriel hier soir. J'espère que vous l'avez bien reçu. Bonne lecture.