Le congrès du parti socialiste français de ce week-end s’achèvera en fait vendredi prochain, avec l’élection du nouveau premier secrétaire. Provisoirement du moins. Les militants éliront soit Ségolène Royal, soit Martine Aubry, semble-t-il. A lire le Journal du Dimanche de ce jour, le vent semble tourner en faveur de la seconde.
Il faut dire que la volonté affichée de Ségolène de se montrer différente n’a pas recueilli l’enthousiasme qu’elle espérait. Après la bravitude et autres fariboles, après un zénith surréaliste où elle faisait scander à la salle “fra-ter-ni-té” comme un lavage de cerveau digne des sectes, après La Rochelle où - comme investie d’une mission messianique dont elle use parfois quand elle n’a plus d’arguments - elle lançait: “Aimez-vous les uns les autres”, elle a parlé hier de "tendresse", "guérison" et "amour". Et encore, à Reims toujousr: "Nous sommes la gauche. Nous sommes ce qui renaît quand tout paraît perdu. Nous sommes le socialisme, levons-nous, vertu et courage, car nous rallumerons tous les soleils, toutes les étoiles du ciel, nous sommes les socialistes, il reste tant à faire, alors faisons-le, nous sommes les socialistes, tous ensemble". Langage affectif et maternaliste qui ne saurait fonder une ligne politique claire. Son mélange des genres tourne à la confusion mentale.
En face, Martine Aubry parlait “d’ancrage à gauche", de "vision politique" et de "donner un sens à la société". Discours pour lequel elle a été ovationnée.
Dans la situation actuelle de la gauche française, éparpillée entre tant de mouvances, l’ancrage à gauche semble être un discours fédérateur au PS. Besancenot menace sur sa gauche radicale, et une bonne fraction du PS lui-même est encore dans l’attente du “Grand soir”.
Certes, sur cette thématique de l’ancrage à gauche, le PS se prépare encore des jours difficiles s’il revient aux affaires. Tant qu’il n’y aura pas une révolution idéologique et sémantique, tant que l’économie de marché - même régulée - ne sera pas acceptée, toute gouvernance socialiste sera vouée à des contradictions qui la rendront illisible aux yeux des citoyens.
Ségolène Royal tente elle le grand saut en parlant d’alliance avec le Modem de François Bayrou. En ce faisant elle s’est mise dans l’impasse et a fait décrocher d’elle une partie des militants. En effet, d’une part il n’y a aucune prémisse d’accord avec le Modem qui justifierait cet appel à une alliance avec le centre. On peut donc y voir dans une simple position opportuniste. Ségolène, comme d’habitude, fonce toute seule dans le mur. Avant de proposer des fiançailles, la dame devrait savoir si le monsieur veut bien d’elle! De plus, un tel changement dans les orientations du PS auraient d’abord dû faire débat, avec vote des militants. Ce qui veut dire que le PS aurait ouvertement fait sa révolution culturelle et accepté l’économie de marché sans états d’âme. On voit bien qu’on en est loin. Bien sur il a manqué à Ségolène les voix centristes pour être élue lors de la présidentielle. Elle lance là une OPA dont l’objectif est de la servir elle - donc une OPA pas très amicale.
Ségolène pensait faire un “coup”, elle s’est mise elle-même dans une impasse. Gageons que si elle est élue vendredi à la tête du PS le congrès durera des années, des années de tensions, de coups bas, de division. Car Tout montre depuis 2005 que Madame Royal a une personnalité et une stratégie qui divise. Rien de rassembleur chez elle. Elle joue d’ailleurs avec ambiguïté sur son rôle de victime, donc elle a besoin d’être exclue, et en même temps elle prône un langage presque religieux sur le rassemblement. Mais de rassemblement il n’y aura qu’un simulacre. Son père était autoritaire, et les chiens ne font pas des chats...
Le parti entre ses mains ne sera en permanence qu’une machine à préparer son élection en 2012. N’oublions pas qu’elle a une revanche à prendre, et en filigrane une autre revanche à prendre sur son père et sur les hommes. Cela fait-il un destin politique? J’espère que non.

http://www.lejdd.fr//cmc/politique/200846/ps-avantage-aubry_165377.html
http://www.lejdd.fr/cmc/politique/200846/royal-fidele-a-elle-meme_165292.html
Commentaires
Il n'y a que deux candidats, vraiment ? Je croyais que le clan Jospin-Delanoë avait refusé de se rallier à Aubry. Il devrait donc proposer son propre candidat, non ?
Mais sinon, sincèrement, je crois que vous ne saisissez pas un aspect du débat important, et que cela vient de ce que vous ne regardez que la question économique, le degré de liberté qu'on laisserait au marché. Même Jean-Noël Cuénod qui lui aussi ne regarde que cela ne saisit pas ce qui peut se passer, en pensant que le reste n'est qu'une question de personnes. Ce n'est pas le cas.
L'alliance avec Bayrou n'est pas tant à regarder dans la perspective de la pensée de Karl Marx que dans celle de la démocratie sociale et chrétienne. Le départ de Mélanchon, un anticlérical juré, doit mettre sur la voie, à cet égard.
Les débats purement techniques ne sont plus porteurs. Royal a bien compris que le socialisme était romantique, ou n'était pas. Tout élan qui se propose d'améliorer les choses se doit de venir de plus loin que les choses. Sinon, quel plus y a-t-il ?
Delanoë ne s'est pas présenté. Il y a donc Aubry, Royal et Hamon.
Sur la démocratie chrétienne je doute fort que les militants socialistes soient preneurs. Que Royal sente la naphtaline cléricale, cela transpire d'elle régulièrement, dans des petites phrases, dans la posture moralisatrice, dans le ton.
Sur le romantisme, je ne partage pas votre point de vue. Socialisme et romantisme ont été liés à une époque déjà lointaine. La gestion de la société a pris le pas sur les idéaux. Et franchement, Madame Royal n'est pas à mes yeux une romantique. C'est éventuellement une mystique, ou une illuminée. Les paroles teintées d'affectivité ne sont pas le romantisme, ni la seule posture d'opposante à tous. L'aspect affect du romantisme est à sa place en poésie, ou dans une vision humaniste, pas dans la politique gestionnaire vers laquelle toute démocratie doit tendre.
Les vrais romantiques ont un narcissisme plus altruiste, et cela se sent vraiment. Chez Royal, tout n'est que culture de sa propre image et de sa propre légitimité.
Je ne la pense pas aussi cynique. Mais à mon avis, il faut ici penser à Victor Hugo, qu'on a également dit très égocentrique. Il s'est défendu d'être socialiste, au sens marxiste, mais il faisait bien dans le social. Or, parallèlement, il était bien mystique, et bien romantique, aussi.
Les militants socialistes ont voté majoritairement pour Royal, alors que, sur le plan technique, Aubry était plus qualifiée. Evidemment, on ne peut rien dire sur jeudi prochain. Mais une grosse frange de militants qui en réalité ne se déplacent pas tant dans les congrès, où dominent les militants traditionnels, est séduite par l'illuminisme (si vous voulez) de Royal.
Mitterrand a été élu avec une certaine dose de romantisme. Vous savez, la droite passe pour être simplement pragmatique et gérer au mieux l'ordre établi. La gauche passe pour créer du neuf. Sarkozy, sur le plan technique, n'est pas forcément moins conscient qu'Aubry que la croissance passe par la consommation des ménages. Or, c'est le fondement économique de la politique des socialistes. Le reste appartient justement à l'aspiration à quelque chose qui n'existe pas encore.
Quant à Bayrou, il s'est réclamé de Lamartine, le christianisme social. Ce n'est pas si loin de Royal. Les techniciens de l'Etat ne peuvent pas vraiment susciter d'enthousiasme, et les Français attendent toujours celui qui apportera aussi un changement, comme on dit. Recombiner le déjà connu, c'est loin de leurs attentes. Ainsi s'explique le sort jadis réservé à Jospin, lui aussi très prétentieux, au demeurant.
On ne peut pas apporter du nouveau en restant dans le déjà connu, en tout cas. Royal se pose comme pouvant arracher du nouveau à l'inconnu. Ensuite, il faut bien sûr qu'on y croie.