En matière de sexualité les sociétés se positionnent de manière variable selon les pays et les époques. Il est bien difficile de voir une relation simple, naturelle, non chargée entre une morale organisatrice du permis et de l’interdit, et les différentes formes que peuvent prendre les pratiques sexuelles. Mais notre société se caractérise entre autres par une forme d’hypocrisie à l’égard des choses du sexe, et particulièrement de ce qu’on nomme la pornographie.
En Europe au 17e siècle s’est développé un courant de pensée en rupture d’avec la société: les Libertins. Ce courant était d’abord politique et philosophique. Il prônait la libre pensée, mettait en question la religion et la royauté, refusait tout dogmatisme et affirmait l’autorité morale de l’individu sur la morale religieuse, considérant que celle-ci s’était rangée du côté du pouvoir et participait à la domination des princes sur le peuple.
Le libertinage dans les relations amoureuses, soit une large liberté sexuelle, est né à cette époque. Ainsi le livre «Les liaisons dangereuses» de Pierre de Laclos (1782) raconte les aventures de la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont, qui furent amants par le passé, et qui se jouent de la société pudibonde et privilégiée dans laquelle ils vivent. Se livrant à la débauche, ils ne cessent, tout au long du livre, de se narrer leurs exploits au travers des lettres qu’ils s’envoient et qui constituent le corps de l’intrigue.
La sexualité a de longue date été représentée sous forme d’histoires ou d’images. Le tableau du respecté peintre Courbet, «L’origine du monde» (1866, image 1 - cliquer sur les images pour les agrandir) en est une illustration assez directe. Image pornographique (au sens où les organes génitaux sont montrés, comme nous le verrons plus loin) ou sacralisation du corps féminin en tant qu’origine de la vie humaine? Ce tableau avait choqué dans le 19e siècle puritain.
Madame Bovary, de Gustave Flaubert, fut en partie censuré dans sa première édition et valut à son auteur un procès pour outrage aux bonnes moeurs et à la morale publique. La féministe Marcela Iacub a commenté ce procès dans un article de Libération du 29 novembre 2005, sous le titre: «Madame Bovary ou les vertus de la pornographie»:
«Si les mineurs de 18 ans ne peuvent les regarder (les films pornographiques), c'est qu'on les trouve tout simplement dégoûtants, non pas parce qu'ils pousseraient à commettre des actes illégaux, mais parce qu'ils rendent pensables, désirables, haïssables ou simplement imaginables certains comportements sexuels. En ce sens, le fait de mettre la pornographie hors la loi semble n'être rien d'autre qu'une restriction à la liberté de conscience. Le plus bel exemple de la logique de ces lois antipornographiques qui prononcent des interdictions pour d'autres raisons que celles qu'elles invoquent, fut le procès de Gustave Flaubert.»
Les estampes érotiques japonaises, vieilles certaines de plusieurs siècles, n’ont rien à envier aux dessinateurs modernes les plus crus. Sur les deux représentées ici (images 2 et 3) les détails ne sont pas voilés, et l’une d’elle illustre même un accouplement avec une pieuvre. Erotisme ou pornographie?
L’Inde et sa tradition tantrique a de longue date sacralisé et représenté la sexualité. Cette représentation passe par des illustrations gravées ou sculptées très explicites (images 4 à 6). Un mûdra, ou position des mains dans la danse, symbolise même le sexe féminin (image 7) alors que des linguams, représentations de phallus, sont fréquemment exposés à la vue de tous (image 8).
Voyons maintenant quelques définitions actuelles de la pornographie, et comment la sexualité est perçue dans d’autres cultures et époques.
- La pornographie est la représentation explicite de la sexualité.
- Description de choses obscènes.
- La pornographie est la « représentation complaisante de sujets, de détails obscènes, dans une œuvre artistique, littéraire ou cinématographique ». Au XVIIIe siècle et XIXe siècle, la pornographie désignait plus spécifiquement les études concernant la prostitution.
- Depuis les années 1970 et son assimilation à la production de films X, la pornographie est à la fois portée par le milieu de la contre-culture et décriée par ses opposants comme une industrie du sexe plus intéressée par un intérêt mercantile de nature mafieuse (légalement proche du proxénétisme) que par une quelconque expression de la Révolution sexuelle. Devant le constat d'une importante dissymétrie homme/femme (acteur/consommateur, relation à l'homosexualité,…), un rapprochement de la pornographie et de la prostitution peut s‘établir : non seulement dans les formes de représentation féminine mais aussi dans un mode d'exploitation financier et physique du corps féminin. Ceci permet alors de différencier plus explicitement les domaines du comportement sexuel, de l'érotisme et de la pornographie.
- Dans l’Empire du Soleil levant, le vagin est sanctifié, car c’est un lieu de méditation et de retour aux sources. Y pénétrer, c’est accéder au saint des saints, avec l’espoir d’atteindre l’illumination.
- L'écrivain Alain Robbe-Grillet écrivait, il y a quelques années, "la pornographie, c'est l'érotisme des autres". Cette brève définition donne toute la mesure de la part subjective en jeu lorsqu'on cherche à définir la pornographie.
- Le Petit Robert la définit pour sa part comme la "représentation (par écrits, dessins, peintures, photos) de choses obscènes destinées à être communiquées au public" et rappelle que l'étymologie du mot pornographie renvoie à la prostitution.
Il faut noter ici l’un des arguments contre la pornographie, soutenu par certains mouvements féministes: la pornographie est une exploitation et un rabaissement, une chosification de la femme et de son corps. C’est l’argument de Nicole Kidman, reproduit dans mon récent billet qui a fait un débat vigoureux. Madame Kidman considère que certains de ses films rabaissent la femme, elle considère donc implicitement que ces films ont une connotation pornographique.
Il faut aussi remarquer ici que ce ne serait que la femme qui serait rabaissée - même si les actrices de films X choisissent ce métier librement et sont payées pour, comme dans n’importe quel travail. Rien ne concerne les hommes, qui, eux, ne seraient pas rabaissés ni chosifiés. Curieux biais qui rejoint la notion de 2 poids 2 mesures. A moins que l’on accepte la dissymétrie hommes-femmes en considérant la femme comme la proie, la sexualité masculine étant elle considérée comme agressive, violeuse, mécanique (discours féministe des années 70).
Puisque la pornographie est connotée comme obscène, voyons quels sont les synonymes de l’adjectif obscène ou du mot obscénité: cochonnerie, grossièreté, inconvenance, indécence, monstruosité, stupre, trivialité, vulgarité, cochon, dégoûtant, dégueulasse, graveleux, sale, horreur, immoralité, immoralité. On est là clairement dans une volonté de diaboliser la sexualité quand elle n’est pas conforme aux normes dominantes. D’ailleurs, film X utilise la même lettre que naissance sous X, signifiant inconnu, caché, on ne veut rien savoir. La lettre X, éloge de l’hypocrisie.
Un auteur (Ruwen Ogien, «Penser la pornographie», PUF) suggère audacieusement un lien de classes entre érotisme et pornographie:
«La consommation « aristocratique » de textes et d'images sexuelles n'aurait jamais fait l'objet d'une répression systématisée… Par ailleurs, dès que le peuple consomme les représentations sexuelles explicites autrefois réservées à une élite, ces représentations deviennent vulgaires, dépourvues de valeurs morales et esthétiques.»
Ainsi l’érotisme avec ses alibis artistiques, culturels et intellectuels, serait la version «bonne» des représentations de la sexualité, mais surtout celle des élites et des dominants. La pornographie serait la version «mauvaise, sale, obscène» de ces représentations, celle sans alibi, sans esthétique, celle du peuple, ce peuple qui a l’audace de vouloir jouir lui aussi. La lutte des classes dans la sexualité… Il est vrai qu’ «Emmanuelle», «Histoire d’O», «Eyes wide shut» se passent dans des classes aisées voire riches. C’est pas du Coluche! Chez les uns on suggère et on cache les organes sexuels, chez les autres on montre ce que les premiers cachent. Chez les uns ont ajoute une histoire, chez les autres on y va directement.
On voit donc que la distinction entre art, érotisme et pornographie est très subjective. Elle représente le fond moraliste occidental à l’égard de la sexualité, un résidu du puritanisme du 19e siècle, qui la considère comme honteuse. Siècle où les couples se lavaient habillés pour ne pas dévoiler leur nudité l’un à l’autre… Or, avec ou sans représentation de l’acte sexuel, une certaine nudité et l’intimité sont déjà des représentations à connotation sexuelle.
De nombreux auteurs français parmi les grands écrivains ont commis des textes qui, mis en films, seraient classés dans le hard. Ces textes illustrent bien le fait que ce qui était considéré comme divertissant par l'élite à une époque, a glissé vers le sale et l'obscène dès que cela s'est démocratisé. Démonstration que l’érotisme et la pornographie sont bien difficiles à distinguer. En voici quelques extraits.
Apollinaire:
Con large comme un estuaire
Où meurt mon amoureux reflux
Tu as la saveur poissonnière
L'odeur de la bite et du cul
La fraîche odeur trouduculière
Femme ô vagin inépuisable
Dont le souvenir fait bander
Tes nichons distribuent la manne
Tes cuisses quelle volupté
Même tes menstrues sanglantes
Sont une liqueur violente
D’Apollinaire encore les «Confessions d’un jeune Don Juan»:
Le Paysan. – J'ai fourré ma saucisse dans sa fente jusqu'aux couilles qui n'ont pas pu y entrer. Dès que je fus dedans, Rosalie a commencé à remuer son ventre en avant et en arrière et m'a crié : « Prends-moi sous le cul, cochon ! Mets-y les mains et remue-toi comme moi. » Alors nous avons remué tous les deux, si bien que j'ai commencé à avoir chaud, et que la Rosalie s'est tellement trémoussée que, sauf votre respect, elle a déchargé cinq ou six fois. Alors, j'ai déchargé une fois, sauf respect. Alors la Rosalie s'est mise à crier :
« Cochon, serre-moi fort, ça vient, ça vient, ! » et c'est venu aussi une nouvelle fois pour moi.
Et il y a encore plus brûlant après.
Boris Vian - La Messe en Jean Mineur
AMIS je veux éjaculer
Tout le vieux foutre accumulé
Dans la boutique de mes couilles
Je sens se roidir mon andouille
Il n'est plus temps de reculer
Mâle, femelle, âne ou citrouille
Ce soir je vais tout enculer
Louise Labbé, sur la passion presque sexuelle du baiser:
Baise m'encor, rebaise moy et baise :
Donne m'en un de tes plus savoureux,
Donne m'en un de tes plus amoureux :
Je t'en rendray quatre plus chaud que braise.
De Georges Bataille:
Je mets mon vit contre ta joue
le bout frôle ton oreille
lèche mes bourses lentement
ta langue est douce comme l'eau
Le début de la lettre de Georges Sand à Musset (lire une ligne sur 2)
Je suis très émue de vous dire que j'ai
bien compris l'autre soir que vous aviez
toujours une envie folle de me faire
danser. Je garde le souvenir de votre
baiser et je voudrais bien que ce soit
là une preuve que je puisse être aimée
par vous. Je suis prête à vous montrer mon
affection toute désintéressée et sans cal-
cul, et si vous voulez me voir aussi
De Victor Hugo:
Son con est sans secret, sa vulve est sans mystère,
Mais j'ai pris cette nuit, en un moment son cul.
Elle était endormie, aussi j'ai dû me taire,
Celle à qui je l'ai fait n'en a jamais rien su.
Hélas ! j'aurai piné près d'elle inaperçu,
Sans me l'asticoter et pourtant solitaire ;
J'aurais planté mon bout dans cette jeune terre,
Et sans rien demander elle aura tout reçu.
Guy de Maupassant:
Elle se renversa, râlant sous ma caresse ;
Sa poitrine oppressée et dure de tendresse
Haletait fortement avec de longs sanglots.
Sa joie était brûlante et ses yeux demi-clos ;
Et nos bouches, et nos sens, nos soupirs se mêlèrent
Puis, dans la nuit tranquille où la campagne dort,
Un cri d'amour monta, si terrible et si fort
Que des oiseaux dans l'ombre effarés s'envolèrent
De Pierre Louÿs
Le clitoris attend les ongles adorés
Et sous l’ombre des doigts qui zèbre la chair mate
S’ouvre la rose blonde entre les poils dorés.
Il y en aurait beaucoup d’autres. Je termine ici par une note d’humour, en citant Eugène Ionesco:
"Prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux !
PS: Ce qui est obscène en Libye, c’est la rétention et la mise au secret des otages suisses, pour lesquels on n’a plus de nouvelles depuis 6 semaines...
Commentaires
Ce qu'il y a d'amusant, avec l'homme prétendu libre, c'est qu'il ressasse, ad nauseam, tout et son contraire. Après avoir qualifié Nicole Kidman "d'actrice prono", voici qu'il nous livre ses pensées - pas très profondes en comparaison des pénétrations décrites - sur la question.
Au fond, et comme la pornographie, la vraie, tout cela est très ennuyeux. Mais cela alimente les petites obsessions de l'auteur...
Certaines oeuvres d'art sont un appel d'air pour les sens, bien au-delà des règles habituelles de la bienséance et des grands débats sociétaux.
Il faut par conséquent se laisser aller à les admirer ou à les ignorer, sans se prendre la tête ni analyser systématiquement ce qu'elles pourraient avoir de répréhensible, d'ambigu ou de sexiste.
Comme le disait si bien Simone de Beauvoir, dont les engagements dans la vie et dans son oeuvre étaient pourtant multiples et bien réels : " Il faut savoir se promener au bord de la mer sans toujours penser au prix du poisson ..."
- La définition n'est pas le fort de notre époque. Qu'est-ce que l'art, par exemple? Silence radio. Dès lors, définir les limites entre des choses plus ou moins semblables, ou qui se recoupent partiellement, est impossible de nos jours. On ne croit pas à l'utilité des définitions. Etre seul à aimer les définitions ne sert à rien si personne d'autre n'accorde d'importance au sens des mots.
- Il est certes amusant de voir que de grands auteurs ont écrit des choses que l'on qualifie de "légères", mais ce n'est pas parce que Boris Vian a écrit l'Ecume des Jours que ses poèmes pornographiques cesseraient d'être pornographiques. D'ailleurs, les écrits pornographiques de Vian sont publiés sous le titre "Ecrits pornographiques", et non pas sous le titre "Ecrits d'un artiste".
- Je ne pense pas que la distinction entre art, érotisme et pornographie soit "subjective". Non. Elle est certes fluctuante au gré des représentations changeantes d'une société à l'autre, mais elle ne peut pas être subjective car elle est, par nature, éminemment sociale.
- Le revirement, le serrage de vis que la société occidentale connaît en matière de moeurs devrait nous conduire à nous demander pourquoi la sexualité est perçue comme problématique. La Genèse dit d'Adam qui vient de commettre le péché originel: "Il vit qu'il était nu." Il est intéressant de voir que notre époque, libérée de toute contrainte religieuse, n'en a pas pour autant guéri ses problèmes et ses complexes en matière de sexualité. Anthropologiquement, la nudité et la sexualité ne sont pas des sujets comme les autres. On a essayé de croire que tel n'était pas le cas, mais encore une fois, comme pour toutes les autres illusions modernes, nous retournons à la case "départ".
Perso, la pornographie ne me pose aucun problème, tant qu'elle est vécue entre adultes consentants. De là à y trouver une forme artistique...non ou alors ce serait pour déculpabiliser ses goûts pour certaines pratiques parfois "olé olé" qui ne regarde que soit...et dans l'intimité svp
l'érotisme...oui là je pense qu'une forme artistique existe indéniablement.
Mais bon, qu'inporte le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse comme disait l'autre
@ vali:
Qu'importe le flacon... bonne vivante, vali! Les jugements de valeurs sociaux ne devraient pas s'immiscer dans la vie privée des gens, en effet. Mais remarquez-vous comme, dès que l'on cite le mot pornographie, bien des gens froncent les sourcils ou ont des expressions et des mots désapprobateurs? Alors qu'il s'agit simplement de sexualité entre adultes consentants, comme vous le dites. Et qui parfois n'a même rien de si spécial. Ou alors, il faudrait dire ouvertement que seule la position du missionnaire, dans un lit et dans le noir, est moralement acceptable!...
(-_o)
La pornographie fait partie intégrante de l'être humain et ceux qui crient à l'immoralité n'ont pas tout compris et sont à plaindre.
l'immoralité, je ne sais d'ailleurs pas ce que cela signifie, avoir une ligne de conduite avec ses propres valeurs bien sûr est nécessaire mais ensuite, j'avoue ne pas être une farouche partisane de la moralité (sauf sujets sensibles déjà débattus sur ce blog)
La position du missionnaire....rires mais oui aussi! bien pour ma part je ne m'étalerai plus pas sur le sujet mais vive l'amour, l'échange, l'abandon (mot que je vénère) et la sensualité
La seule définition actuellement valable pour "pornographie", c'est la suivante:
L'érotisme des autres.
... Et cochon qui s'en dédit!
La nuance entre érotisme et pornographie ne tient qu'à quelques degrés.