En complément à mon billet précédent je propose quelques extrait d’une interview de Bill Gates au journal allemand Welt am Sonntag. Le choix d’un média du pays d’Angela Merkel n’est pas anodin.
En effet madame Merkel avait ouvert grands les bras au million de réfugiés de guerre et migrants économiques en 2015. Son argument moral faisait suite à la photo culte du petit Aylan, mort échoué sur une plage turque.
Elle plaidait la générosité, en accord avec certaines valeurs dites humanistes. En réalité ce sont plutôt des états émotionnels que des valeurs qui ont poussé à l’accueil.
On confond souvent sentiments et émotions avec humanisme. Le vrai humanisme n’est pas de nous donner bonne conscience en accueillant toute la misère du monde, ni de pleurer sur la souffrance du prochain. C’est de soutenir le développement des pays pauvres afin que leurs populations vivent plaisamment chez elles et puissent y travailler avec de bons revenus et une reconnaissance des talents et compétences. C’est vers cela que l’action d’aide internationale devrait tendre.
Angela Merkel plaidait également le besoin de bras et de cerveaux en Allemagne pour son économie. Il n’y avait alors aucun discours officiel sur le choc du nombre de personnes originaires d’une culture très différente de la nôtre, et comment l’accompagner. Aucune posture régalienne, comme ce devrait être le cas dans la gestion des flux de populations. Rien non plus sur ces bras et cerveaux pris à l’Afrique.
Bien sûr il faut tendre la main à ceux qui ont à peine de quoi vivre. De même il faut la tendre à ceux qui fuient les combats où ils risquent leur vie.
Mais si les réfugiés devraient en partie rentrer chez eux à la fin de la guerre, et l’Europe semble s’engager dans cette direction, les migrants économiques sont là pour rester. La distinction entre les deux catégories est importante et définit des priorités et des actions sociales et politiques différentes.
En 2014 la Suisse était épinglée moralement pour la votation contre l’immigration de masse. Pourtant la Suisse est le pays européen où vivent le plus d’étrangers, près de 25%. Or aujourd’hui l’Europe prêche elle-même le retour au pays et le tarissement de l’immigration depuis le territoire libyen, bien en amont de l’Italie.
Dans ce contexte les propos de Bill Gates devraient être entendus par les dirigeants de l’Union Européenne. Que dit-il?
« Le fondateur de Microsoft dit que des pays comme la République Fédérale d’Allemagne ne seront pas capables de gérer le très grand nombre de de migrants qui attendent de quitter l’Afrique pour une vie meilleure au-delà des mers. »
Plus précisément:
« D’une main vous vous montrez généreux en accueillant les réfugiés; mais plus vous êtes généreux et plus les gens autour du monde se le disent, ce qui en motive d’autres à quitter l’Afrique.»
Il s’alarme du grand nombre de migrants qui veulent gagner l’Europe. Il pense que la générosité morale et matérielle des européens est contre-productive et crée au contraire un appel d’air, puisque le message qu’entendent les africains, les népalais, les afghans et autres, c’est que l’Europe est généreuse et accueille largement. Donc ils viennent de plus en plus.
Gates pense et affirme qu’il faut soutenir davantage l’aide au développement des pays exportateurs de main d’oeuvre (exportateurs à leur propre préjudice car ce sont des bras et des cerveaux qui leur manqueront). Il soutient également l’idée que l’Europe doit rendre plus difficile aux migrants l’accès au continent par les routes habituelles de transit.
Depuis son retrait des affaires Bill Gates dirige une fondation qui investit des centaines de millions de dollars pour combattre la pauvreté en Afrique. Il a compris, comme d’autres vrais humanistes, que ce combat passe par le développement de l’économie, des infrastructures, de la formation des africains dans leur propre pays et le changement de leurs moeurs politiques.
Il ne s’agit pas de fermer les portes. L’entraide mutuelle reste nécessaire. Tout le monde à un moment peut en avoir besoin. Les échanges sont importants, ne serait-ce que pour partager et diffuser des technologies, des cultures et des savoir-faire. Mais ces échanges doivent être réfléchis et choisis plutôt qu’imposés par une contrainte affective/morale (mis à part les situations d’urgence).
Car il s’agit non de prôner un nouveau mode de vie (multiculturalisme par exemple, concept si peu réfléchi) mais de prendre soin du pays confié par les citoyens et citoyennes.
Commentaires
On est aux antipodes du point de vue exprimé par Joseph Daher dans le billet intitulé «Explosions d’actes islamophobes» qu'il a publié ce jour (5 juillet) sur son blog «EmancipationS».
Bill Gates souhaite probablement une Europe moderne et prospère plutôt qu'une Europe qui retourne au Moyen Âge.
Erdogan souhaite le contraire, ce que sa prise de position sur Darwin exprime très clairement. Madame Merkel lui a fourni une aide précieuse dans cette démarche.
Si l'Allemagne s'était tourné vers les pays de l'Est, y compris la Russie, et l'Amérique du Sud plutôt que vers la Turquie pour recruter la main d'oeuvre qui lui manquait, elle (et toute l'Europe) ne connaîtrait probablement pas les problèmes auxquels elle est confrontée.
Il est particulièrement ironique que ce soit le pays d'origine de Luther, l'homme qui s'est en premier élevé contre les privilèges abusifs de la religion dominante en Europe, qui s'est tourné vers un pays musulman (religion hostile à toute réforme) pour compléter sa population. Il est vrai que des liens très forts existaient déjà avec certains pays musulmans à l'époque nazie et auparavant.
@Mère-Grand,
En ce qui concerne les choix possibles en matière de pays d'origine des immigrés, je crois qu'il faut se rappeler du contexte historique et de la difficulté à se déplacer, avant l'explosion des transports aériens plus ou moins abordables.
Dans les années 60, l'Amérique du Sud était vraiment difficile d'accès et imaginer une immigration venant de ces pays implique d'exiger que l'on ait mis en place des stratégies de transport massifs.
A l'époque, où l'immigration turque a débuté, l'Est de l'Europe était derrière "le Rideau de fer", qui séparait les pays satellites de l'URSS de l'Europe occidentale, capitaliste.
Construction du mur de Berlin, qui marqua de la façon la plus explicite l'impossibilité de passer d'Est en Ouest : 1961.
Voici ce que dit Wikipédia du début de l'immigration depuis la Turquie :
"Les Turcs d'Allemagne sont les immigrés (et leurs descendants) venus de Turquie à partir des années 1960. Le 30 octobre 1961, en plein « miracle économique » (Wirtschaftswunder), la République fédérale d'Allemagne et la Turquie signaient à Bad Godesberg une convention sur le recrutement de main d'œuvre. Dix ans plus tard, 652 000 Turcs vivaient en Allemagne."
A cette époque, la Turquie était un pays laïc et les milieux politiques et économiques ne se sont pas beaucoup soucié du volet social.
Dans les années 80, j'ai été marquée par la lecture d'un reportage en immersion d'un certain Günther Wallraff intitulé : "Ganz unten". En français "Tête de Turc". Le livre montrait l'ampleur du problème de cette immigration, mais depuis la perspective du travailleur.
La Grèce était et reste également un vivier de main d'oeuvre :
Wikipédia encore:
"À ce jour, il y a eu trois vagues d'immigration grecque en Allemagne.
La première a eu lieu en 1960, des dizaines de milliers de citoyens helléniques répondant à l'appel du patronat ouest allemand en manque de main d'œuvre.
De 1967 à 1974 une seconde vague est due à la dictature des colonels qui pousse des intellectuels notamment, à fuir leur patrie pour se réfugier en RFA.
La troisième vague apparaît en 2010, contre le chômage et la précarité, l'Allemagne est de nouveau sollicité par des milliers de Grecs en quête d'un meilleur avenir. 88 % des immigrés grecs arrivant sur le sol allemand durant la décennie 2010 avait un diplôme universitaire."
Et dans le faits, les Italiens auront été la communauté la plus forte :
"Entre 1964 et 1996, 3 070 000 Italiens émigreront en Allemagne, mais très peu de ressortissants resteront durablement dans le pays, en effet sur la même période 2 820 000 repartiront.
Néanmoins, au fil des années, les migrations vont s'inscrire d'avantage dans une optique de rester dans le pays d'accueil. En 1982, les Italiens venus s'installer en RFA le faisaient à 55 % pour une durée supérieure à 10 ans. Si, en 1979, 45 % de ceux qui avaient quitté leur pays voulaient y retourner, ils n'étaient que 8 % en 1989. ( ....) En 2014, l'Italie était le quatrième pays d'où provenait les migrants, derrière la Pologne, la Syrie et la Roumanie."
https://fr.wikipedia.org/wiki/Immigration_en_Allemagne
A ce stade, il serait vraiment important que l'on reconnaisse l'importance du phénomène de de la migration économique et qu'on ne se voile pas la face. En Europe, l'économie est désormais ainsi faite, qu'elle n'a pas vraiment besoin de millions de bras. Il n'y a plus tellement de "petits jobs", qui pourraient être assumés par des personnes parachutées. La structure économique a changé. Les problèmes de maîtrise des langues, les bases scolaires, la volonté de se former sont désormais primordiales. C'est ce nous exigeons de nos jeunes et moins jeunes.
Il y a réfugiés et réfugiés. Les réfugiés auxquels le gvt Merkel a "ouvert la porte" venaient de pays comme la Syrie, l`Iraq ou l`Afghanistan. Ce flot est en train de se tarir et, a l`avenir, on aura surtout des vagues d`immigration de l`Afrique Noire débarquant dans les ports italiens ce qui ne date pas d`hier et n`a rien a voir avec le gvt Merkel. La fondation de Bill Gates est concernée par l`Afrique Noire et il est logique qu`elle essaye de faire pression pour qu`a l`avenir l`Europe ouvre plus large ses portes a ses réfugiés aussi, d`autant que le gvt Merkel n`y est pas du tout disposé (avec raison).
l'appel d'air est indéniable. De là à considérer Bill Gates comme un vrai humaniste...
Migrants comme réfugiés sont également, ô combien, "gens de voyage"!
Il est écoeurant de constater que nos pays choisissent d'accueillir "ceux d'entre eux qui sont utiles pour nous" condamnant les autres... ceux, fragiles, demeurés sur place à crever de faim, de tortures tel le génocide en Syrie, de viols et de mort.
Des armées puissantes au point de faire trembler l'univers incapables d'imposer la paix?
La justice sociale, l'équité?
@Myriam Belakovsky,
Chapeau bas pour votre texte ci dessus du 06 juillet 2017.
Bien à Vous.
Charles 05