La France est le pays du paradoxe. Elle est et a toujours été très autoritaire et centralisatrice tout en se proclamant championne de la liberté. Les différents régimes qui se sont succédés depuis plus d’un millénaire n’ont eu de cesse de placer par la contrainte de plus en plus de territoires sous l’autorité de Paris.
Les courants d’idées autoritaires ont toujours trouvé, de manière régulière, une place dans la mentalité française. Le nationalisme centralisateur a par exemple connu des soutiens multiples à différentes époques, à gauche comme à droite. Les structures du pouvoir en France sont verticales et ne font que descendre du haut vers le bas. L’universalisme annoncé que les politiques appliquent est en réalité une démarche autoritaire.
Couper des têtes virtuellement, vouloir imposer de force des points de vue idéologiques, fait partie de l’ADN national français. Les couper physiquement aussi. La révolution française n’a rien à envier à certains régimes durs ultérieurs ou certaines révolutions dites «populaires». Mais raccourcir les têtes était probablement une obligation, au vu de l’arrogance et de l’hermétisme moral, intellectuel, comportemental, politique, des classes dirigeantes françaises toutes tendances confondues. La pression du mépris des grands pour les petits a été régulièrement insupportable. Elle s’est reconstituée aujourd’hui.
On voit dans le gouvernement actuel l’autoritarisme idéologique, par exemple sur l’égalité et l’introduction du genre à l’école primaire ou sur le climat. L’ADN français est si autoritaire qu’il doit en contrepartie imposer un égalitarisme tout aussi absolu et autoritaire et une justice pensée comme redresseur de torts sociaux. La population attend une justice morale plus qu’une condamnation simple de faits.
Un très récent sondage révèle que 40% des français sont favorables à un gouvernement autoritaire, quitte à «alléger les contrôles démocratiques s’exerçant sur le gouvernement.» Les électeurs de gauche y sont peu favorables, perpétuant ainsi le paradoxe français puisqu’ils soutiennent l’un des gouvernements les plus autoritaires idéologiquement que la France ait connu depuis longtemps.
L’islam, vision totalitaire
Face à cet autoritarisme constitutif de la culture française, la culture islamique arrive en concurrente. L’islam est totalitaire. On pourrait penser qu’il n’en est rien au vu de la grande majorité de musulmans intégrés en Europe. Ils vivent selon les lois en vigueur et apprécient la liberté de penser et le respect des différences.
Mais ailleurs, dans les pays où l’islam est natif et au pouvoir, il montre sa soudure très forte entre société civile, pouvoir et religion. Il a pour objet de faire de la religion le seul pôle de référence de la vie des personnes. Vouloir tout réglementer, au nom d’un livre qui ne peut être critiqué sans risques, est totalitaire. Or c’est la vision la plus bruyamment revendiquée aujourd'hui, quelles que soient les contradictions internes dans les textes et dans les faits.
On n’entend pas beaucoup de musulmans acquis au libéralisme intellectuel occidental remettre en question l’islam prôné par les autorités dans les pays d’origine. Ils y resteront longtemps adossés. C’est d’ailleurs normal, c’est leur culture de base, leur origine. Lors des premières élections en Tunisie après Ben Ali, la majorité des tunisiens de France avaient voté pour le courant religieux et non pour les listes civiles. Et l’on voit la Turquie, longtemps acquise à la laïcité, retourner pas à pas vers la domination politique par la religion.
La vision islamique, si globale qu’elle en devient totalitaire, est probablement simplificatrice et procure un sentiment de cohérence. On ne peut minimiser l’importance que prend une manière simple d’aborder le monde, dans une époque où la complexité émerge de tous côtés et génère un sentiment d’impuissance grandissant face au monde.
Qui gagnera?
Comment ne pas apprécier l’idée que c’est le plan de Dieu, quand nous n’avons pas de réponse aux problèmes qui se posent? C’est même, pourquoi pas, une stratégie raisonnable. Croire que l’on peut tout changer: le climat, la planète, le coeur des Hommes, est l’expression d’une prétention peut-être démesurée.
L’islam ne pourra pas abandonner ses fondamentaux sans probablement être lui-même abandonné, tant tout est collé ensemble: privé, public, civil, religieux. Mais pour qu’une telle perspective se réalise, il faut compter plusieurs siècles au minimum. D’ici là il devra accomplir son but qui est d’instaurer la loi divine (selon le coran) sur Terre. Il ne pourra donc à terme transiger avec l’athéisme, la libéralisation des moeurs, le multiculturalisme religieux.
L’islam, de par son objectif, est forcément autoritaire, comme la culture française. C’est dans la nature de ces deux cultures de vouloir dominer et donc de s’opposer. Le conflit, qui existe déjà, n’est pas une simple instrumentalisation politique ou sociologique par les uns ou les autres. Il est inhérent à l’islam littéral, raide, inflexible, celui qui se réfère aux origines, le seul vraiment dynamique et rassurant. Loin de moi l’idée que même dans les pays natifs tous les croyants adhèrent au modèle autoritaire. Mais comme partout, la force agissante des minorités emporte les majorités.
Entre la culture républicaine autoritaire à la française et la culture religieuse autoritaire de l’islam, qui prendra le dessus? L’un ou l’autre devra dominer. Seuls les rapports de force détermineront l’issue du conflit. Par le nombre, par les conversions, l’islam peut fort bien gagner un jour. Ce serait d’autant plus facile que le moule de la pensée autoritaire est déjà installé dans l’ADN français.
On ne changerait pas fondamentalement de culture, mais seulement de vêtements.
Tout cela n’est bien sûr qu’une hypothèse, une matière à réflexion et à débat.
Commentaires
Je réagis au résultat de ce sondage. Le côté rassurant, c'est que 60% des Français sont attachés à la démocratie. Mais quand même, 40% c'est énorme. Pourquoi souhaiter l'autoritarisme ? Peut-être parce qu'on se dit que rien ne peut être pire que les deux derniers gouvernements ?
Le problème c'est que je ne vois pas en quoi un autoritarisme pourrait régler les problèmes mieux qu'un gouvernement (pseudo-) démocratique. Et puis, quels problèmes devront être résolus ? Selon le placement politique des sondés, je suis sûr que le diagnostic varie énormément. Un gouvernement totalitaire serait forcément très clivé, soit à gauche, soit à droite. Donc ça ne satisferait jamais la majorité de la population.
Il faut reconnaître qu'en France tout est fait pour que la population n'aime pas ses institutions. Mais je trouve quand même que le résultat est inquiétant. Si je peux comprendre qu'au vu des derniers gouvernements, on renonce à voter ou qu'on choisisse le FN, un parti qui, quoi qu'on en dise, respecte la démocratie, le choix du totalitarisme me paraît vraiment extrême. Et surtout, croire qu'un gouvernement totalitaire prendrait forcément des décisions pour le bien du pays et de sa population, c'est franchement naïf en ce sens que ça ne s'est jamais vu nulle part.
"C’est d’ailleurs normal, c’est leur culture de base, leur origine."
Cette affirmation est très importante. Tout aussi important serait qu'on n'en tire pas la conséquence que nous n'avons pas le droit de défendre notre propre culture contre ce qui ne peut être, sur certains points du moins, qu'une véritable guerre des valeurs.
P.S.
Remplacez guerre par affrontement si cela vous chante, vous qui pensez que la vie peut être vécue sans conflits et qu'il suffit d'être "bon" et "gentil" pour faire advenir un future radieux qui réconciliera tous les êtres humains.
Oui, la France a une vision de l'autorité plus favorable que beaucoup de peuples européens. je crois que c'est Emmanuel Todd qui disait qu'en France, le couple "autorité - égalité" dominait alors que dans les pays anglo-saxons, c'était plutôt "liberte-inégalité". Dans la mentalité de beaucoup de Français (dont la mienne à vrai dire), l'autorité lointaine et froide de l'Etat (parce que c'est de cette autorité qu'il s'agit ici),est paradoxalement la condition de la liberté de l'individu, puisqu'elle limite les risques d'abus de pouvoir de la part des autorités proches (élites locales, "petits chefs" des entreprises ou des institutions, communautés constituées...)
Cela dit, la manière dont l'étude en question a été présentée dans les médias (français) est très sujette à caution. Tirer des réponses au questionnaire la conclusion que les Français sont peu attachés à la démocratie est abusif, tout comme ces éditorialistes qui proclament que les gens sont racistes parce qu'une majorité d'entre eux pensent par exemple qu'il y a "trop d'immigrés" dans leur pays. On peut être attaché aux libertés démocratiques, tout en pensant que les recours juridiques en tout genre font la part trop belle à ceux qui violent la loi, que l'empiètement permament des juges sur les décisions prises par les autorités législatives nuit au respect de la souveraineté poupulaire, que le je m'en foutisme généralisé limite beaucoup trop l'efficacité des autorités publiques et enfin que le culte de la parole de l'élève et la remise en cause de la position dominante de l'enseignant dans sa classe ont dramatiquement plombé le niveau scolaire.
On sous-estime trop également, le phénomène de "backlash" par rapport aux évolutions sociétales de ces 40 dernières années. On a glorifié la liberté de moeurs et on a vu l'explosion des divorces, glorifié le mondialisme et on a vu la remise en cause du modèle sociale européen, célébré le laxisme judiciaire et on n'a pu que constater le développement de la violence aux personnes. Pas étonnant que les gens accueillent plutôt positivement des concepts comme la famille, la nation, et l'autorité. ça n'en fait pas des pétainistes pour autant.
Quand à l'Islam, je me méfie toujours un peu des analyses théologiques qui établissement une différence d'approche radicale entre la foi musulmane et le christianisme sur la question du rapport entre le religieux et le légal. C'est oublier un peu vite que les autorités politiques et spirituelles n'ont pas toujours été séparées en terre chrétienne (voir l'histoire de l'empire byzantin). C'est surtout oublier que les églises chrétiennes ont très longtemps prétendu exercer un magistère sur l'organisation politique et sociale des pays où elles étaient dominantes et que très souvent leur désengagement de la vie civique s'est fait contre leur gré et après des conflits parfois très durs avec des autorités laïques.
Bon, tout cela étant dit, on ne peut pas ne pas constater que quasiment aucun pays contemporain où l'Islam est majoritaire n'est une démocratie réellement satisfaisante, à l'exception sans doute de la Tunisie et peut être de quelques autres (l'Albanie ? L'Indonésie ???....). Le problème est que pour chaque croyant sincère, l'acceptation que la société dans laquelle il vit n'est pas régie par le principe divin qu'il chérit ne va pas de soi. Il faut faire le deuil d'une utopie. En Europe, les chrétiens ont payé pour ce deuil avec 2 traumas qui ont marqué l'histoire de cette foi: les guerres entre catholiques et protestants aux XVIe et XVIIe siècles, puis la séparation des églises et des Etats dans beaucoup de pays aux XIXe et XXe siècle. L'Islam européen sera-t-il capable de faire de lui-même sa mue de manière pacifique ? Si ce n'est pas le cas, il faudra que les Etats européens défendent leurs principes avec un peu de fermeté. Ou d'autorité. (on en revient là)
F-Cat, le backlash est très possible. L'évolution des moeurs en particulier a été très rapide et je suis pour ma part plutôt dans l'idée que la digestion de certaines choses n'est que de surface, pas profonde. Et la multiplicité des changement favorise une inhibition temporaire. La société est en stress permanent depuis des décennies: moeurs, climat, terrorisme, dilution des valeurs-balises, etc. Un choc en retour est donc très plausible.
La famille redevient une valeur durable, et à mon avis à juste titre. La nation? Elle est une étape entre le village-région et le monde. Le monde est encore trop grand et trop de choses ne sont pas digérées. Le gommage des frontières n'a pas effacé le besoin de limites et de ce que je nomme l'apprivoisement mutuel. Le processus n'est pas complet, ni culturel, ni économique, qui permettrait de vivre dans le village mondial.
L'autorité comme valeur-refuge, cela reste très français. C'est beaucoup moins le cas en Allemagne, qui a une tradition fédéraliste. Ou en Suisse. En France quand quelque chose ne va pas la demande serait d'augmenter la sévérité (variable de l'autorité). C'est un symptôme récurrent. Il n'y a qu'à voir comment le dialogue social est vu comme une compromission par certaines centrales s'il n'y a pas rapport de force d'abord. Cela peut être utile parfois mais je pense qu'il y a néanmoins un vrai gros problème culturel français sur l'autorité et l'autoritarisme. Les débats y sont rarement des débats mais des séances de coupage de têtes. Et les images incarnées de l'autorité et du pouvoir ont été de longue date très condescendantes à l'égard du petit peuple. D'où peut-être cette hostilité qui dure.
Le christianisme a aussi une tradition d'alliance avec un pouvoir fort, en effet. Mais même sous l'inquisition il séparait l'enquête de l'église des sanctions éventuelles données à la société civile. Mais en effet il y a eu un travail de séparation à faire. L'islam fera ou non le même chemin. Je pense que cela prendra beaucoup de temps. Mais qui le sait?
Il me semble que cette information est importante si l'on veut comprendre pourquoi les Arabes qui étaient en avance ont pris un tel retard au cours des siècles.
Sur une façade d'un maison j'aperçois une petite étagère avec quelques livres, c'était inscrit Servez-vois. Quelques romans et ...une biographie sur Gutenberg...ah voilà qui peut être fort intéressant et ça l'est. Le titre:
"Comment l'imprimerie a changé le cours de l'Histoire
Gutenberg
La révolution du livre
John Man"
Et qu'est-ce qu'on y apprend ?
Que ce n'est que 400 ans après cette invention que les musulmans l'ont enfin adoptée donc au début du 19è et en Inde.
A partir de là on comprend mieux comment a été stoppé net la diffusion scientifique et technologique dans ces pays par rapport au monde occidental
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p. 222
En 1729 quand la première imprimerie arabe fut ouverte à Istambul - par un ancien esclave qui avait travaillé au service du gouvernement et s’était converti à l’islam - il ne put imprimer que 17 titres avant que l’opposition intense des religieux ne l’oblige à fermer en 1742
Merci pour cette observation Christian.