Jean est né un premier janvier. Dur à dire au guichet des administrations sans déclencher des rires. On croit à une blague. Parce qu’il s’appelle Jean Vié. Cela ne s’invente pas. Enfin, si, cela s’invente.
A chaque fois qu’il s’annonce on lui répond: «Prénom et nom s'il vous plaît, pas le mois de l’année». «Ce n'est pas le mois de l'année. Je m'appelle Vié. Jean Vié.» «Ah... Bon.» Et l’on devine un sourire vite réprimé sur le visage de son interlocuteur. Si seulement il s’était prénommé, je ne sais pas, Henri par exemple, cela aurait été si simple. «J’me présente, je m’appelle Henri. Henri Vié.»
Jean a fait des recherches généalogiques. Personne n’a été prénommé Jean dans sa famille, depuis des siècles. Il est le premier. Le premier Jean Vié. Il est très fâché avec ses parents. Pourquoi donc l’ont-ils prénommé Jean? Qu’avaient-ils en tête? Et ce n’est pas tout. Quand on naît un premier janvier, la fête est souvent oubliée. Les amis qui se déchaînent le 31 n’ont plus la force de répondre à son invitation au soir du 1er.
Un jour Jean a une idée. Il annonce une grande surprise pour la nuit du réveillon, à zéro heure précise.
- Mais qu’est-ce que c’est?
- Quelle surprise?
- Tu nous fais mourir, Jean.
Ses amis sont très impatients mais Jean ne dévoile rien. La soirée du 31 se passe normalement. On mange, on rit, on discute, on danse. Vers onze heure trente Jean s’éclipse. Les discussions ne tournent dès lors qu’autour de lui. Chacun imagine la surprise:
- Il arrive en hélicoptère.
- A dos de chameau!
- Il allume un feu d’artifice dans la rue.
- Il débarque à cheval dans l’immeuble et gravit les marches avec sa monture.
Il ceci, il cela, toutes les idées les plus farfelues sont jetées sur la table. A minuit il n’est pas là. Les douze coups d’un vieux morbier sonnent et l’on se fait la bise. A minuit et cinquante-neuf secondes on sonne à la porte. C’est Jean, vêtu d’une toge romaine et d’une couronne dorée. Il porte des sandales de cuivre. Un orchestre de trompes l’accompagne et balance une sorte de vieux rock médiéval infernal.
Jean s’annonce alors d’une voix forte:
- Je suis Jean Vié premier, empereur d'une nuit, né un premier janvier. Place, place, j’arrive!
Jean, habillé en une sorte d'empereur romain, déclenche des rires dont il jouit sans modération. Toute la nuit on fête et le 1er janvier, et Jean Vié premier. C'est une nuit mémorable. Au matin, détrôné par la fatigue, il s'endort, heureux.
Cette historiette bricolée ne restera pas dans les annales. Mais si, peut-être, elle vous a fait esquisser un sourire à un moment ou à un autre, ou découvrir un groupe de musique médiévale (Warok, image 2, vidéo plus bas), c'est bien ainsi.
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Commentaires
Sympa votre histoire.
Au fait, c'est quand même mieux que d'être africain, et surtout d'avoir vu le jour ou d'avoir été déclaré à l'état civil un 14 juillet.
Parce que dans ce cas de figure, on était souvent nommé Fêt.Nat
Bonne année!
très drôle et spirituel...je suis de celles qui détestent les fins et début d'année et encore plus leur consécration...aussi avec votre conte de janvier cela m'a donné m'a donné un petit sourire en ce jour où je me transforme en Grincheux...merci et au plaisir de vous relire...
:-)
Merci d'avoir apprécié.
Denise, en effet, FetNat... Certains pays africains permettent un usage très fleuri des prénoms!
Merci votre conte est chouette, et la musique me fait penser à celle que jouait René Zosso, il y a longtemps, sur sa vielle. référence: http://www.deezer.com/artist/81720
Merci pour le lien, Nin. J'aime beaucoup ce genre de musique!
Et bonne année 2014, en espérant vous retrouver sur une scène (Fête de la Musique? Vous nous informerez?).
Bonne Année Homme Libre, en mots, en musique et sourires! Mais pour profiter de tout cela...bonne santé!