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La tache

Elle ressemble à une pièce de 5 francs. Un petit courant d’air, presque rien, un souffle, une haleine. Elle est rouge comme elle serait grise sur un papier vieilli. Elle est fraîche.

tache sang.jpg1..jpgTu penses à l’herbe et aux oiseaux, les oiseaux blancs, si blancs, si beaux, comme des chevaux sauvages qui traversent le Rio Grande, bien en amont d’Albuquerque. Vers là où sa couleur est rouge, rouge comme toi autour de cette tache qui grandit.

Il y eut ces chevauchées d’Eldorado. Ah, brûler d’un rêve sans mesure, la tête au vent, le corps ailleurs. Les images incertaines tanguent tandis que l’attente entre dans ta peau. Rapidement. Trop rapidement.

Tu leur dis: Ne prenez rien de moi. Je ne suis plus de vous. Je pars de vous et de là, ah, partir, oui, partir, courir, grandir encore de cette si longue enfance. Je ne vous donne plus ma parole, mes mots se dépeuplent, carcasses enfin vides errantes comme fantômes. Je ne suis plus d’ici.

Voilà ce que tu leur dis. Tu n’est plus de nulle part. La tache a grandi comme un journal plié, elle déborde même. C’est le froid qui vient, le froid qui rentre dans ton corps par le pli du journal.

Pourquoi rêver si une bombe peut se trouver sur ton chemin? Pourquoi rêver si rien n’aboutit, qu’à une tache rouge au pli que fait ton ventre?

Le froid est entré comme un serpent et voyage dans tes veines, tes veines de plus en plus plates, macaronis trop cuits. Ah, le froid du sang qui coule, qui coule par le pli de la tache, là où le morceau de métal est entré, entré dans ta peau, sous ta peau, sous tes muscles, jusque là où la grosse veine a été tranchée. Un jet plus grand que toi en est né, comme un volcan d’Islande, et tu oublies bientôt que tu es sur ce trottoir, dans cette ville, ce soir, car tu ne penses plus. Et même tu ne respires plus.

Tu n’entends plus les rires des enfants qui peuplent ta maison. Tu n’as plus de mémoire. Corps sans vie habité d’une tache, tache grande et froide comme un bateau qui coule.

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