Reprise et développement de mon texte sur le paraître mis en ligne sur le dernier blog collectif. J'y reviens parce qu'il y a à mon avis une erreur communément pratiquée: celle d'opposer l'être et le paraître.
Je ne suis pas certain qu’il faille opposer l’être et le paraître. Je suis même certain du contraire. Dans la pensée courante cette opposition sert à classifier le vrai du faux, l’authentique de la tromperie. Le problème est que cette opposition sert généralement à porter des jugement de valeurs, à diviser et opposer les humains les uns aux autres. Il y aurait les «vrais», ceux qui sont dans l'être et ne friment pas, et les «faux», ceux qui sont superficiels et dans le paraître. Or, opposer l’être et le paraître c’est comme mettre sur le même plan la feuille de papier et le texte écrit dessus, alors que l’une ne sert qu’à exprimer le second.
L’étymologie du mot être, du latin au sanscrit, signifie: «Subsister par soi-même, demeurer, croître». Il s’agit de ce qui a une certaine durée et permanence. Par exemple certains traits de caractère que l’on retrouve de la petite enfance à la mort.
Paraître est davantage lié aux circonstances, changeant, impermanent. S’habiller en costume cravate pour aller à une réception ministérielle c’est un paraître adapté à la cérémonie. Mais aller à la plage et plonger dans l’eau en costume cravate n’est pas adapté. Le paraître est donc changeant.
L’habillement et le maquillage sont des instruments typiques du paraître. Tout vêtement porté, quel qu’il soit, envoie un message vers les autres. Les sociétés dites primitives ont très tôt compris l’importance de l’apparat. Celui-ci a plusieurs fonctions: distinguer des places dans la société; se donner du courage en temps de guerre; exprimer au-dehors un «être-en-dedans» plus grand que soi.
Il n’y a donc, au fond, guère de différence entre les amérindiens arborant des coiffes de plumes et des peintures, les femmes du mondes maquillées et couvertes de bijoux, les punk portant au cou chaînes et cadenas en guise de décoration d’apparat, les ados en Nike, le pape coiffé de la tiare et recouvert d’habits dorés. Nous sommes en représentation et nous l’exprimons par des signes extérieurs. Un moine en robe safran est aussi en représentation, il décline une identité et une appartenance. Dans le paraître, nous paraissons - ou apparaissons - au monde, aux autres, nous nous positionnons, nous venons à la vue des autres, nous nous exposons. Le paraître est une manière d’être.
L’être ne serait rien sans le paraître: il a besoin du paraître pour manifester son existence. Il se définit par des attributs: «Je suis grand», ou bien: «Je suis fort», «Je suis intelligent, riche, je suis le chef, je suis artiste, etc». Il y a toujours un qualificatif, un attribut à l’être. Dire simplement «Je suis», ça va en poésie et en philosophie, mais on ne sait même pas ce que cela recouvre.
Le paraître est souvent souligné par des signes extérieurs. Il commence là: le look, le style, les signes d’une appartenance. C’est d’ailleurs intéressant, car paraître est aussi parfois endosser d’autres habits que ceux que l’on porte d’habitude, et par cela devenir autre, grandir dans le champs des représentations de soi. Un timide qui porte des habits de guerrier peut devenir intrépide. Il y a là une forme de thérapie possible.
Le paraître peut aussi devenir un enfermement quand il se rigidifie et perd sa nature changeante et adaptée. Vouloir paraître le meilleur en toute chose est épuisant pour qui qui s’y essaie. Le paraître est aussi parfois trompeur quand le message dit autre chose que la réalité de l’être: un bandit peut s’habiller en moine pour mettre en confiance des personnes qu’ensuite il volera. Il peut aussi diviser le corps social: le paraître de la richesse distingue bien le riche du pauvre, le possédant du possédé. Mais le paraître n’est pas lui-même en cause: c’est ce qu’en font les humains qui l’est.
Le paraître répond aux mêmes fonctions sociales dans nos sociétés que chez les amérindiens: un «être-plus-que-soi-même». Mais alors pourquoi, quand nous admirons les plumes de Sitting Bull, pouvons-nous être si critiques et jugeants envers la Rolex de Sarkozy? Les deux sont des chefs de nations, les deux portent une vision, les deux défendent leurs prérogatives. Sitting Bull n’a pas pu sauver les indiens, et l’on n’est pas sûrs que Sarkozy sauvera l’économie française. Irrationnel, émotionnels sommes-nous, dirait Yoda de Star Wars. Ou bien jaloux? On pourrait penser que Sarkozy n’a pas agi de manière adaptée en arborant une Rolex quand des millions de français touchent moins de 1’000 euros. Mais Sitting Bull en habit de guerre était-il adapté, alors que la nation indienne était à l’agonie?
Ainsi loin d’opposer l’être (ce qui est permanent) au paraître (ce qui est changeant), je dirais que le paraître est un des moyens qu’a l’être pour se montrer, il est un outil, mieux: un prolongement de l’être.
L’être ne serait rien sans le paraître. Croire qu’ils sont opposés c’est mettre au même niveau deux éléments qui n’ont pas à être mélangés, encore moins opposés l’un à l’autre. On met une antinomie binaire là où il n’y a que représentation dynamique de l’individu.
Paraître, c’est une manière d’être.
PS: Voir le Blog collectif ici.
PS: Max Göldi paraît loin de nous, dans sa cellule de prisonnier politique en Libye. Mais chaque jour des pensées s'envolent vers lui et sa famille.