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L’Homme nouveau, un cadeau empoisonné

J’ai lu l’hommage à Frantz Fanon republié sur le blog de Continent Premier. Le texte est signé par Hamidou Dia, philosophe et écrivain sénégalais décédé cette année. Il offre à réfléchir sur quelques notions très actuelles. 

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Frantz Fanon était un penseur militant pour l’indépendance de l’Algérie. Il a écrit sur le colonialisme et le racisme. Dans ce texte d’hommage je lis:

« Pour que surgisse et se développe une culture nationale, il faut qu’émerge tout d’abord la nation. La lutte de libération est la condition fondamentale de la culture nationale. La culture nationale doit rendre compte du processus de libération ; elle est, dit Fanon : « L’ensemble des efforts fournis par un peuple, au plan de la pensée pour chanter, décrire le processus à travers lequel la nation s’est libérée. »

On trouve là l’idée d’une geste qui conduit une population sans identité à s’agréger et se constituer en groupe singulier associé à un territoire. Ce territoire devient le sien. Le groupe le délimite, le nomme et l’administre. C’est la Nation, dont Frantz Fanon l’internationaliste disait:

« Se battre pour la culture nationale, c’est d’abord se battre pour la libération de la nation, matrice matérielle à partir de laquelle la culture devient possible. Il n’y a pas de combat culturel qui se développerait latéralement au combat populaire. »

Cette vision exalte la nation, comme l’ont fait au XXe siècle les régimes socialistes nationalistes des pays arabes. Si la nation est parée de grâce pour un révolutionnaire communiste, pourquoi ne le serait-elle pas dans l’esprit d’un conservateur?

 

 

frantz fanon,nation,souveraineté,colonialismeTraitres et beaufs

Pourquoi assimile-t-on un conservateur aux pires heures du XXe siècle quand il défend une certaine idée de la souveraineté?

La nation fait partie d’une identité commune à une population devenue un peuple. Fanon l’avait bien compris en l’associant intimement à la libération de ce peuple.

En Europe cependant les anciennes nations ont laissé un traumatisme pas encore totalement résorbé. Nation, nationalisme, guerre, sont associés à tort. Ce ne sont pas les nations qui ont produit le nationalisme, théorie politique venue dans un contexte particulier. 

La droite souverainiste, dite nationale, comme la gauche souverainiste elle-même, portent encore malgré elles le poids du passé. Il y a une redéfinition culturelle de la souveraineté à faire, de ses objectifs et limites, afin de remettre de la clarté dans un débat qui baigne habituellement dans l’invective, le rejet, l’exclusion morale et les points Godwin.

Que la gauche (en généralisant) tende vers un gouvernement mondial, ou la droite vers un archipel de souverainetés nationales articulées autour de traités spécifiques, c’est un débat politique normal. La gauche n’est pas un ramassis de traitres hallucinés ni la droite un club de vieux beaufs égoïstes. On devrait donc tenir débat sans invectives ni jugement moraux. Enfin, en théorie.

 

 

frantz fanon,nation,souveraineté,colonialismeTiers-mondiste

Frantz Fanon a raison sur ce point: la lutte de libération est parfois l’élément fondateur d’un peuple ou d’une nation. La Suisse le sait avec son Guillaume Tell et le Serment du Grütli, ou plus concrètement son Pacte fédéral d’alliance. Entre mythe et réalité, cette histoire exprime l’insoutenable besoin de liberté et d’indépendance des pères fondateurs et de leurs descendants.

Je constate que la nation a des vertus libératrices selon Fanon, si cette nation est celle des « opprimés ». Mais cette même nation serait la peste dans les démocraties blanches. Ce biais tiers-mondiste discutable a imprégné des générations d’idéalistes. C’est peut-être cela qui craque actuellement.

Je pense que cette idéologie tiers-mondiste se perpétue entre autre dans le culte des minorités « racisées » et dans l’accusation de l’homme blanc occidental:

« Inventons la peau neuve, la pensée neuve l’homme neuf que l’Europe impérialiste a été incapable de faire triompher. éclairons-nous du faisceau quasi-grandiose de l’histoire mais attention, ayons confiance aux masses, aux peuples, comptons sur nos propres forces car la seule vie qui vaille la peine d’être vécue c’est celle-là même qui consiste à participer cérébralement et musculairement à la libération de nos peuples !  »

 

 

frantz fanon,nation,souveraineté,colonialismeCadeau

Fanon a alimenté le piège de la repentance européenne en passant sous silence le colonialisme arabo-musulman, qui devient un impérialisme sous la poussée intégriste, ainsi que l’impérialisme propre à l’Afrique subsaharienne.

De plus le mythe de l’Homme nouveau, que l’on retrouve par exemple dans la théorie du genre et de l’indifférenciation des sexes, la fameuse « page blanche », est un moteur idéologique des plus forts de tous les mouvements autoritaires et de rupture. En tous cas on peut constater que Fanon et Hitler avaient en commun un même objectif: l’Homme nouveau.

Étonnant? Pas tellement. Les autoritaires sont de la même famille. « Les masses », « notre peuple »: beurk. Ce sont les mots de celui d’en haut qui regarde le bas comme une masse informe manipulable. C’était le langage et l’état d’esprit d’une époque.

Déculturé, sans histoire ni racines, et donc sans limites, devenant un dieu, cet Homme nouveau est peut-être un cadeau empoisonné que l’idéologie du Progrès aura légué à l’Histoire.

Mais comme le mythe est fascinant et puissant, il a encore de beaux jours à venir.

Homme nouveau, nouveau monde, deux concepts exaltants marqués de lumière et de sang.

 

 

Image 1: Frantz Fanon. 3: Le Serment de Rütli, Jean Renggli, 1891. 4: La naissance de l’Homme nouveau, Salvador Dali.

 

 

 

Catégories : Philosophie, Politique 7 commentaires

Commentaires

  • Mystères, Chevalerie, Ismaèlisme et homme nouveau... la Lumière comme unique concept.
    « Les mystères avaient pour objet la reformation de l'homme ; ils le prenaient brut et, le travaillant à neuf, s'attachaient à retrancher de son coeur jusqu'aux dernières fibres de la vie sensuelle, à lui enlever sa première âme, et, quand ils en avaient fait un homme nouveau, ils lui inspiraient un souffle créateur qui lui rendait une seconde vie.
    « Les hommes qui avaient subi cette mue formaient une génération mystique
    [...]
    « L'humanité, l'amour, la justice, l'honneur, étaient les qualités distinctives des chevaliers, qualités que la religion catholique se vit forcée de reconnaître, quoique ce soit elle qui les avait toujours méconnues. Elle les reconnut par politique, pour mettre de son côté la force qui est dans la vérité et dans la morale, mais il y avait contradiction entre ces deux religions, l'une adorant l'homme, l'autre adorant la Femme.
    « La Chevalerie adoucit d'abord l'esclavage, puis le supprima tout à fait.
    « L'amour régénéré, sanctifié, changea les mœurs ; il y fit régner une poésie qui avait disparu, et cela fit germer des vertus aimables qui donnèrent naissance aux Beaux-Arts. Ce fut une renaissance, la vraie.
    « La Justice opéra sur les caractères, en modéra les emportements, et parvint à réprimer, jusqu'à un certain point, la fougue des passions, L'honneur éclaira la bravoure et mit à la gloire son véritable prix. La guerre se fit avec moins de férocité ; la violence et l'oppression diminuèrent. Le respect pour la Vérité, l'attachement à ses devoirs, l'exactitude à tenir sa parole, formèrent le caractère du gentilhomme. Un homme d'honneur fut un homme nouveau, un homme particulier à cette époque de l'état social, un homme dont on aurait vainement cherché le modèle ailleurs, ni chez les Grecs, ni chez les Romains, ni chez aucune autre nation de la Terre. » (A. Fabre d'Olivet, L'État social de l'homme)
    Lien : https://livresdefemmeslivresdeverites.blogspot.com/2017/07/la-chevalerie-et-le-graal.html

  • En lisant le texte attentivement, j'ai l'impression qu'il s'agit de glorifier le processus qui aboutit à la création de ce que l'auteur nomme "la nation" plutôt que de faire l'éloge du nationalisme.
    D'après ces fragments, il s'agirait d'abord d'une notion culturelle avant d'être un projet politique, même si le texte semble un peu tourner en rond.
    Qu'est-ce qui vient d'abord : la nation ou la culture d'une nation ?

    En contemplant ces seuls fragments, j'essaye de comparer ce qui est énoncé avec ce que je connais un peu, c'est à dire l'émergence des nations européennes, qui ont des histoires longues et multiples. Souvent, l'indépendance a été conquise par la guerre ou la guerre civile, mais pas à chaque fois.
    Certaines nations se basent sur la langue, mais ce n'est pas le seul critère. Les différentes nations ont produit des formes de gouvernance diverses. (Leur coordination à l'intérieur de l'UE est particulièrement difficile ... )
    Certaines datent de plusieurs centaines d'années, d'autres tout juste de quelques dizaines. D'autres essaient d'émerger en ce moment, comme la Catalogne.

    En Europe, il s'agit aussi de "libération" et de la constitution d'un groupe relativement homogène qui se détache d'un ensemble plus grand, avec l'idée que l'identité culturelle commune permet de mieux gérer le présent et l'avenir des membres de cette "nation". Cette identité nationale est définie par la langue, des traditions locales, des coutumes, l'histoire de personnes célèbres, de précédentes frontières de la nation en question etc.

    Quand on réussit à aboutir à l'indépendance, tout le travail reste à faire : il faut trouver les formes concrètes et surtout les penseurs et leaders capables de mener le nouvel état à une certaine prospérité matérielle et un sentiment d'appartenance positive à un groupe.
    Est-ce que ce texte parlerait de ça ? De la recherche de formes de gouvernement affranchies de chablons importés et d'une sorte d'émancipation intellectuelle par rapport à la culture européenne ?
    Mais c'est dit d'une façon tellement alambiquée et avec un vocabulaire formaté que le message en est noyé. Comme si ce discours était l'exemple même d'une non-émancipation par rapport à un discours importé ?!?

  • Intéressante conclusion, Calendula.

    Pourtant les nations africaines ont existé avant la décolonisation, avec une culture, des formes politiques, des empires, des guerres d'occupation, des échanges.

    En vous lisant, (et je vous remercie pour ce développement) on réalise la lente et grosse oeuvre qu'est la constitution d'une population homogène qui se dote d'une identité commune.

  • "Pourtant les nations africaines ont existé avant la décolonisation, avec une culture, des formes politiques, des empires, des guerres d'occupation, des échanges."
    Mais avant la décolonisation, elles étaient des colonies. Et les pays formés par les colonisateurs ne recouvraient pas les territoires autrefois occupés par les "nations" africaines. Les Nuni du Ghana n'utilisent les Nuni du Burkina que pour leur couper la tête, afin d'accompagner leurs notables dans l'au-delà. Et ça, juste à cause de cette frontière...
    Cela limite sérieusement les contacts entre cousins, soit dit en passant...

  • "Fanon a alimenté le piège de la repentance européenne en passant sous silence le colonialisme arabo-musulman"

    Cet aveuglement est typique de ces "libérateurs" volontaristes imprégnés de concepts théoriques :
    « la vie du colonisé ne peut surgir que du cadavre en décomposition du colonisateur ». Elle signifie « à la fois mort du colonisé et mort du colon »

    Pour parler du Maghreb, j'ai découvert il y a quelques années l'étendue de la culture commune Amazighe. Une même origine ethnique, une même langue (plus ou moins), une communauté de traditions qui va des frontières de l'Egypte à la côte ouest de l'Afrique. Le mot berbère semble être une variation du terme barbare; l'origine étant Amazigh.

    Ils ont effectivement subi les colonisations arabes, puis ottomanes. L'arabisation avec ses règles islamiques a été si puissante, (un peu comme l'empire romain qui a supplanté les Celtes en Europe) que le colonisateur est toujours désigné exclusivement en direction de l'Europe.

    Sauf que l'identité Amazigh résiste y compris chez les maghrébin vivants en France

    http://www.amazighworld.org/history/index_categorie.php?categorie=modern_history

  • En effet Géo, cependant il y a bien eu des territoires organisés, des "nations", des empires, avec une création et une histoire. Le découpage issu de la colonisation est une chose, mais comme en Europe où des pays ont été coupés en morceaux, supprimés puis reconstitués, ce mélange guette tout le monde.

    De nouvelles entités, appartenances et et identités se créent sur cette évolution, pas toutes heureuses comme vous le concluez...


    @ Calendula:

    En effet il n'y a pas d'éloge du nationalisme tels qu'on l'a connu en Europe, mais de l'acte constitutif d'une nation. Cependant, les résultats ne sont pas forcément très différents du nationalisme (par exemple teinté de racisme en Afrique du Sud). L'histoire du XXe siècle le montre.

  • Aoki@ Il faut aussi mentionner l'Azawad et ses dérives islamistes. Les Touaregs peuvent aussi être vus comme de sales cons féodaux qui ont vécu sur le travail de leurs esclaves noirs. Ma première mission en Afrique, c'était à Tombouctou en 1986. La fascination des Blancs pour les Touaregs a coûté la vie à un coopérant suisse, Berberat, mais ce n'est rien par rapport à la fascination des féministes alternatives suisses, qui toutes dans les années 80 voulaient à tout prix devenir esclave de ces beaux hommes bleus...
    En bref, je me méfie sérieusement des touaregophiles...

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