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Libre est la race des poètes

Ils croient éliminer le mal en dressant des bûchers. Eux, phares de la morale, néo-bourgeois repus et satisfaits, rassasiés de leur cannibalisme médiatique. L’émission finie il tournent le dos à la caméra et rotent bruyamment. 

 

conflit05.jpgFracturée

 

Leur ceinture s’ouvre, leur braguette se déchire, laissant entrevoir un tentacule baveux: le reste de leur virilité déchue.

 

Ils ont fait le spectacle. Ils ont tonné, tonitrué, vitupéré. Ils se sont montrés si beaux face à la laideur du crime. Ils ont fait l’opinion – enfin, fait, c’est leur attribuer plus que leur pauvre mérite: ils ont répété l’opinion dominante. L’opinion dominante dit que c'est mal. Que Nadine Morano a fauté. Elle a mentionné, revendiqué le mot interdit: race. Pas en anglais. Ce n'est pas une course de vitesse.

 

Elle est dans le mauvais camp. Dans le camp des mauvais. C’est une raciste, une hitlérienne, oh! ils ne trouvent plus de mots assez forts pour exprimer leur dithyrambique hystérie. Lexcès est normalement un style: ici il sert de fond. Elle est du camp des assassins, des esclavagistes, des maudits. De ceux qui fracturent la société française comme un voleur fracture un coffre rempli des trésors de l’humanité toute entière.

 

Comme si elle n’était pas déjà fracturée, la société française. Dévorée de conflits remis à plus tard. Déchirée, en miettes, sans plus d’idéal ni de ciment collectif, courant après les méchants pour se donner une unité de surface. Même la République, cadre universel, est devenu la propriété du camp des bons à l’exclusion des autres. Le problème n’est pas Nadine Moreno, simple objet transitionnel, le problème est la société française et ses procès d’intention permanents qui découragent de tout vrai débat.

 

 

conflits03.jpgLigne de partage 

 

Eux-mêmes, les bons (qu’ils disent), ne voient pas qu’ils fracturent. Ils désignent le mal entre les humains. Les bons sont de leur côté, les mauvais de l’autre. Comme si le mal passait entre eux comme une corde tendue. Une frontière infranchissable. Ils reconstruisent les frontières dans l’esprit. Ils rejettent, stigmatisent, maudissent. Ils font tout ce qu’ils reprochent aux autres.

 

Le problème du XXIe siècle débutant est celui de la ligne de partage entre le camp des bons et celui des mauvais. C’est, par exemple, la chanteuse Lio s’indignant à la télévision belge parce que des réfugiés n’ont pas encore de toit (mais ne pipant mot sur les sdf qui couchent dehors à l’année). Que voulez-vous, la mode médiatique est aux réfugiés. 

 

Alors que l’on commençait péniblement à penser que nul n’est tout blanc ou tout noir, que la ligne de partage est à l’intérieur de chacun, comme l’enseignent les grandes philosophies religieuses, que le choix entre le bien et le mal est affaire de conscience individuelle, que toute la culture européenne d’origine chrétienne est fondée sur ce principe, voilà que l’on revient des milliers d’années en arrière. 

 

Voilà que des barbares de la pensée, ceux qui s’auto-proclament progressistes, comme si cela suffisait à légitimer – plus même: à sanctifier  – toute parole venant d’eux, remettent la division entre les humains et font régresser la culture humaine. Le bien serait un groupe, le mal en serait un autre. Où donc est le racisme aujourd’hui, l’ostracisme, l’exclusion intellectuelle? De leur côté.

 

 

conflit04.jpgÉgorgeur de pacotille

 

Eux sont parfaits. Ils ne peuvent être que parfait. La télévision va si vite, ils n’ont pas le temps d’explorer leur complexité, leurs contradictions, leur part d'ombre. Ils doivent rester en lumière. Ils sont à vendre. Ils n’ont le temps que pour se montrer beaux et dire combien l’autre est laid. Ils sont de simples publicités télévisuelles. Des savonnettes vivantes.

 

Mais eux décapitent, égorgent à la télévision. Daech de salon, Yann Moix, égorgeur de service, déclarait suite à On n'est pas couchés: « J’ai pris du plaisir à taper sur Onfray ». Du plaisir? Parce que c’était cela l’enjeu: son plaisir personnel? 

 

Égorgeur de pacotille aux mots en forme de poignard sorti d’une boîte de lessive, il jouit. Il jouit de ses mots, creux à force d’être convenables et attendus. Des mots sans âme, chargés du seul froncement de ses sourcils en bataille. Quels improbables bûchers nous sert-on par là!

 

Voilà où nous sommes. Des siècles, des millénaires de civilisation, de pensée, d’intelligence, pour ce gargouillis télévisuel, ce rot médiatique. 

 

Et ils se donnent en exemple. Et ils prétendent incarner les Valeurs!

 

Un jour nous éteindrons les télévisions, lieu de leur seul pouvoir. Puis nous sortirons dans la rue, nous parlerons, nous dirons nos complexités. Puis nous boirons, rirons et danserons jusqu’au matin au son des djembés et de l’accordéon.

 

 

kauss.jpgLa race des poètes

 

Ensuite nous réinventerons le débat. Pas par des invectives et des vannes pour faire spectacle, non: nous nous poserons mutuellement des questions. Ça, c’est révolutionnaire! Quand nous aurons des désaccords – et il y en aura forcément – nous ne recourrons pas aux émotions pour régler le différent devant le public: nous utiliserons des arguments pour fonder nos positions. Car les arguments peuvent être discutés, décortiqués, démontés. Les émotions sont trop intouchables. N’y touchons donc plus.

 

Les arguments font partie de la liberté. Il n’y a pas de procureur dans le débat d’arguments. Pas d’égorgeur non plus. Fût-il de pacotille.

 

Puis nous parlerons littérature et poésie, car la poésie est liberté. La race y prend ses lettres de noblesse: «  Libre est la race des poètes ». C'est ce quaffirmait le grand orateur grec Démosthène. Alfred de Vigny pour sa part écrivait en 1832 cette phrase préfigurant le poète maudit romantique de Verlaine: «  ... du jour où il sut lire il fut Poète, et dès lors il appartint à la race toujours maudite par les puissances de la terre... »

 

Enfin, s’il faut encore insister, Saint-John Kauss, poète haïtien installé à Montréal, écrivait en 2012 un article intitulé: « La race des grands poètes ». Je propose de finir ici, avec lui, loin de ces improbables bûchers modernes:

 

 

« Le poète, cet accompagnateur des oubliés, qui s’agenouille au premier coup de fouet, au dernier coup de plumeau pour que la vie soit heureuse. Le poète, ce grand vent qui hurle allongé sur le pavé. La race des grands poètes, cette race d’hommes pluriels, mais qui n’appartiennent pas vraiment à la terre. Ces éternels navigateurs qui soulèvent les vagues et bâchent la lune. Ces mangeurs d’eucalyptus…ces vieilles mains solitaires, les poètes. »

 

 

5 commentaires

Commentaires

  • Très bel article, où le philosophe nous dit à quel point il envie la liberté du poète.

    Je constate comme vous avec tristesse le retour de la chasse au bouc émissaire voulue par des gens qui refusent d'admettre l'existence du mal qui est en eux et du coup le projettent sur les autres.

    Nous avons besoin de gens, des citoyen ordinaire qui créent des médias d'information alternatif pour que les gens n'aient plus besoin d'aller consulter les medias de masses corrompus par leur propre subversion pour s'informer.

  • Très poétique mise au point. Les poètes ne seront jamais gagnants dans un monde qui somme d'être hyper clanique, hyper marchand, hyper publicitaire. Le poète est maudit mais cela en a toujours été ainsi afin qu'il puisse préserver sa grande liberté et son amplitude spirituelle. Le poète cherche à s'élever du bourbier mais il sait que le fumier et l'humus procèdent de son existence. Sans errance, point de clairvoyance.

  • Difficile de garder son courage en présence de toute cette veulerie. Je vous envie et vous souhaite de continuer dans votre voie.

  • Ce billet en forme de coup de gueule me va bien.

    En France le débat se réduit souvent en combat un de coq, en joutes verbales typiquement gauloises où l'important n'est absolument pas de faire avancer une idée, mais bien de savoir qui a mouché l'autre. La tendance aux clashs, aux battles qui sied bien aux rappeurs, a contaminé l'espace politico-médiatique qui est devenu une sorte d'"Entertainment" nébuleux. On aime ou pas

    Mais quand cette mouvance se met à croire qu'elle représente l'orthodoxie de la pensée et se transforme en tribunal de l'inquisition on touche le fond de l'absurde.

    Du balai, le plus vite possible

  • J'aime bien le "Un jour nous éteindrons les télévisions"... Telle est la lâche habitude.
    Mais qu'attendez-vous pour le faire là, tout de suite ? Ne serait-ce que pour ne plus être complices.

    Par chance et par goût, je suis de la race des rebelles. A l'image d'Hermann Hesse, poète solitaire, loup des steppes:

    "Sereins, il faut franchir espace après espace
    Sans faire d'aucun d'eux notre unique foyer.
    L'Esprit universel ne veut pas nous lier:
    De degrés en degrés vers de plus hautes places
    Il nous mène. Aussitôt que nous nous reposons
    Dans un doux cercle étroit, le sommeil, l'hébétude
    Menacent. Le départ vers d'autres horizons
    Peut seul nous arracher à la lâche habitude."

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