J’avoue ne pas être original pour ce billet. Il y a longtemps que je voulais en parler et le film diffusé sur France 3 ce lundi de Pâques m’a motivé. Aujourd’hui c’est donc une histoire connue : celle de Joseph Ferdinand.
Deux prénoms à la mode au XIXe siècle. Il est né dans une famille de paysans pauvres dans la région de l’Herbasse, petite rivière de la Drôme des Collines.
Joseph Ferdinand qui? Cheval. Joseph Ferdinand Cheval. D’où vient son patronyme? Je n’ai rien trouvé à ce sujet. Cheval, ce n’est pas fréquent.
Sa scolarité fut minimale. Il dut très tôt aider son père aux champs. À 20 ans il devient apprenti-boulanger. À 22 ans il épouse Rosalie, 17 ans, avec qui il aura deux garçons. Le premier meurt à un an. Puis son épouse meurt à son tour.
Il se remarie avec Claire-Philomène, une femme de sa région, veuve elle aussi. Ils auront une fille, Alice, qui mourra à 15 ans. Philomène décède à son tour. Puis plus tard son deuxième fils.
Ainsi allait la vie d’alors. Il trouvera la force de surmonter ces peines grâce à un projet fou: construire tout seul de ses mains profanes de paysan un palais pour sa fille Alice, le Palais idéal.
Je l’ai visité il y a des années. Je l’avais trouvé plutôt bas de plafond pour des adultes et des salles de palais. On le voit aux hauteurs de portes. Mais il n’est pas petit (images Site du Palais et Wikipedia): il l’a fait à la taille d’un enfant de l’âge d’Alice.
Devenu facteur à Hauterives, toujours dans la Drôme des Collines, il se met à ramasser des pierres dont la forme l’inspire. Il les ramène sur le petit terrain qu’il a acquis. Et ainsi prend forme l’oeuvre de sa vie, ce Palais Idéal. Cet ouvrage sera classé parmi les monuments historiques français en 1968.
Au début on considérait Cheval un peu comme un fou. Cet humble fils de paysans pauvres était peut-être légèrement autiste, ai-je lu. Il parlait peu. Son épouse Philomène l’a accepté comme il était, même quand elle restait seule pendant des heures lorsqu’il construisait le Palais. Elle veillait sur lui.
Père un peu distant au début, il crée peu à peu une complicité forte avec sa fille. Son décès à 15 ans fut terrible.
Il a néanmoins mené son oeuvre à terme. Il a connu un début de célébrité. On venait de loin pour admirer son Palais idéal.
Il décède en 1923, à 88 ans. Il est enterré dans un tombeau qu’il a construit après son Palais.
J’ignore quelle est la part du réel et celle du romancé dans le film. Les gestes, les mots, les expressions dans la vie de ce couple ne peuvent qu’être imaginées. Sauf sur quelques photos de l’époque.
Je me demande ce que cet homme, fixé sur une idée aussi prenante en temps et en énergie, faisait avec une femme et des enfants.
Sa femme Philomène est incarnée avec grand bonheur par Laeticia Casta. Casta! Quand on a dit son nom il n’y a rien à ajouter.
Laeticia Casta est rayonnante dans ce rôle tout en retenue. Grâce à elle en particulier, ce film déborde de tendresse. Et grâce aussi au regard du réalisateur, Nils Tavernier. Son choix de traiter le film à l’ancienne pour le rythme et la qualité des images, me paraît ajouter quelque chose à l’histoire. On est dans le passé, un passé encore un peu vivant mais qui s’estompe.
Jacques Gamblin est également très convainquant dans le rôle de Cheval. Une calme profondeur émane des images, des silences, des regards, et des paroles mesurées de cet homme impénétrable.
Cette histoire si bien racontée est une quête dans un monde rural très touchant. Le merveilleux n’arrive pas qu’aux riches. C’était il y a 100 ans, une vie dure, peu de médecine, peu à manger. On côtoyait la vie, la mort, la vie encore, et toujours la mort au détour. On parlait simple, souvent vrai, enfin vrai comme alors. Dans ces régions il y avait peu d’idéologie mais beaucoup de présence les uns aux autres.
Je sais que cette vie n’était pas facile ni radieuse. Il y avait la faim, les hivers terribles d’alors – on sortait à peine du Petit âge glaciaire – avec un chauffage de misère, la mort des enfants comme une fatalité insupportable. Les visages cachés derrière les fenêtres. Le mépris de la capitale. La guerre jamais très loin.
Il y avait aussi du respect entre les individus dans cette campagne paysanne.
Les tristesses jalonnent sa vie simple et étonnante. Mais son travail acharné et ce projet qu’il mènera à son terme après 93’000 heures (cela a été estimé) le tiendront et l’aideront à se relever à chaque fois.
Pour tout ce que le personnage, et les personnes autour de lui, éveillent de peines domptées et de merveilles scintillantes comme les étoiles, c’est une belle histoire.
Le Palais Idéal est actuellement fermé pour cause de Covid. Le site du monument renseignera sur la réouverture. Si vous y passez, je vous recommande de vous promener dans cette délicieuse Drôme des Collines, au climat doux dont Genève pourrait hériter en 2100 grâce au réchauffement.
Le pitch du film est ici.
Commentaires
Je suis fus soulagée et heureuse d'apprendre, il y a une dizaine d'année que le lutte pour la conservation du palais du facteur Cheval fut gagnée. Les autorités locales, malgré son classement, voulais le faire raser afin de le redessiner le périmètre pour le rendre compatible avec de nouveaux projets d'urbanisme. Cette lutte s'était étendue sur presque 10 ans, (1990/2000).
Avec mon époux et notre fille de 8 mois,sur le ventre de son père dans le cacolet, nous l'avions visité. C'était très saisissant. Je ne sais comment le décrire, il faut le visiter. Le palais n'est pas grand mais il captive à tel point qu'on s'y attarde et qu'on a envie d'en faire des tours et des tours dans tous les sens. Il y a des passages de communications transversales, verticcales, de petites terrasses entre dômes et pointes...
Notre fille qui n'avait que huit mois, s'en souvient encore aujourd'hui après cette visite de quelques heures il y a 40 ans. Elle en est restée impreignée et aussi incroyable et là j'apprends quelque chose sur la mémoire des nourrissons: elle se souvient des ouvertures depuis l'intérieur, et elle s'exclamait avec son premier mot prononcé déjà à l'âge de 4 mois: "LAMP" pour dire lumière; et elle se souvient de la forme de certains galets qui lui plaisaient plus que d'autres. D'ailleurs elle possède aujourd'hui une magnifique collection de galets de toutes les tailles, de toutes les formes, certains percés de trous par les racines de plantes, aussi, de toutes les teintes de roche, des composites comme des plus homogène comme le marbre de Carrare ou La célèbre Pierre de Beaunote*
N'hésitez pas à rendre visite au Facteur Cheval de Hauterive. Avec le temps de recul, on peut dire que c'est une construction très impressionniste (comme en peinture) qui laisse des ressentis sans paroles: Du dépaysement et des rêveries particulières.
*Pierre de Beaunote.
Cette pierre si homogène avec laquelle notre château était dallé au rez-de-chaussé et les parties les plus belles édifiaient l'immense cheminée de la salle d'armes.
La pierre, d'un beige clair très lumineux aux reflets d'or, et son uniformité sur de très grandes surfaces, intriguent. C'est pourquoi j'avais cherché à savoir d'0ù elle provenait. et quel procédé avaient permis son extraction et son façonnage. J'ai alors fait ma petite enquête et j'ai trouvé son site... A ciel ouvert, dans un coin perdu au cœur de la Bourgogne, tout près du chateau de Mauwilly, complètement abandonné, dont le rez-de-chaussé est, lui aussi, dallé de cette pierre.
Son gisement est toujours en exploitation. Aujourd'hui, les plus beau et les plus blocs les plus épais et des plus grandes surfaces, sont vendus aux très riches Américains.
Les nouveaux et anciens petits seigneurs français se contentent de travertins, pavés, cabochons et fines dalles comparables à des catelles, extraites des chutes. Découpées et polies, c'est un matériaux qui semble économique à l'entretien parce que inaltérable aux corps gras et à de nombreux acides, sa corrosion sur plus de 300 ans est toujours improbable comme son patiné intact comme au premier jour de la livraison..
Fin de digression hors sujer.
J'ai ici l'occasion de me relire. Sapristi! Que de fautes et de coquilles.
Projetée dans cette reviviscence, j'ai écrit tout d'un trait en avant...
Tant pis! on me comprendra malgré tout.
Pas de problème pour moi, je vous comprends.
Merci à Homme Libre de parler du facteur Cheval. J’ai aussi bifurqué à plusieurs reprises par Hauterive ces cinquante dernières années pour visiter son étonnant Palais idéal. Au début, j’étais fasciné par cette construction incroyable, sortie tout droit de l’imagination d’un homme, et inspirée par les images des cartes postales du monde entier qu’il distribuait au cours de ses tournées de facteur. J’ai été fasciné par l’entêtement de cet homme qui charriait des dizaines de kilos de pierre en poussant sa brouette le long de ses tournées quotidiennes de trente kilomètres à pied et qui mortaisait sa récolte de pierres le soir par tous les temps, qu’il pleuve ou qu’il vente.
Puis un jour, lors d’une de mes visites à Hauterive, j’achetai un fascicule qui contenait tous les écrits de Ferdinand Cheval qu’on a retrouvés gravés dans les recoins de son palais ou dans des calepins. Ces textes étaient souvent de courtes maximes de glorification du travail et de l’effort et là, j’ai découvert un homme dont la caractéristique était l’entêtement. Un être buté, étroit et raide dans son moralisme. Ce Ferdinand Cheval m’est apparu aussi antipathique que je l’avais trouvé admirable auparavant.
Enfin j’ai vu le film de Nils Tavernier sur grand écran il y a un an ou deux, avec Jacques Gamblin dans le rôle du facteur et là, j’ai compris. J’ai compris que pour réussir une telle œuvre monumentale, il faut vraiment être entêté ! Et que ce qui peut être perçu un jour comme un défaut peut aussi être une grande qualité. Il suffit pour cela de ne pas juger car une évaluation se fait toujours par une grille de lecture subjective qui n’a rien à voire avec la réalité. Gamblin campe un être sensible, buté, taiseux, amoureux, énergique et infiniment persévérant. Et c’est lui qui a raison, car on ne construit pas un tel Palais idéal sans ces caractéristiques humaines qui, du coup sont de grandes qualités !
J’ai aimé ce film parce qu’il m’a fait prendre conscience de la fragilité de ce qu’on appelle les défauts et les qualités ; que suivant les circonstances, ils sont simplement permutables ; et parce que la perception et le jeu de Gamblin m’a fait faire la paix avec Ferdinand Cheval.
Merci à vous Paul. Votre développement enrichit singulièrement mon billet. C'est ce que je n'ai pas su écrire!
Avec le film je suis vraiment entré dans l'histoire du facteur, ses paysages, ses cailloux, son épouse. J'ai aimé la sollicitude de celle-ci. Et la relation entre Cheval et sa fille, Tout cela est filmé avec une sorte de légèreté, Tavernier reste très pudique tout en donnant une consistance très forte au film. Enfin, c'est mon sentiment. Sa diffusion télé aurait mérité TF1.
Hola John,
merci pour cette belle et extraordinaire histoire d'une vie. Je n'ai pas vu le film ni n'y suis jamais allée, mais il y a quelques années j'ai regardé un long reportage sur le site (plus que sur l'homme).
La construction, absolument biscornue (m'a-t-il semblé) et unique, l’œuvre d'une vie hors du commun, doit en effet être protégée !
Bonne soirée.
Hola Colette,
Je vous remercie pour cette visite. Si vous avez l'occasion de voir le film, je pense qu'il vous plairait et vous toucherait..Il y a plus qu'une simple histoire, aussi étonnante soit-elle. Il y a quelque chose comme de l'âme.
L'histoire d'une vie, oui, menée à son terme. Il a eu le temps de construire son propre tombeau avant de décéder. Enfin il a construit une maison dédiée à sa fille, la villa Alicius.
Bon, le froid est arrivé. On se croit en janvier!
Bonne soirée.