En 30 ans le monde est passé de la promesse au cauchemar. On disait à l’époque des 30 glorieuses que l’humanité entrait dans une ère nouvelle, où la souffrance serait peut-être éradiquée. L’agriculture intensive allait nourrir les affamés; la médecine ferait disparaître la plupart des maladies; la paix par l’équilibre des forces de destruction allait régner. Entre autres.
L’économie, les relations internationales, l’énergie, jusque au couple, tout n’est plus qu’enjeu et bataille sans plus être compensé par un rêve. Avenir bouché, déclin, les paroles de mauvaise augure se sont multipliées au point d’envahir l’espace psychique commun et de prétendre à une vérité d’évidence et universelle.
Une telle époque est propice aux dérives les plus liberticides. Les idéologies politiques n’attendent que l’affaiblissement et la peur collective pour ressurgir. La crise économique de 1929 avait déjà fait le lit du nazisme. Les discours de confrontation internationale, les positions clivées et tranchées, sont le ferment de pertes bien plus considérables que les pertes économiques.
La perte de la liberté en particulier. Même imparfaite, même inégalement répartie, même encore imprégnée de mécanismes de domination – dans l’entreprise comme dans le monde - la liberté est chose belle et fragile. Les clameurs contre l’occident ne sont pas le fruit du hasard, ni celui d’une culpabilité outrancière de la “blanchitude”. Edgar Morin, qui est un penseur de référence pour moi, était cité récemment par Jean Ziegler dans l’affirmation que l’occident avait développé le système le plus envahissant de la planète. Sur ce point, ne doutons pas que d’autres empires auraient fait de même à d’autres époques s’ils en avaient eu les moyens technologiques. Ils l'ont d'ailleurs fait à leur mesure: empire perse, empire romain, entre autres.
Et ne doutons pas que la haine de l’occident est une stratégie de guerre alimentée par ceux qui y ont tout intérêt. La liberté économique des peuples pauvres n’est certainement pas l’objectif de la Chine ou de l’islamisme – ni du christianisme en son temps. Quelle liberté y a-t-il à vivre dans ces systèmes qui asservissent et ont asservi les humains? Rien de comparable à la relative liberté dont nous jouissons ici. Nous avons produit des guerres et inventé les armes les plus excessives. Nous avons poussé au bout la logique de dresser les humains les uns contre les autres. En ce sens l’occident n’est pas fait autrement que d’autres peuples en d’autres époques, cela depuis l’histoire connue et peut-être la préhistoire. Et ceux qui ont été asservis par le colonialisme ont été à leur tour les bourreaux d’autres peuples ou individus. Un système peut favoriser ou non la liberté et le respect mutuels. Mais tout autant que le système, ce sont les individus dans leur comportement et leur conscience qui incarnent ces valeurs.
Y a-t-il un autre chemin pour l’humanité? Y a-t-il une autre humanité possible, tout simplement? La conscience, la responsabilité individuelle, les découvertes scientifiques modernes, ne sont-elle que des épiphénomènes, des “produits dérivés” de luxe d’un monde où guerre et domination sont les voies de survie de l’espèce? Si tel était le cas alors nous n’avons rien à faire qu’à nous défendre sans équivoque ni états d’âmes contre la guerre permanente qui nous est faite.
Mais s’il y a réellement un autre chemin, une autre humanité possible, quelle pourrait-elle être? Sur quels fondements philosophiques, génétiques, culturels, pourrait prendre une place durable?
Je n’ai pas de réponse. Je pense simplement que les ambitions dominatrices et la source des conflits existent dans les individus qui génèrent des systèmes qui leur ressemblent. Changer de système avec la même configuration des individus ne change rien fondamentalement. En l’état, je pense que nous devons préserver les valeurs de liberté et d’ouverture au monde, même au prix d’un changement de notre mode de vie. Mais nous ne devons pas lâcher ce que nous avons ni laisser d’autres venir le détruire. La haine de l’occident n’est qu’une arme de guerre psychologique. Nous avons su créer de bonnes choses, utiles sur toute la planète, et nous continuons à le faire.
L’analyse purement politique ou économique déssèche l’imaginaire et “chosifie” l’humain. Les discours défaitistes, réducteurs de liberté, alarmistes, ont peut-être une part de réalité, mais il faut aussi voir dans ces discours des outils de destruction psychologique massive de notre envie de vivre, de nos rêves de beauté, de liberté, de partage.
Notre époque manque de rêves, au sens des aborigènes, des poètes, des scientifiques visionnaires, des humanistes du passé. Les prophéties négatives n’offrent pas de rêve. Les gourous de tous genres: politiques, spirituels, ne proposent que l’asservissement à leur propre ambition.
Nous manquons de rêves. Laissons-nous le droit de rêver l’humain à venir. Partout dans le monde, partout en même temps. Cela ne change peut-être pas la vie directement, mais laisse émerger les valeurs et comportements qui la changeront.
(A venir prochainement: Dogma 5, la puissance du rêve)
Commentaires
Je me réjouis de lire ce dogma 5 et bravo pour votre texte, auquel je souscris entièrement. C'est réconfortant de voyager à plusieurs :-) et de n'être pas obligés de se taire...
Amitiés
En effet Philippe, nous voyageons à plusieurs, et cela fait du bien. Loin des doctrines et idéologies, vers une vision intégrant la complexité et plus nuancée du réel. Et tenant compte de l'humain! J'ai aussi apprécié votre billet sur le fédéralisme mondial, ainsi que les différents commentaires. Bien à vous.
Les poètes ne vont pas chanter des avenirs radieux simplement parce que c'est un devoir d'Etat. Un poète approfondit le sentiment qu'il a, et il l'illustre : il ne fabrique pas son émotion. Tenez, je parle de Julien Gracq, sur mon blog : lui trouvait beau ce qui était resté identique à soi-même.
En fait, pour créer le sentiment de l'espoir, il ne faut pas le feindre en utilisant des mots ne correspondant à rien ; il faut commencer par penser à une direction qui réellement puisse faire espérer : ensuite, le sentiment pourra naître. (Car ce n'est pas l'espoir qui fait chercher une solution, mais simplement le désir.)
Que proposez-vous, vous-même ? Il n'est quand même pas faux qu'une liberté qui se construit dans un espace restreint n'est pas durable. Regardez simplement Genève : comment concilier son développement économique et son souci de conserver le cadre de vie champêtre et sécurisé qui est le sien depuis presque deux cents ans ? Quand on ne trouve pas de solution, on déprime.
Bonjour, bravo pour ce texte philosophique et pas dans la tendance "déprime" qu'on nous serine à longueur de journée...
parfois, il faut voir les choses comme un extra -terrestre, rire: je m'explique;
Un extra-terrestre qui observerait la terre depuis 30 ans, voyant telle ou telle population d'animaux doubler en trente ans, en concluerait que cette population dans son ensemble a eu de quoi vivre, et assez d'espoir dans le futur pour se reproduire abondamment...malgré leurs bagarres incessantes, de la souffrance, des morts, etc...
C'est le cas des hommes, pourtant...mais dans le délire de catastrophisme ambiant, on fait passer ce fait pour une catastrophe de plus qui nous pend au nez.... Pourtant, c'est le tiers monde, celui le plus gravement touché par la pauvreté et le manque de soins, qui a vu sa population augmenter le plus.
Je sais que ce que je dis n'est pas très politiquement correct, mais malgré ce qu'on nous dit, depuis 30 ans, justement, ces populations ont eu assez non seulement pour survivre, mais se reproduire et augmenter largement leur population.
Il y a là un paradoxe, ne trouvez-vous pas?
On peut arguer que certes, ils sont pauvres, mais la richesse n'est pas signe de bonheur. t
Je pense que si on regardais les choses d'un oeil moins biaisé par le catastrophisme-dans-l'air-du-temps, on pourrait se concentrer sur les vrais problèmes (les déchets nucléaires, ou pire, un accident nucléaire, par exemple)
Là, on nous répète depuis 30 ans que tout va mal, les océans seront bientôt morts (on me l'a appris au collège il y a fort longtemps) le réchauffement climatique par-ci (alors que nous sortions du Petit Age Glaciaire du XVIIIè-XIXè siècle et que la terre se réchauffe depuis et heureusement, car à l'époque, on craignait que Chamonix ne disparaisse sous le glacier qui a avancé jusqu'au début du XXè) la faim dans le monde (qu'il faut, OUI, combattre) les guerres (qu'il faut éradiquer)
mais l'eau??? 75% au moins de la surface de la terre, c'est de l'eau! Ne me dites pas qu'on ne va pas trouver un moyen efficace et pas cher pour extraire l'eau de la mer et la dessaler........
Bref, de quoi réfléchir....mais si on le fait, on en revient toujours à ta conclusion, John, sur la nature humaine....
Et là....j'aimerais assez cerner le problème, mais malheureusement, de grands philosophes se sont penchés sur la question depuis des millénaires sans vraiment en faire le tour, et même si nous cernons mieux (?) notre nature, je me demande si un jour nous la connaîtrons vraiment...
Et comme je dois partir, je n'allonge pas ce poste, bien que le sujet soit intarissable...:=)
Bonne journée!
Bah...
Finalement, nous sommes très supérieurs aux dinosaures: nous au moins, nous savons ce qui va nous faire disparaître. Nous-mêmes.
;o)
@ R.M: Non, et heureusement, les poètes n'obéissent pas à un de voir d'Etat! Mais parlent-ils encore assez? Poètes et visionnaires sont-ils encore en ligne? Quelques-uns, oui: Hubert Reeves, Edgard Morin, pour en citer deux connus. Peut-être les grands rêves entrent-ils par de petites fentes initiales dans le bruit du monde. Le bruit lui sert à ressasser le connu, comme la presse reprend les infos des autres pour les mettre en pages. Le bruit se nourrit de lui-même, sans produire de percée vers autre chose. Le bruit tente d'illustrer - ou de noyer - les contingences du monde, économiques, sociales, etc.
Je propose de recommencer à rêver le monde. En tenant compte des connaissances et expériences actuelles, mais pas trop vite: le rêve doit venir de lui-même, sans trop de contingences. Le rêves doit être vaste, global, au-dessus des conditions factuelles qui épuisent la créativité par des horizons trop courts. Par exemple, gagner plus d'argent est une contingence, un sous-objectif nécessaire mais qui ne peut que s'épuiser quand l'objectif est atteint.
Rêver, c'est même rêver l'impossible. C'est avoir touché quelque chose qui va nous motiver pour longtemps. Ensuite viendra le temps de l'application, le temps de réaliser l'impossible en le découpant en une suite de petits possibles. Rêver, c'est s'ouvrir à une grande impulsion de longue durée.
Je parlerai de mes rêves, certains au moins, fondamentaux, dans mon billet à venir Dogma 5.
Bien à vous.
@ Ark: Je vois que nous nous rejoignons dans la distance que nous prenons à l'égard du catastrophisme. Et que nous ne sommes pas politiquement correct. Mais cela, n'est-ce pas une condition préalable pour rêver? Pour avoir un autre regard sur le monde? Les paradoxes que vous évoquez sont bien réels, et utiles à poser dans cette perspective de la survie.
Avez-vous lu Gérard Klein, un excellent écrivain de science-fiction français ? Ce sont les intellectuels français qui lui ont préféré une littérature plus intimiste, si elle était poétique, et plus pessimiste ou satirique, si elle avait une vocation plus sociale. On a consciemment refusé les grands élans, parce qu'on estimait qu'ils étaient trop propres aux Américains, et que les Français devaient se faire remarquer par plus de "réalisme", dans leurs vues. C'est aussi une simple question de rivalité culturelle. Le seul lyrisme français autorisé fut celui d'Aragon, le communisme.
Mais vous pouvez, déjà en tant que blogueur, évoquer publiquement un poète contemporain dont vous aimez le lyrisme incantatoire : cela fera déjà quelque chose. Il y en a. Mais il faut les lire. Tenez, Michel Butor, qui vit près de Genève, et dont je parle fréquemment, c'est un grand optimisme : sa tonalité est souvent proche de celle de Gérard Klein.
C'est un grand optimisTe (erratum).
(Et si je puis me permettre, lorsque vous livrerez vos rêves, pensez à les rattacher à d'autres écrivains, à vous appuyer sur eux, car ce qui fait que les rêves ne s'imposent pas dans le discours public, c'est souvent que chacun veut mettre en valeur les siens.)
Je les rattacherai peut-être davantage à des courants de pensée qu'à des auteurs précis. Mais j'en citerai à titre d'exemples de rêves.
" je donne le nom de peste à la corruption de l'intelligence,bien plus qu'à l'air qui nous entoure"
Citation de Marc Aurèle,empereur et philosophe romain 121-180 ap.J-C.
D.J
Intéressant cette citation. D.J., et je tiens pour fondé que l'intelligence est l'un des plus grand bien de l'humanité. Hélas, cette peste-là est très répandue et a traversé de nombreuses époques...
A mon avis, tous les courants de pensée ont leurs rêves propres. Il n'y a que les auteurs qui ont pu, individuellement, proposer des rêves qui pour ainsi dire tenaient la route, semblaient concilier le désir et ce qui était possible. On ne convainc plus, en se rattachant à un courant de pensée : c'est ramené à un parti politique. Or, si voter pour un parti ou un autre permettait les miracles, cela se saurait.
Tenez, même quand on se rattache au radicalisme, comme cela peut êtrec philosophiquement votre cas, on peut se concentrer sur la description concrète de l'Eldorado que propose Voltaire dans "Candide". Sinon, on risque d'en rester à des généralités bien connues, et même éculées. Mais les fait est que cette description, on la connaît mal, et on n'en tire pas grand-chose, la plupart du temps. On se rabat sur ce qui est le plus facile à comprendre, le combat de Voltaire contre les religions. Mais cela, justement, ne propose rien, en soi. Ce n'est pas d'empêcher les religions d'exister qui va en soi pouvoir apporter le bonheur sur terre. D'ailleurs, sur ce point, Voltaire même, dans sa description de l'Eldorado, n'avait pas des idées aussi loufoques : il préconisait seulement d'individualiser la religion, pas de la supprimer.
Je m'inscris de manière très libre, sans trop d'appartenance, sauf une appartenance aux idées. Mais je ne refuse pas qu'un rêve soit parfois mis en politique car cela fait aussi partie de sa réalisation hors de l'espace du rêve. Bon, difficile d'en dire plus avant mon billet, que je simplifie encore un peu et que je publierai la semaine prochaine. Mais je serai intéressé par vos commentaires, surtout en étant conscient que ce qui passe par un individu (moi en l'occurrence) ne saurait être universel ni exhaustif, et de plus est empreint de connotations personnelles.
LoOl comme si sa existerais et comme sa sa ferais ainsi moi jpense pr la fin du monde c un meteor qui nous tombera dessur point barre !!! . |