Sur un blog voisin russophile, l’auteur a posté hier un billet polémique. J’y suis mentionné sans être nommé. C’est l’air du temps: on n’est rien de précis, ni homme ni femme, sans identité remarquable ou évocable, comme des ombres errantes dans le crépuscule. J’y réponds sur le même mode.
Ce billet fait miroir de manière étrange au billet que j’ai moi-même posté sur la situation des homosexuels en Tchétchénie. Étrange, car il semble que l’on oppose deux thèmes de manière partisane. Mais commençons par le début.
La première phrase dit: « À lire ce qui se publie sur un blog bien connu et apprécié de La Tribune de Genève, on comprend que certaines communautés ont de bons relais pour faire entendre leur cause ». Je ne sais pas qui est ce « on » qui dit comprendre, ni ce qu’il veut comprendre. Entend-il qu’il y aurait ici une stratégie organisée, laissant planer le parfum d’une éventuelle soumission à un lobby ou d’un complot? Le propos est sibyllin et je suis réduit à spéculer sur la pensée exacte de l’auteur.
J’excuse la formule inélégante du « ce qui se publie », qui est assez faible du point de vue de la grammaire et déprécie le propos dont on va parler, lui refuse une identité, comme si on disait machin en parlant de son voisin. Il ne s’agit pas de ce qui se publie comme si cela se publiait tout seul. Il s’agit d’un billet identifié, que j’ai personnellement publié hier, sur mon blog Les hommes libres. Je n’en fais cependant pas une affaire personnelle: c’est un style littéraire pudique. On parle en dissimulant.
La phrase suivante répare sans attendre le risque de défiance introduit par la précédente, comme si on s’excusait de l’avoir écrite, en s’exclamant: « C’est important! » Le point d’exclamation prend ici toute sa saveur. On le sent moelleux et mordant à la fois, avec du corps, une teinte d’ambre foncé – pas jaune Cognac, plutôt senois ou marron, cultivé sur une terre rocailleuse. On se défend d’avoir voulu écrire une mauvaise chose (mais s’en défendre n’est-ce pas avouer?). On fait alliance. On souscrit, ou l’on évalue, à choix.
La troisième phrase exprime une sorte de repentance: « Sans quoi, la souffrance demeure largement méconnue. » Ciel!
Je continue.
Selon ce billet je suis un relais pour certaines communautés – ce pluriel n’en désignant qu’une seule en l’occurrence: la communauté homosexuelle. Cela n’est pas dit explicitement mais c’est d’elle dont je parle dans le billet incriminé; j’en déduis, faute de désignation précise par l’auteur, qu’il s’agit bien de celle-ci. Car cet auteur parle bien d’un texte précis sur un blog précis: « À lire ce qui se publie sur un blog bien connu et apprécié de la Tribune de Genève… ».
En effet, bien que la formulation puisse désigner l’ensemble des écrits (« ce qui se publie » est une forme générique), on verra très vite qu’il s’agit d’un billet précis, le plus récent.
Je devrais probablement être flatté de cette présentation: bien connu et apprécié. Mais la connotation discrètement dépréciative du ce qui se publie m’incite plutôt à me demander où est dissimulée la Kalachnikov.
J’entre maintenant dans le vif.
Premier point: Je ne suis pas un relais d’une communauté. Puisque cette expression laisse entendre que j’écrirais plus ou moins à la demande de la communauté suggérée, je précise que ce n’est pas le cas. Je ne dis pas que ce serait mal de le faire. S’il y avait une bonne raison à cela je le ferais. Mais ce n’est pas le cas.
J’ai déjà argumenté mon opposition à l’idéologie LGBT et à certaines méthodes de certains groupes. Mais je fais la part des choses. J’ai écrit mon billet d’hier en soutien à des personnes homosexuelles qui en ont besoin. Je dis bien personnes parce que c’est ce qu’elles sont, avant d’être membres d’une communauté.
Il m’a été inspiré par nombre d’homosexuels que je connais et ai connus, en simple amitié ou dans le cadre de mon travail de thérapeute. J’ai par exemple reçu, à une période, des patients homosexuels sidéens qui utilisaient du cannabis médical pour atténuer les effets secondaires de la trithérapie. Certains médecins français me les envoyaient pour assurer ce suivi spécifique. De cela je garde – le mot est trop fort mais il ne m’en vient pas d’autre – une forme de fraternité.
Je considère aussi que toute personne est intéressante en tant que personne. Par contre je suis méfiant à l’égard des organisations. Mes positions m’ont coupé de certains amis homos. Je le regrette mais l’accepte si c’est le prix de mon indépendance de pensée.
J’ai eu l’idée de ce billet il y a une dizaine de jours. Je m’en suis ouvert à une connaissance privée. Je voulais un avis et d’éventuelles informations pour ce projet de billet. Je ne citerai pas cette personne et ne la convoquerai pas à la barre: je n’ai pas besoin d’être défendu dans ce procès d’intention un peu flou et ambigu.
Deuxième point: les accusations contre le pouvoir du président Kadyrov pourraient être un fake. Il n’y aurait peut-être pas de persécutions contre les homosexuels en Tchétchénie. D’ailleurs le président a démenti toute exaction contre cette communauté. Si ce président le dit…
J’ai lu les premières infos au début avril, comme tout le monde. J’ai suivi le fil car je voulais avoir quelques assurances sur la réalité de la situation. Je suis conscient des enjeux internationaux autour de Vladimir Poutine et de la la Fédération de Russie, dont la Tchétchénie est une république. Son président a été mis en place par le Vladimir.
Quelles que soient les raisons stratégiques du président russe pour ce soutien au fils de son ancien ennemi (peut-être une paix artificielle préférable à une extension des guerres dans la région et à l’extension du terrorisme?) ce n’est pas le sujet ici.
Ramzan Kadyrov l’islamiste n’est à mes yeux guère crédible. Quand son porte-parole dit: « L’homosexualité n’existe pas ici. Si ces personnes existaient ici, la loi n’aurait pas à se soucier d’eux vu que leur propres parents les auraient déjà envoyés là où ils ne pourraient jamais revenir », on sait ce que le gouvernement de Kadyrov pense des homosexuels: ils sont mieux disparus que vivants.
Alors, quel élément a pu déranger dans mon précédent billet? Possiblement de citer deux médias russes d’opposition. D’où la suspicion d’un mensonge, d’un fake. Je ne suis pourtant pas anti-Poutine. Je pense que c’est un homme politique important pour la Russie et pour l’équilibre du monde. Je pense que les européens doivent s’entendre avec lui.
Mais ce n’est pas le sujet. Les infos sur la Tchétchénie peuvent-elles être un fake? Pourquoi ai-je mis du conditionnel dans mon billet d’hier, comme le fait remarquer l’auteur du billet polémique, me reprochant de n’avoir « pas le moindre début de preuve valide »? Le conditionnel est repris de Wikipedia et je n’ai pas voulu aller plus loin que l’encyclopédie en ligne. Les informations proviennent de témoignages et seules les victimes annoncées sont témoins des faits. Une certaine prudence rhétorique s’impose donc.
Ensuite les médias russes d’opposition sont-ils crédibles? J’ai lu ces infos de plusieurs sources, pas toutes redondantes. France 24 a réalisé un reportage. France 24 est certes la voix de la France, mais le reportage existe – à moins qu’il ne soit un faux.
Courrier International, entre autres, reproduit un article de Novaïa Gazetta. Or CI est un média auquel je fais plutôt confiance. Les articles qui y figurent sont repris d’auteurs généralement solides.
J’ai également regardé le site de démontage de fake, Hoaxbuster: il n’y a aucune contestation de cette info.
Selon le billet polémique et un autre billet du même auteur publié le 19 avril, une blogueuse, Karine Bechet-Golovko, met en question la réalité des persécutions et annonce que le mouvement LGBT Gay Russia porte plainte contre le journal Novaïa Gazetta pour diffamation. Je ne comprend pas pourquoi des gay se sentiraient diffamés, cela n’a pas de sens, c’est le président Ramzan Kadyrov qui est accusé: c’est lui qui devrait poser plainte.
En creusant je constate que cette blogueuse est proche du pouvoir russe. Son objectivité et l’exactitude de ses propos ne sont donc pas garantis. J’ajoute que je n’ai pas trouvé de trace explicite de cette plainte. Et quand bien même.
Cette plainte serait également relayée par la page Facebook de l’association. En l’occurrence la page de Nikolai Alekseev, soit une personne et non une association. En cherchant un peu je découvre qu’il existe une ONG gayrussia.ru. Elle est composée de vingt membres– seulement vingt? Mais on n’en sait pas beaucoup plus sur cette plainte.
Quant aux faits ils seraient, selon le gouvernement tchétchène à Grozny, cité par La Croix:
« « Un mensonge absolu », a démenti le porte-parole de Ramzan Kadyrov. Après le démenti, la menace a rapidement suivi. « Novaya Gazeta doit s’excuser devant le peuple tchétchène » pour avoir suggéré qu’il existe des homosexuels, « une provocation dégoûtante », a fustigé Jambulat Umarov, le ministre de l’information de la république… »
Quel aveu du sinistre ministre de l’information (de la propagande?)! Comment le croire? Une provocation dégoûtante: autre démonstration de la pensée officielle sur les homosexuels. On ne veut pas qu’il y en ait. Ici on peut évoquer le siècle passé en rappelant qu’Hitler avait fait interner ou déporter, voire exécuter, les homosexuels – comme les juifs.
Je ne vais pas coller tous les liens des nombreux médias et groupes qui mentionnent la situation des personnes homosexuelles en Tchétchénie. Les éléments venus à ma connaissance me paraissent révéler une situation réellement problématique pour ces personnes.
J’ai déjà écrit par le passé des billets avec moins de moyens de vérifier de l’info que cela, mais avec des pistes crédibles, et les faits se sont révélés authentiques par la suite. Je n’ai pas le sentiment de « publier des informations sans le moindre début de preuve valide », comme on me le reproche.
Troisième point: pourquoi parler des homosexuels sous Kadyrov alors que des chrétiennes sont martyrisées, violées et lapidées en Orient? L’auteur du billet polémique mentionne pour preuve un livre sur les chrétiens persécutés, relayé par VSD. Ce livre cite entre autre le témoignage d’une femme violée trente fois, selon ses propres dires. Il s’agit d’un témoignage, pas de la preuve valide d’un fait. Le titre de l’ouvrage est d’ailleurs explicite: Le martyre des chrétiens d’Orient ; portraits et témoignages. Il ne s’agit pas d’une enquête de police sur les faits. J’ai procédé de la même manière. En reprenant les informations je cite des témoignages. Et ceux-ci m’alertent. Certains témoignages seraient-ils plus valides que d’autres, selon qu’ils dérangent ou non un pouvoir ami? La petite polémique russo-tchétchène semble se résumer à témoignages contre témoignages.
Je ne comprends pas cette mise en opposition entre femmes chrétiennes et homosexuels. Sur les blogs chacun parle de ce qui lui semble important, jour après jour. J’ai déjà écrit sur les chrétiens de Syrie, femmes et hommes, et plusieurs autres blogs le font encore mieux que moi.
J’ai écrit sur les femmes Yézidies du Kurdistan capturées par des soldats de l’EI et traitées en esclaves sexuelles.
J’ai écrit en 2008 sur Doa, la jeune Yézidie de 17 ans amoureuse d’un garçon musulman, tuée par les hommes de sa famille. La preuve consistait alors en une vidéo filmée par un des spectateurs du massacre. J’ai écrit une chanson en mémoire de cette jeune femme, que je remets dans la colonne de droite en haut de cette page.
Cette information sur la Tchétchénie devra encore être documentée, mais en l’état elle mérite d’être relayée. Je ne vois donc pas de raison valable à cette polémique entre blogs, qui à mes yeux n’a pas lieu d’être.
Je rappelle ici la
manifestation dimanche 11 juin,
Place des Nations, de 16h à 19h.
Commentaires
@hommelibre,
Votre billet est un témoignage parfait de la situation que nous vivons actuellement.
Nous vivons dans un flou savamment entretenu, dans lequel toute personne capable d'écrire dans les réseaux sociaux ou dans les blogs peut distiller la méfiance. Brandir le spectre de la fausse nouvelle, de la nouvelle biaisée ou de la phobie à peine dissimulée.
Jusqu'à quelles extrémités faut-il aller pour expliquer sa position ?!?!
Votre billet le démontre et il a le mérite de la clarté, du "je" qui assume.
Je trouve toujours très intéressant de réfuter les mises en cause par des paroles réellement prononcées ou publiées par les politiciens eux-même.
Je pense bien sûr à Trump, mais ici, les paroles de Kadyrov ou de son porte-parole sont de nature à interdire le doute sur leur façon d'aborder l'homosexualité.
Une des astuces consiste également à disqualifier le sujet traité en affirmant qu'il faut en traiter un autre ou que l'auteur (dans ce cas vous) serait obnubilé par le sort des homosexuels en Tchétchénie parce qu'il n'a pas d'abord traité le sujet des femmes chrétiennes d'Orient.
Comme si un auteur n'était pas libre de ses choix éditoriaux, comme s'il y avait toujours besoin de d'abord faire la liste de toutes les souffrances de la Terre pour pouvoir parler légitimement d'une en particulier.
C'est aux lecteurs de faire la part des choses. On est libres et responsables de notre lecture, mais aussi de nos commentaires.
Ne vous méprenez pas, Homme libre, - mais je pense que vous l’avez bien compris -, le problème ne se situe pas dans le choix du sujet de votre billet, mais dans le fait que vous mettez en cause directement un gouvernement potiche soutenu par le Kremlin et que vous égratignez de ce fait indirectement la Sainte Russie et son maître…
Le martyre des chrétiens d’Orient, sur lequel ces belles consciences versent de chaudes larmes et que l’on s’étonne, de manière chafouine, de ne pas vous les voir traiter prioritairement dans votre billet, leur permet d’éviter de parler des sujets qui fâchent (l’intervention russe en Syrie, le rôle des services et des médias russes dans les présidentielles américaine et française…)
Calendula@ l’a parfaitement exprimé, le lecteur est libre de ses choix de lecture et de ses commentaires, comme vous l’êtes de vos thèmes et sujets. Encore heureux.
Infréquentables ces blogs-chapelles, ces sectes qui regroupent les béni-oui-oui et thuriféraires qui ressassent à l’envi leurs antiennes comme des moniales cisterciennes…
"d’éviter de parler des sujets qui fâchent (l’intervention russe en Syrie, le rôle des services et des médias russes dans les présidentielles américaine et française…)"
Beaucoup de gens ici (en Europe occidentale) soutiennent en tout cas moralement l'intervention des Russes en Syrie. Tout le monde n'est pas aveugle face aux volontés US et de son bras armé, l'OTAN, de main-mise sur le glacis de la Russie.
C'est bien ce que je dis, Géo, des sujets qui fâchent !
Des amis polonais sont beaucoup plus circonspects par rapport à l'ancien glacis russe...
Quant à l'intervention en Syrie, je l'approuve comme vous, vu les atermoiements des puissances occidentales, tout en étant conscient que la Russie pousse ses pions en Méditerranée. C'est un pari risqué, dans les pays de l'Orient compliqué, l'enlisement n'est jamais incertain, voir les interventions en Libye, Irak, Afghanistan et j'en passe, des uns et des autres Je ne souhaite aucun malheur aux Russes, mais citez-moi une seule intervention armée extérieure d'une grande puissance qui ait laissé des résultats durables et positifs... Poutine bon tacticien, certainement. Grand stratège ? A voir.
"Poutine bon tacticien, certainement. Grand stratège ? A voir." Il veut préserver les bases russes en Méditerranée et il se trouve que le contrat a été fait avec les alaouites. De même, il a investi la Crimée vraisemblablement quelques jours avant que des navires de guerre américains accostent Sébastopol, scellant le sort de la Crimée pour longtemps.
C'est minimaliste, en tant que stratégie.
Le bellicisme américain me paraît nettement plus inquiétant. Tout au long de leur histoire, ils ont appris qu'une bonne guerre chez les autres rapportait gros à leur industrie de l'armement. Et Trump est devenu une marionnette aux mains des néo-cons. S'il ne fait pas ce qu'ils veulent, c'est l'impeachment assuré.
On ferai mieux de trouver un dialogue avec la Russie.
L’Europe a besoin de son gaz et de pouvoir y exporter ces produits.
A force de chercher à critiquer on va se diriger vers un autre conflit armé.