Le discours de Jean-Luc Mélenchon me laisse toujours très critique. Je ne parle pas seulement des contradictions de comportement, déjà abordées précédemment. L’une d’elles étant la posture d’homme providentiel qui a réponse à tout, et qui invective plus qu’il ne dialogue quand il est contredit – posture très monarchique. C’est un long chemin d’intégrer en soi ce que l’on prétend. Il n’en est pas là.
Dans l’élaboration de sa nouvelle République, une autre contradiction de base est l’invocation du peuple, concept global, alors que seuls des experts et expertes proches de son mouvement sont convoqués pour en définir le contenu.
On lit ainsi, dans la présentation générale de son programme détaillée en livrets thématiques: « On peut gouverner autrement le pays si l’on se tourne vers le peuple », et plus loin, dans la méthode l’élaboration des livrets: « •PHASE 1 : identification de l’ensemble des personnes susceptibles de participer au groupe de travail. Il s’agit d’intégrer les expert.e.s, responsables associatifs et syndicaux et militant.e.s proches ou potentiellement prêts à rejoindre la France insoumise. »
Des experts et expertes? Une élite, donc. L’écart entre élites et peuple étant inévitable, le programme de JLM est rédigé non par le peuple mais par une élite qui montre la voie au peuple. Rien de nouveau sous le soleil du système et la référence au peuple est davantage une figure de rhétorique qu’une réalité. Le programme n’est pas une émanation directe des populations mais de leurs représentants. D’ailleurs l’image 1 est claire, plus claire qu’un long discours: sous le slogan La force du peuple, il est le peuple à lui tout seul! Une simple stratégie marketing. Comme dirait Coluche, on se marre…
Jean-Luc Mélenchon veut donc convoquer une Assemblée constituante chargée d’écrire une nouvelle Constitution pour une nouvelle République. Une telle assemblée devrait être totalement libre d’élaborer un contenu.
Or les grandes lignes de la nouvelle République figurent déjà dans les livrets thématiques. Le débat a donc eu lieu, et comme il est écrit sur le site, il a eu lieu entre des partisans du mouvement de JLM. Le projet est sous leur influence.
Pourquoi proposer un programme de gouvernement alors qu’une Constituante pourrait en annuler le contenu? Réécrire une Constitution est un processus en soi, et dans cette perspective JLM pourrait s’y atteler à 100% plutôt que de briguer le pouvoir suprême.
Mais admettons qu’il y ait besoin d’un homme au pouvoir pour proposer la mise en place de cette Constituante.
Bien que n’ayant pas encore été discutée par une assemblée idoine, la révocation d’un élu, à quelque niveau que ce soit, est une mesure phare de cette nouvelle Constitution. Pourquoi pas. Cela modifierait-il le cours de la politique et des pratiques des élus? C’est difficile à évaluer. Pour provoquer une destitution il faudra des éléments de preuves, graves, parfois longs à établir, puis la récolte de signatures, la mise en place d’un scrutin. Sans garantie du résultat.
Pour éviter les demandes de destitution partisanes, les conditions et la portée de la mesure devraient être précisément circonstanciées (par exemple le vote de la loi Travail ne saurait être une cause de destitution). La mesure pourrait au final n’accoucher que d’une souris, tout en contribuant à bloquer la vie politique si elle était mise en oeuvre. Dans le système actuel, la sanction d’un élu passe par sa non-réélection.
Dans le domaine du sport JLM veut privilégier la pratique populaire – entendez la pratique en amateur, le sport de masse. Le sport professionnel est aujourd’hui devenu un gros marché financier. Dans certaines disciplines les salaires des joueurs et les montants des transferts sont vertigineux.
Le sportif français le mieux payé en 2016 est le basketteur Tony Parker. Il a gagné 19,6 millions d’euros aux États-Unis dans son équipe, les San Antonio Spurs. Sur le territoire français le footballeur Thiago Silva gagne annuellement 12,6 millions d’euros.
Les joueurs professionnels sont considérés comme des vedettes et participent pleinement au star system. Pour figurer parmi les plus connus et les plus payés ils sont tenus à réaliser des performances. Le sport est indissociable de la performance.
Dans tous les cas il s’agit de dépasser ses compétences habituelles. Chez les amateurs de vélo, les randonneurs, les pongistes dans les parcs publics, les joueurs de pétanque de vacances, on veut faire le mieux, et souvent le plus. Qui n’a jamais poussé son effort pour se prouver qu’il peut aller plus loin qu’hier?
On peut bien sûr marcher en montagne sans tenter d’exploit. Le plaisir suffit souvent. Mais pas toujours. La culture de la performance n’est pas du ressort des seuls sportifs professionnels.
Tony Parker, rend tes millions!
De plus ceux-ci stimulent les amateurs, leur donnent envie d’exercer. Ils suscitent des vocations chez les jeunes qui, pour certains, voient dans l’accès au professionnalisme un ascenseur social. De l’argent va aux fédérations, qui participent à la formation de ces jeunes.
À propos des sportifs les mieux payés, je n’ai pas entendu Jean-Luc Mélenchon proposer de mesure aussi radicale et castratrice que le plafonnement de leurs salaires, comme il propose de le faire pour les PDG les mieux payés.
Il vise avec acrimonie quelques grands patrons, ce qui est très conformiste dans une France qui déteste l’argent tout en courant derrière. Mais s’il tient un discours épicé, il évite de s’attaquer directement aux sportifs. Il se contente de dénoncer la financiarisation du star système, « … dont la conséquence ne pourra être que de couper l’élite du haut niveau de la masse des pratiquants, c’est-à-dire de sa base et de son vivier. » Ah, les masses, mot de dominant…
En mettant en valeur la pratique du sport de masse il enfonce une porte ouverte puisque c’est déjà le cas. En attaquant les salaires des grands patrons tout en ménageant les sportifs millionnaires, il se met la population dans la poche sans prendre le risque de confronter les idoles du peuple. La Spice girl Mel E. connaît la chanson.
Enfin, JLM se pose, forcément, en modèle. Au vu de son discours, s’il ne se considérait pas plus vertueux il ne se présenterait pas. On y croit ou non. Grâce à cette posture il joue sa campagne sur un mode émotionnel de passionaria. Cela marche. Mais si l’on creuse un peu, les calculs et manipulations du candidat apparaissent. Ce qui relativise son discours sur la République vertueuse.
Commentaires
"Jean-Luc Mélenchon veut convoquer une Assemblée constituante chargée d’écrire une nouvelle Constitution pour une nouvelle République."
Convoquer ? En démocratie, les membres d'une assemblée constituante sont élus par le peuple à cet effet. Sinon, cela s'appelle une mafia partisane...
Ensuite, le résultat de leurs débats, une nouvelle constitution, doit être admise par le peuple. Sinon, on entre en dictature...
hommelibre,
Merci pour votre réponse dans le précédent billet sur la révocation.
Vous y soulevez les condititions de son action.
Je vous rejoins parfaitement et je l'avais déjà exposé dans le billet d'Emmanuel Alonso Unica traitant de l'argent de nos caisses de pension.
Bien sûr, je n'y ai pas fait un traité, mais il est évident pour vos lecteur, que je n'entends pas l'humeur, l'incompréhension, les représailles comme étant des motifs recevables. La révocation est l'autre face de l'élection.
Il faudrait introduire l'idée d'une juridiction spéciale pour traiter du monde politique: un tribunal des élus qui n'existe pas aujourd'hui.
Ce sont des normes et des règles, spécifiques à ce monde, à définir. Celles-ci doivent être reconnues par l'approbation du peuple.
Une fois ce travail de titan réalisé, la révocation appelé du vœu d'une certaine gauche, habituée à exercer l'arbitraire, ne doit plus être un acte unilatéral.
La révocation est un acte moralement et économiquement grave, elle doit être ciblée et circonscrite à la fonction. Car si on ne définit pas l'étendue et la limite de son action, les effets produits sur l'individu et sa famille, autour de lui, peuvent être dévastateurs. Le risque est très fort que des malveillants s'emparent du cas et prennent des libertés délictueuses comme la diabolisation, le bannissement, le lynchage, la calomnie etc.
En fait, l'idée d'un droit au procès c'est aussi l'idée d'ouvrir un droit à la défense. Sur le même modèle que les autres juridictions, le jury populaire doit prendre part aux procès.
Le procès public donnant lieu à des débats publics est l'expression d'une culture vivante de la transparence.
Alors, dans ce souci d'équilibre, d'équité et de justice, donnons nous les moyens d'une institution bien pensée, des officiants formés qui y démontrent leurs compétences pour juger des exclusions d'un parlement, cette institution remplacera avec bonheur les sombres petits procès fait dans le secret des partis par des lieutenants rompus à la maltraitance des personnes.
Je n'ai rien contre les élites si elles servent le bien commun, si elle défendent l'individu, l'élu, le représentant et les intérêts du peuple.
L'élu n'est pas roi, mais il n'est pas, non plus, un totem ou une poupée Vaudoue sans liens sociaux.
Merci pour cette réponse Béatrix. Nous sommes d'accord sur ce point des conditions de l'action en révocation.
"Il faudrait introduire l'idée d'une juridiction spéciale pour traiter du monde politique: un tribunal des élus qui n'existe pas aujourd'hui."
Alors, adieu la démocratie. Voir l'importance de l'élection d'UN SEUL JUGE à la cour constitutionnelle aux USA. Et leur pouvoir exorbitant. UN SEUL JUGE fédéral peut décider de bloquer un décret présidentiel sous des prétextes juridiques plus ou moins bidons : restreindre la venue aux USA de citoyens ex-Yémen, Somalie, etc, serait une atteinte à l'islam...
Bonjour!
Quel curieux post. Dire que d'engager des gens capables plutôt qu'incapables dans la rédaction d'un projet civique serait donc une insulte au peuple? Pour rappel FI propose une constituante composée à 50% de gens tirés au sort - de quoi faire entrer dans la discussion une représentation a priori non-partisane du peuple. Il me semble que ce post confond "élite" au sens de gens capables et formés, et "élite" au sens de caste perpétuant ses propres privilèges.
Ensuite: un projet de réforme institutionnelle qui augmente la démocratie directe, n'est-pas en effet une manière de redonner du pouvoir au peuple?
Sur le pseudo-paradoxe qui consiste à proposer un programme de gouvernement tout en promouvant une nouvelle constitution: justement, FI dit vouloir gouverner au moins le temps que dure le processus (environ 2 ans); et après ce temps, et de vraisemblables nouvelles élections, qui dit que le mandat de poursuivre ce programme ne serait pas reconduit par les électeurs?
Sur l'idée que JLM devrait se consacrer à 100% au projet de réforme institutionnelle, et ne pas briguer la présidence: dans ce cas, qui la convoquerait, cette constituante? (Si j'en crois JLM, c'est prévu par les règles actuelles que le président de la République puisse la convoquer. Et aucun de ses adversaires ne l'a contredit sur ce point.)
Sur la révocation: nous en Suisse savons bien que l'initiative et le référendum sont des outils de démocratie directe (consultation du peuple) qui ont leurs limites mais qui peuvent fonctionner de manière malgré tout convaincante. Pourquoi exclure d'emblée un système de consultation en cours de mandat, avant même que ses modalités n'aient été réglées?
Sur un seul point je rejoins le scepticisme de cet article: je trouve étrange de manifester d'ores et déjà des souhaits pour le contenu de cette constitution (IVG, suicide assisté etc.) En revanche je trouve pertinent et normal de proposer un type de fonctionnement institutionnel rénové, justement pour justifier la rédaction d'une nouvelle Constitution.
Bonne journée à tous!
Bonjour Francesco,
Engager des gens capables, d’accord, mais ils ne sont pas le peuple au sens de ceux généralement évoqués par JLM, soit ceux qui sont dépourvus de pouvoir et qui subissent la société. Ceux qui ont contribué à son programme sont déjà « bien nés » politiquement, et surtout ils sont de ses partisans. Je ne vois pas là une place pour une spontanéité venue réellement des sans-voix.
Le tirage au sort irait dans le sens que vous dites mais confier la rédaction d’une Constitution au hasard ne me paraît pas non plus une bonne solution, et les vertus démocratiques du hasard ne sont pas démontrées, puisque le peuple des votants n’aura pas eu son mot à dire.
Je comprends bien la différence que vous faites sur les élites. Je pense que des gens capables et formés font partie d’une élite qui deviendra par nature une caste perpétuant ses privilèges. C’est la nature humaine. Les raisons pouvant être invoquées pour cette perpétuation sont, par exemple, les services déjà rendus, la connaissance des dossiers, l’ancienneté, etc. C’est parfois c’est à bon escient, si ces élites gardent une conscience d’être au service du pays – ce qui n’est jamais garanti. Les humains ont besoin de se faire une place reconnue et la distance par rapport à leurs besoins personnels est rarement établie avant un bon nombre d’années.
La Suisse est un exemple de démocratie avancée, c’est précieux. La question de la révocation est cependant différente d’une initiative ou d’un référendum. C’est beaucoup plus délicat dans la mesure où l’on attaque une personne directement. On sait aujourd’hui comment des attaques peuvent être propagées parfois sans aucun fondement. Démontrer la justesse ou la fausseté d’accusations est souvent difficile pour les uns comme pour les autres. Un politique attaqué, s’il est ensuite blanchi, restera marqué de suspicion – on sait comment fonctionnent les mentalités.
C’est pourquoi une telle mesure me semble très difficile à appliquer. Elle doit être très précisément définie, tant sur les motifs de la procédure que sur les moyens de preuve. Je vois par exemple une raison qui aurait pu faire révoquer Hollande: ses confidences sur la Défense nationale à des journalistes. Mais il était en fin de mandat, et il s’est évacué lui-même.
Sur le fait que JLM se présente pour proposer son projet, j’en ai convenu: « Mais admettons qu’il y ait besoin d’un homme au pouvoir pour proposer la mise en place de cette Constituante. » Je reste cependant circonspect sur ses motivations quand il dit qu’une fois la Constitution acceptée, il se retirerait, comme s’il ne voulait pas se montrer « profiteur ». Il y aura besoin d’une mise en place constitutionnelle et d’un suivi, les nouvelles élections ne seraient probablement pas immédiates. D’autre part les déclarations de ce genre, comme pour dire « Excusez-moi d’y être, je m’en irai au plus vite » sont assez démagogiques. Fillon a aussi déclaré ne vouloir se présenter que pour un seul mandat. Je dis non. Ce sera aux électeurs de décider le temps venu. Et c'est aux candidats d’assumer pleinement leur candidature, sans s’excuser par avance (ce qui est une manière de se soumettre implicitement au jugement moral populaire).
Merci pour votre commentaire et bonne journée à vous aussi.
@Géo
"Jean-Luc Mélenchon ..... Sinon, on entre en dictature..."
Durant sa campagne il a changé son fusil d'épaule au vu de ses déclarations en 2014.... Seulement voilà! son passé et ses amis le rattrapent! On ne change pas du jour au lendemain!