Rien ne va plus chez Charlie. La violence subie en janvier a laissé des séquelles. On peut le comprendre. Leurs amis sont morts sous leurs yeux. Eux-mêmes ont vu la mort dans le canon d’une arme automatique. Ils leur faudra peut-être des années pour digérer le choc.
Mais il y a autre chose. Il semble que la notoriété mondiale et l’argent reçu aient déstabilisé les survivants. Il en résulte un climat de conflit dont la presse se fait l’écho. Les personnes concernées n’ayant pas démenti, on peut y voir une partie de la pièce qui se joue maintenant.
L’argent
Plus de 4 millions reçus en soutien, et 12 millions provenant de la vente du numéro des survivants et des nouveaux abonnements. Les 12 millions avant impôt appartient aux propriétaires-actionnaires du journal. Car, oui, Charlie fonctionne avec une direction qui prend les décisions et non selon un système idéal d’autogestion ou d’égalité des pouvoirs. On peut être libertaire et proprio.
Mais entre un canard à l’orange appelant au secours ses 10’000 lecteurs en se disant tout proche du rouge, et une feuille qui pèse des millions de trésorerie, il y a un saut quantitatif qui éveille les appétits les plus simplement humains. Tous veulent une part du gâteau. Mais à qui appartient ce gâteau? Lundi, la direction a annoncé que l’argent provenant des soutiens sera reversé intégralement aux familles des victimes. Pour le reste:
« Charlie Hebdo est détenu actuellement à 40 % par les parents de son ex-directeur de la rédaction, Charb, tué dans l'attaque du 7 janvier, 40 % par le dessinateur Riss, nouveau directeur de la publication, blessé lors de l'attaque, et 20 % par le directeur financier Éric Portheault. »
La direction a rappelé son engagement absolu à ne percevoir aucun dividende sur les sommes reçues. Quinze salariés sur vingt ont demandé de nouveaux statuts:
« Quinze salariés, dont Zineb El Rhazoui, sur la vingtaine que compte le journal, ont réclamé en avril une nouvelle gouvernance et un statut d'"actionnaires salariés à parts égales", contestant l'utilisation des fonds recueillis. »
Pour quelles raisons? Parce que les survivants ont aussi risqué leur vie? Ou par opportunisme? Jusque là personne n’avait demandé à une gouvernance à part égale, et on les comprend: la faillite menaçait. A ce moment seuls Charb et Riss étaient engagés juridiquement et financièrement. Personne n’a demandé à être associé à une entreprise moribonde. Et quand l’argent abonde, il faudrait changer de système? C’est fort de café: quand quelqu’un bosse et gagne de l’argent, on va lui demander de le donner. Au nom de quoi?
Tensions internes
Diverses polémiques sont apparues suite à l’attentat. Sur l’argent bien sûr. A cet égard le plus charismatique de Charlie, l’urgentiste Patrick Pelloux, déclarait sur France Info:
« Cet argent doit être redistribué aux victimes, c'était l'engagement qui avait été pris (...) par des membres de la direction ou des avocats. Or, à l'heure actuelle, on ne sait pas trop comment ça va se passer, avait-il estimé, regrettant qu'à chaque fois, il n'y ait pas de réponse ».
De son côté un autre membre de la rédaction, Zineb El Rhazoui, « a fait savoir la semaine dernière qu'elle était convoquée pour un entretien préalable à un licenciement. La direction avait ensuite assuré que cette convocation visait uniquement à lui rappeler ses obligations vis-à-vis de son employeur. Ce différend intervient alors que la rédaction est divisée depuis les attentats. Quinze salariés, dont Zineb El Rhazoui, sur la vingtaine que compte le journal, ont réclamé en avril une nouvelle gouvernance et un statut d'actionnaires salariés à parts égales, contestant l'utilisation des fonds recueillis. »
Plus précisément, selon l’hebdomadaire Le Point:
« Une quinzaine de membres de Charlie Hebdo ont annoncé avoir créé une association afin de réclamer une refondation de l'hebdomadaire : plus de collectif, plus de transparence. Ils veulent réorganiser l’hebdomadaire en une Société coopérative de production (Scop) dans laquelle tous les salariés deviendraient actionnaires à parts égales. »
Zineb El Rhazoui (vidéo ci-dessous) a été convoquée par la direction et récemment suspendue. Selon elle ce serait dû à des retards dans la livraison de ses chroniques et au fait qu’elle a écrit une tribune dans Le Monde où elle met en cause la direction. Or, de gauche ou non, Charlie reste une entreprise avec une direction qui prend des décisions. On peut contester ces décisions en justice. On peut vouloir forcer la main de ceux qui ont maintenant la gestion de cet argent et la responsabilité civile de son usage. Or cet argent ne sert pas à remplir les poches des directeurs - ce qui en soi est leur liberté pleine et entière - mais à l’entreprise et à son développement ou sa survie.
Si vous voulez flinguer Charlie, mettez de l’autogestion dans sa gouvernance. Des gens non préparés et appâtés par les millions ne sauront assurément que foutre la merde. C’est déjà ce qu’ils font en interpellant le public sur les supposés dysfonctionnement du journal. Leur démarche n’étant pas saine, on voit mal comment il pourraient gérer une entreprise de manière positive pour son rayonnement et ses finances.
Charlie vivra ou non. On ne sait encore combien de nouveaux abonnés pour trois mois de janvier ont renouvelé depuis. On ne sait s’il survivra aux cupidités et aux luttes de pouvoir. De ce point de vue, de droite ou de gauche, les humains sont les mêmes.
Zineb El Rhazoui : l’argent versé à Charlie... par libezap
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Salem Ben Ammar Bienvenue à tunisie secret.com
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