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Chronique ta mère (2) : la petite fille et le pape

Sofia saura-t-elle un jour ce qui lui est arrivé? Comment elle a été instrumentalisée par ses parents? Comment elle a été balancée sur cette avenue américaine comme monnaie d’échange?

 

papeSofia.jpgJe ne sais pas si elle fera cette analyse. Aujourd’hui, à cinq ans, elle est une héroïne et ses parents l’encensent. Elle a fait ce qu’on lui demandait. Tout avait été préparé. La lettre, écrite de main d’enfant, le texte appris par coeur dont je doute qu’elle connaisse le sens de tous les mots, la mise en scène huilée. Et cela a marché.

 

La petite fille a été remarquée par le pape, qui a fait signe à ses gardes du corps. « Amenez-la vers moi! » semble-t-il dire. L’image est parfaite. L’espace autour de la voiture est dégagée, les télés sont en première ligne. Le père avait bien choisi l’endroit, il avait vu les caméras. Le tout sous un soleil éclatant. On dirait que le Saint Esprit fait du cheval sur le bitume. 

 

Le pape, lui, fait le show et la foule applaudit plus fort. En bonne star démagogue (oups, pléonasme), connaissant les codes télé-bons sentiments, il prend la fillette dans ses bras et l’embrasse. En quelque sorte il donne une prime à la transgression. Pourquoi pas? Après tout c’est aussi son marketing et la pub est bonne à prendre. Elle lui tend une lettre. Sur cette lettre elle se dit inquiète pour ses parents. Elle demande au pape de parler au président pour que ses parents, illégaux mexicains, ne soient pas renvoyés dans leur pays.

 

sofia-cruz-y-su-padre.jpgLe monde entier a vu Aylan, a vu Sofia. Le monde entier s’émeut pour Aylan, pour Sofia. Un enfant c’est l’innocence. Surtout quand il est seul. Imaginez un instant qu’il y ait eu 20 ou 50 petites Sofias courant vers le pape. Ou des milliers, autant qu’il y a d’illégaux aux Etats-Unis. François, le bon pape écolo-gauchiste aurait-il pris le temps de les embrasser toutes? La presse de filmer chacune? De faire répéter chaque lettre apprise par coeur? D’interviewer chaque père? De les présenter toutes au journal télévisé?

 

Jamais! 1’30 une fois cela suffit. Une petite fille c’est symbolique et lumineux. Mais une bande de gamines se battant pour être près du pape, et une demie-heure de séquence télévisée, des dizaines, des centaines, des milliers d’illégaux plaidant leur cause, cela n’a aucun intérêt. Un, c’est joli et pas dérangeant. Trop c’est trop.

 

Le nombre altère le message. A la première fillette on s’émeut, on pleure, on trouve cela so cute! A la deuxième on va chercher le paquet de chips. A la troisième on zappe. A la quatrième on se demande pourquoi il n’y a rien d’autre à la télé de m…

 

Si vous avez été ému par ces images c’est que vous ne les avez pas assez décryptées. Au fait, comment on appelle ça, une petite fille pauvre jetée sur le bitume pour attirer un homme puissant?

 

On peut bien sûr regarder cela au premier degré, le soleil, le gentil pape, la jolie fillette, les pauvres parents, l’espoir d'une intercession divine dans les affaires du monde. Cette séquence est en réalité d’une cruauté inouïe pour la fillette utilisée par ses parents qui agissent en proxénètes moraux, pour le pape qui se fiche des autres enfants, pour la télé pédophage, et pour les autres illégaux qui n’avait pas préparé la même mise en scène ou qui n’étaient pas au bon endroit.

 

C’est un conte moderne, un remake du Petit Poucet ou de Hansel et Gretel. Le père de Sofia donne son enfant à l’ogre moral. Après Aylan, après Sofia, qui sera le prochain? Les téléspectateurs-ogres ont besoin d’enfants. Leur appétit est sans limites. Donnez-leur des enfants.

 

 

C’était: un peu de nécessaire cynisme pour garder ses distances émotionnelles dans cette société péripatéticienne.

 

 

 

 

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 Et n'oubliez pas, dernière ce soir:


afrique,crocodile river,grrr,goetelen,contes,ferney voltaire,25 septembre à 20 heures.

 

Au théâtre Micromégas à Ferney-Voltaire. Toutes les informations utiles et un plan d'accès se trouvent ici sur le site dédié. Réservations par internet ou auprès de l'Office du Tourisme de Ferney-Voltaire (voir le site). Des places seront disponibles à l'entrée dès 19h30. 

 

Merci de faire circuler.

 

 

Catégories : Chronique ta mère 5 commentaires

Commentaires

  • L'image est jolie, la pitchounette adorable avec sa robe chatoyante et colorée, son air sage et ses cheveux de jais. Elle a fait bravement ce que ses parents lui dont dit de faire, trottiné avec conviction vers sa "cible", avec le sérieux et la confiance d'un enfant obéissante et aimée.
    Elle a tout de même du avoir peur quand le grand policier a voulu gentiment la raccompagner, puis être soulagée quand ce pape, dont on doit lui parler comme le père Noël, l'a embrassée. Sur les images qui suivent, une fois qu'elle est revenue vers ses proches, on voit bien qu'elle craque un peu et qu'elle laisse couler quelques larmes. La scène reste extrêmement touchante mais c'est vrai qu'il y a quelque chose de too much dans l'effervescence autour d'elle. On a l'impression de voir célébrer un jeune sportif ou un jeune concurrent de The Voice Kid. Comme si l'enfant qu'on doit aimer inconditionnellement quand on lui a donné naissance passait derrière son "exploit". Comme si l'amour qu'on lui devait ne trouvait sa pleine légitimité qu'en étant articulé à une cause plus grande.
    Alors instrumentalisation ? Oui, évidemment. Cela dit, il y a des causes plus honteuses. Sofia a porté la voix de ses parents mais ce faisant, même si elle n'en avait pas conscience, elle a aussi défendu ses propres intérêts, son "droit au bonheur" comme on lui fait dire dans son "courrier". Il ne suffit certes pas d'entendre sa revendication pour bâtir une politique migratoire cohérente, viable et humaine à la fois...
    Mais bon, comme dans le cas d'Aylan, le cas particulier mis en avant permet au moins de limiter la fascination des statistiques froides et les généralisations rapides. Oui, on peut penser que les Etats-Unis ne peuvent se permettre de régulariser tous les immigrés clandestins qui se trouvent sur son territoire.
    Oui, des expulsions dans des conditions décentes ne sont pas, en soi, condamnables sur le plan éthique. C'est ce que je pense moi aussi.
    Mais à condition de ne jamais oublier que ces mesures touchent des personnes, pas des concepts, pas des chiffres, et qu'on doit chercher à concilier, autant que possible, la recherche de l'efficacité, qui est légitime, avec le respect des droits humains, et même avec le respect tout court. Tout compte fait, la démagogie de l'épisode Sofia est tout de même moins choquante que les abjections verbales de Trump en traitant tout un groupe de gens de violeurs et d'assassins.

    Mieux vaut pêcher par un peu trop de naïveté que par trop de cynisme.

  • C'est ce qu'on appelle du storytelling, un truc de marketing. (deux termes bien français en une seule phrase...) C'est une chose que les scénaristes de films catastrophe ont compris depuis longtemps. Si vous montrez un tsunami qui balaye toute une population, cela n’émouvra personne. Si par contre, une ou deux personnes parmi les morts sont connus du spectateur et qu'on a raconté brièvement leur vie, alors on est captivé.

    Appliqué à l'actualité, ça donne ça. Un bateau après l'autre se retourne, tout le monde s'en fout. Si on montre une photo d'un enfant noyé et qu'on raconte son histoire, ça déclenche une vague de bons sentiments. Si on parle des latinos qui se font abattre jour après jour sur la frontière mexicaine, là encore on s'en fout. Mais si on voit le visage d'ange d'une petite fille, alors tout le monde est outré du sort de ces pauvres gens. C'est idiot, mais l'humain est fait comme ça.

    Pour ce qui est du pape, je pense qu'il est sincèrement proche du petit peuple et que le sort des plus défavorisés est véritablement sa préoccupation dominante. Même si je ne suis pas religieux et que je n'ai aucun intérêt pour la fonction, j'apprécie l'homme. Même si ces images sont orchestrées, c'est bien pour attirer l'attention sur les latinos, communauté qu'il est bien placé pour connaître.

  • Merci pour ces réflexions très intéressantes, Kad et F-Cat, qui complètent et éclairent autrement mon billet.

  • Cependant, à plus long terme, je me pose la question de l'utilité réelle de ce genre de spectacle, même pour les latinos. Cela attire l'attention sur eux momentanément, mais cela durera combien de temps? L'administration suivra-t-elle? Pour combien d'entre eux? Une image peut-être aujourd'hui faire symbole assez longtemps pour garder une efficacité?

    Je n'en suis pas sûr. La quantité, la surenchère des revendications sectorielles ou communautaires et victimaire, finit par faire un melting pot où la tâche semble si immense que les appels finissent par se neutraliser. Je dois cependant reconnaître que l'image de Aylan, en pleine vague migratoire massive, sert – pas à ce que l'on pensait car la résistance à la vague de réfugiés-migrants s'est renforcée, mais à pousser la Russie à intervenir. Et à faire changer le discours des européens, et même des américains, sur Poutine. On pourrait écrire: "Aylan ou la réhabilitation de Moscou". Ce serait assez cocasse...

    Et puis un gouvernement doit-il céder à l'appel d'une image médiatique bien orchestrée? N'est-ce pas tomber un peu plus dans la dictature médiatique, la dictature de l'opinion et des "bons sentiments"? La politique se décide-t-elle sur les réseaux sociaux? Quand on voit la quantité de débilités qui s'y exprime, il faut alors avoir très peur pour l'avenir de la démocratie.

    Et puis encore, les ogres télévisuels surfant sur un fond de culpabilité, se sentiront-ils un jour assez beaux pour s'arrêter dans ce festin orgiaque de Petits Poucets rédempteurs?

  • Aujourd'hui c'est le dessin supposé d'un enfant syrien qui "émeut" l'Allemagne:

    https://fr.news.yahoo.com/dessin-dun-enfant-syrien-émeut-lallemagne-171236960.html

    On remarque que l'image amalgame tête de mort et drapeau syrien – donc le gouvernement, pas Daech, que les mots ne sont pas écrits en arabe, que certains contours dans le dessin semble trop bien dessinés. Manipulation? Réalité? Peu importe, l'effet recherché est toujours le même: émouvoir, échapper à l'analyse.

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