Parole, paroles… pourrait-on dire. Les paroles n’engagent que ceux qui les écoutent au moment où elles sont prononcées. Tous les politiques savent cela. Pourtant, il y a des paroles plus fortes que d’autres.
Celles prononcées par Barak Obama au Caire hier fait partie de ces dernières. Quelques réflexions à ce sujet.
Critiques d’abord. Tous les commentateurs remarquent que le président américain n’a fait aucune proposition concrète. Il a redit la nécessité de créer un Etat Palestinien, après avoir demandé à Israël d’en finir avec la colonisation des territoires occupés. En ce qui concerne un Etat palestinien, Georges Bush l’avait déjà souhaité. Il voulait même le réaliser avant la fin de son mandat. On voit bien que les paroles n’engagent pas plus loin que les lèvres.
Sur les relations avec le monde musulman. Là aussi certaines critiques font état de la “dépolitisation” du discours et de sa “culturisation”. Parler de l’Islam en général n’est pas s’adresser à une force politique homogène. Entre l’Iran, la Turquie, et les autres pays musulmans, les différences politiques sont considérables. Et il n’est pas du tout certains que les saoudiens apprécient d’être globalisés avec les soudanais, par exemple.
Discours partiellement critiquable, donc. Mais un tel discours n’est pas fait à la légère. Il est préparé avec une équipe pointue, chaque mot est pesé. Le lieu du discours, soit l’Université du Caire, haut-lieu de la culture et des sciences arabo-musulmanes, est également un symbole fort. Voyons donc les aspects positifs.
Barak Obama s’est adressé en premier lieu aux musulmans du monde entier. Son discours tranche radicalement avec la tension qui s’est développée ces dernières années. Il n’y a plus d’axe du mal, plus d’hégémonie occidentale. Il est question de reconnaître le monde musulman dans sa réalité, dans ses aspirations. Il est question de coopérer et de mieux se comprendre et s’accepter mutuellement. Par rapport à la stratégie du choc des civilisations développé par les faucons américains et islamistes, ce discours casse la dynamique de l’affrontement. Il n’y a plus d’ennemis, il y a des partenaires.
Il s’est adressé également aux intellectuels du monde musulman, car c’est par eux qu’une évolution des mentalités peut se faire en vue de diminuer l’attraction des mouvements radicaux et terroristes.
Mais il s’est aussi, implicitement, adressé aux non-musulmans: il faut cesser de voir l’islam comme l’ennemi mondial. Il faut renforcer la coopération, qui fera grandir l’influence des partisans d’un islam modéré et diminuer celle des jihadistes. Le christianisme a aussi eu ses bellicistes et ses pacifistes. Renforcer la paix et la sécurité du monde, cesser de se stigmatiser mutuellement, voilà le fond de ce discours, et les non-musulmans devraient bien admettre qu’il faut coopérer, et tant pis pour ceux qui rêvent d’éliminer 1,5 milliards d’humains!
Paroles, paroles, oui, mais pas n’importes quelles paroles. Des paroles de paix, un engagement pour diminuer les tensions mondiales et commencer à miner intellectuellement la route des faucons - en Israël également.
Qui mieux qu’Obama pouvait tenir ce discours et être crédible? Ses origines, sa connaissance de l’islam comme du christianisme, lui confèrent ce rôle - cette mission, presque.
Bien sûr Barak Obama n’est pas seul. Il est lié par les lobbys et strates de la société américaine. Et la mise en pratique de ces intentions nouvelles devra s’adapter cas par cas, pays par pays, avec sans aucun doute des négociations âpres sur nombre de sujets.
Mais aujourd’hui, quels que soient les bémols mis à ses paroles, reconnaissons à Obama de dire enfin ce que le monde attend, et reconnaissons-lui de le dire non par opportunisme mais par conviction doublée d’un sens politique exceptionnel et d’un pragmatisme certain: une guerre entre les non-musulmans et l’islam risquerait fort de n’avoir aucun vainqueur, mais beaucoup de vaincus et de faire des dégâts pour plusieurs générations.
Souhaitons que les hommes de l’ombre aux USA laissent ce président aller au bout de sa mission.
Commentaires
Cela me fait un peu rire, les reproches concernant la "culturalisation". Quand on parle des valeurs des démocraties occidentales, cela appartient aussi à la culture. Dans les faits, les politiques occidentaux et les lois qu'ils promulguent sont plus ou moins liés à ces "valeurs", et n'ont rien d'homogène non plus. Est-ce qu'il n'est pas politique, aussi, de mêler des considérations sur l'Islam avec les problèmes qu'on peut rencontrer avec des Etats ou des communautés majoritairement islamiques? On dit qu'il n'y a pas d'homogénéité dans l'Islam, mais les orateurs occidentaux l'homogénéisent bien, y compris quand ils parlent de relations politiques avec les peuples majoritairement musulmans. Au reste, c'est bien ce qu'il a critiqué, Obama: l'homogénéité de la vision, le manque de nuance.
En effet, l'intervention d'Obama est pragmatique et intelligente.
Parce qu'il a bien compris que pour faire évoluer les problèmes du moyen orient, des mesures concrètes n'aboutiraient pas plus loin que tout ce qui a été proposé jusqu'à aujourd'hui . Son discours cherches à poser une "ambiance" politique différente dans l'esprit des parties en causes, propice à appréhender les problèmes avec d'autres dispositions.
C'est intelligement pragmatique, car cela pousse les parties ambigüe et/ou belliqueuses à afficher leurs dispositions de manières positive ... ou pas ...
En tous cas à atténuer les doubles discours et assumer une position plus claire face à cette main subtilement tendue.
C'est simple direct et vrai, on ressent l'esprit non pollué par le sérail politique professionnel!
@ Rémy: En effet, la politique se fonde aussi sur des valeurs culturelles. la démocratie en est un exemple, qui fonde ses institutions sur l'égalité de droits pour tous ses ressortissants. Quand à l'homogénéisation de l'islam que font les occidentaux, elle est trop souvent réelle, et Obama s'adresse bien à nous autant qu'aux pays musulmans. Je pense que c'est un discours qui doit être considéré comme une pierre fondatrice d'un nouveau discours politique et d'une nouvelle pensée.
@ aoki: en effet, à partir de là, les autres doivent aussi se découvrir. Al Quaida a bien compris le danger de ce discours pour les intégristes, en critiquant à deux reprises Obama ces derniers jours.
commentaire Caire
Plus un symbole qu'un président à mes yeux, il incarne le renouveau, un symbole de lutte contre les discriminations. Or c'est tout à fait dans ce sens qu'il a été nommé prix nobel de la paix ... Cependant j'attends toujours des choses plus concrètes de sa part.