Cette jeune femme résume tout: « L’an dernier on a soutenu les garçons à fond, maintenant il faut soutenir les filles. » Elle doit avoir 15 ans et s’exprime dans un reportage sur TF1.
Dans d’autres séquences plusieurs jeunes et très jeunes footballeuses prennent la parole ou chantent à tue-tête. Invitées au match en tant que membres d’un club junior, les 10-15 ans étalent leur joie. Elles sont enthousiastes, positives, et fières de voir les filles porter haut leur sport. Cette coupe va leur donner confiance en elles. C’est une bonne chose.
Presque 10 millions de téléspectateurs et un match à guichets fermés: le coup d’envoi est réussi. Les Bleues n’ont pas déçu un stade plein de fans femmes, hommes, jeunes, moins jeunes. Ils ont entonné la Marseillaise comme un seul homme – ou comme une seule femme devrait-on dire en la circonstance. Une Marseillaise intense et touchante, oui touchante, et pourtant je ne suis pas séduit par ce texte guerrier.
Pendant le chant l’émotion de l’une des joueuses débordait de l’écran. Elle a expliqué en fin de match que cette émotion était montée quand elle a croisé le regard de son père dans la tribune. Bel aveu de légitime fierté: jouer la phase finale de la coupe du monde à 20 ans, devant son père.
Les Bleues ont donc gagné largement 4 à 0. Certes l’équipe de Corée du Sud était soporifique, au point où j’ai plusieurs fois zappé. Mais le succès des françaises est pleinement mérité. À commencer par le premier but joliment amené d’Eugénie Le Sommer.
Wendie Renard a ensuite balancé deux ballons impeccables du haut de ses 1m 87. Et pour bien faire, le capitaine Amandine Henry a bouclé l’affaire en fin de match.
L’entraîneur Corinne Diacre, qui n’est pas un Bisounours, avait pourtant exclu pendant une partie du match une de ses cartes maîtresses: l’attaquante Valérie Gauvin, pour deux retards aux entraînements. La joueuse a accepté et attendu son moment. Ce détail montre en partie l’état d’esprit imposé par l’entraîneur: discipline individuelle, régularité, engagement total des joueuses.
Je ne suis pas un passionné du ballon rond mais j’avoue aimer le bruit fait autour de ces filles de foot. Je trouve même qu’on n’en fait pas encore autant que pour les garçons. De plus les organisateurs et TF1 ont su éviter de patauger dans un féminisme revanchard aussi ravageur qu’une espèce exotique envahissante. Les filles valent mieux que cela, TF1 l’a compris.
Pourtant je reconnais ici un des rares points positifs du féminisme: avoir sérieusement écorné l’image de la femme bourgeoise du XIXe siècle, passive, inhibée et plutôt bovaryste. Les sportives montrent des images et comportements qui vont dans le même sens: dynamisme, autonomie, détermination, entre autres. Elles sont une forme de prolongement des femmes paysannes et ouvrières du passé, de celles qui bossaient et parlaient comme des hommes, et qui tenaient la maisonnée d’une main de fer.
Un mot encore sur l’avant-match. Le spectacle d’ouverture m’a plu malgré la politisation amenée par la chanteuse toulousaine Jain. Adidas aux pieds elle prêche. Dans une de ses chansons, Heads up, elle dit l’importance d’être des esprits ouverts:
« Têtes hautes cette fois
Là où la peur ne mène pas
Où l’esprit ouvert est plus fort
La vie est pour les amoureux »
Après une première chanson sur Myriam Makeba, et dans le contexte de cette coupe du monde représentée par tous les continents, on comprend qu’il s’agit d’une position anti-raciste. Si l’intention est bienveillante il s’agit pourtant d’un discours discriminant envers celles et ceux qui ne partagent pas cette philosophie.
Ouvert signifie-t-il sans plus aucun filtre ni possibilité de préserver un espace à la critique? Faut-il aimer tout le monde aveuglément, sans apprivoisement ni distance? Presque sans avoir fait connaissance? Faut-il renoncer à sa propre préservation pour ne plus paraître discriminant?
À chacun sa réponse. Personnellement je suis un esprit ouvert, je l’ai toujours été, mais je ne donne plus ma foi les yeux fermés. L’espace et la distance entre les personnes, voire une certaine réserve, sont aussi importants que la proximité.
Je préfère le foot sans philosophie qu’une chanson qui me dit comment il faut être. Mais c’est de peu d’importance et n’entame pas ma bonne impression sur ce début de mondial féminin.