J’aime beaucoup Goldman, sa musique, son univers sonore et certains de ses textes. Alors j’ai écouté sa dernière production et regardé le clip. Et j’ai été, disons, surpris. Cette chanson en forme d’hymne, «Toute la vie», destinée aux Enfoirés, ne fait pas l’unanimité.
La thématique voulue par le chanteur est inattendue: le «choc» des générations. Les jeunes se plaignent d’un monde fermé et violent, les vieux leurs disent de se bouger. Un grand classique: les anciens conseillent les nouveaux arrivants dans la vie.
Voyons quelques extraits du texte:
Les jeunes - Vous aviez tout : paix, liberté, plein emploi
Nous c'est chômage, violence et SIDA
Les anciens - Tout ce qu'on a, il a fallu le gagner
À vous de jouer, mais faudrait vous bouger
Les jeunes - Vous avez raté, dépensé, pollué
Les anciens - Je rêve ou tu es en train de fumer?
Les jeunes - Vous avez sali les idéologies
Les anciens - Mais vous avez, mais vous avez, oui vous avez
Toute la vie
Et au final, les anciens - C'est ta vie, vole et vas-y, vole et vas-y
À ton tour et vas-y, à ton tour et vas-y, à ton tour... vas-y
Les jeunes reprochent aux anciens ce qu’ils ont fait (ou pas fait) au monde, les anciens se défendent et passent le témoin.
Alors, à moins qu’il soit aujourd’hui interdit de parler à des jeunes et de les appeler à vivre, à moins que le jeunisme ne soit devenu une nouvelle religion intouchable, je ne vois pas ce qu’il y a de réactionnaire dans ces paroles. Les qualifier même de réactionnaires montre une stupidité crasse et un usage abusif du mot, qui perd ici sa signification. Et puis, à l’ère du portable, au nom de quoi veut-on faire la morale alors que les terres rares qui servent à nos technologies de communication viennent en partie de l’est de la République démocratique du Congo, là où la guerre a fait environ 5 millions de morts ces dernières années.
Par extension, doit-on considérer un enseignant comme automatiquement réactionnaire? On pourrait répondre: non, car il enseigne des matières et non de la morale. Ah, c’est la morale qui dérange? Laquelle? Celle de jeunes gens qui n’ont pas encore été au charbon et qui accusent leurs aînés, ou celle d’anciens qui reviennent du charbon et qui n’ont pas réalisé tous leurs rêves?
C’est comme d’hab, l’anathème remplace l’analyse.
Qu’est-ce donc qui a poussé certains à y voir une chanson réactionnaire? L’idéologie gauchiste résiduelle? Possible. On ferait bien de relire Léo Ferré, qui dans son poème musical «Il n’y a plus rien» (1973) se permet de juger les jeunes bien plus durement et de leur dire ce qu’ils doivent faire, de préférence en rupture d’avec le monde (ce qui marche mieux que de proposer de s’y impliquer personnellement):
«Quand tu rentreras dans ta boîte, rue d'Alésia ou du Faubourg
Si tu trouves quelqu'un dans ton lit
Si tu y trouves quelqu'un qui dort
Alors va-t'en, dans le matin clairet
Seul
Te marie pas
Si c'est ta femme qui est là, réveille-la de sa mort imagée
Fous-lui une baffe, comme à une qui aurait une syncope ou une crise de nerfs...
Tu pourras lui dire : "Dis, t'as pas honte de t'assumer comme ça dans ta liquide sénescence ?
Dis, t'as pas honte ? Alors qu'il y a quatre-vingt-dix mille espèces de fleurs ?
Espèce de conne !"
Et barre-toi !
Divorce-la
Te marie pas !»
Un tel texte passerait-il aujourd’hui la censure du politiquement correct? Léo Ferré, anarchiste revendiqué, serait-il traité de réactionnaire par la «génération terres rares» gavée de Gangnam Style et de sang virtuel? Serait-il stigmatisé par ceux qui, scotchés à leur écran dans le bus, ne voient plus le monde autour d’eux et n’ont encore rien réalisé qui mérite le respect?
Et encore:
«Il n'y a plus rien
Et ce rien, on vous le laisse !
Foutez-vous-en jusque-là, si vous pouvez
Nous, on peut pas
Un jour, dans dix mille ans
Quand vous ne serez plus là
Nous aurons tout
Rien de vous
Tout de nous
Nous aurons eu le temps d'inventer la Vie, la Beauté, la Jeunesse
Les larmes qui brilleront comme des émeraudes dans les yeux des filles».
Comme si les anciens n’avaient pas eux aussi inventé la vie, la beauté, et les larmes comme des émeraudes dans les yeux des filles. Comme si le monde n'avait jamais existé avant les années 1960. Relisons Ronsard, Audiberti, Musset, Baudelaire, Claudel, et tant d’autres qui, chacun à sa manière, ont apporté une petite pierre à la culture de la liberté individuelle dont profite la génération terres rares.
Cela dit, musique, texte et clip de Toute la vie sont d'une faiblesse créative qui étonne chez Goldman.
A suivre
Le clip et la chanson:
Clip : Les Enfoirés - Toute la vie par LePoint
Commentaires
Il est fatigué, Goldman. A force de trop donner, à force de ne pas voir la jeunesse relevé le défi, à force de voir que la génération fric à tout emporter avec elle, même les rêves de grands amours qui durent plus que le temps d'une saillie sous alcool et des mots qui volent plus bas que terre entre garçons et filles...
Cette polémique autour d'une chanson me semble typique de ce que les réseaux sociaux peuvent produire de plus vain.
En écrivant un commentaire à ce sujet, je participe bien sûr au phénomène ...
Les susceptibilités sont vraiment à fleur de peau et les jeunes et moins jeunes qui s'émeuvent tant, font la démonstration du fait que certains ont trop de temps à disposition, puisqu'ils peuvent le passer à s'échauffer au sujet d'une rengaine.
J.L. Aubert décroche le premier prix dans la catégorie : "Oui, mais je n'ai pas inhalé."
http://video.lefigaro.fr/figaro/video/les-enfoires-jean-jacques-goldman-attaque-par-jean-louis-aubert/4084257001001/
« Cela dit, musique, texte et clip de Toute la vie sont d'une faiblesse créative qui étonne chez Goldman. »
Normal.
C'est les mêmes producteurs, les mêmes labels, les mêmes publicitaires aux commandes depuis 30 ans.
Les mêmes qui pleurent que les jeunes n'achètent plus de CD.
Veulent de la musique? Tiens, ta camelote! Et allez encore un morceau. 2 pour le prix de 1. Ca coute pas cher. Ce genre de camelote, on en a encore des wagons datant des années 90. T'en veux encore, Pirate ?
@ Calendula:
Aubert, démission!!!... :-)))
Cette sortie est un morceau d'anthologie, qui pourrait surclasser sa prose habituelle. Virenque, c'était à l'insu de son plein gré; Aubert bouge ses lèvres par hasard sur un playback.
"Oui, mais je n'ai pas inhalé.": what else?...