Je poursuis ma réflexion sur ce que peut signifier cette maladie et sur le vécu qu’elle induit pour moi. Ayant par ma profession toujours recherché le sens de la maladie et le langage du corps, j’ai ici une belle opportunité d’exploration. Je suis une fois de plus à moi-même mon propre laboratoire.
Sur le plan médical, le suivi montre que les choses semblent bien se passer. Les indices sont bons et rien de désagréable ne se manifeste. La sévère anémie post-opératoire accentuée par une hémorragie digestive en mars est maintenant réglée. Mais je réalise le temps dont le corps a besoin pour se remettre vraiment en route comme avant.
Le décès de Bernard Giraudeau la semaine dernière m’a interpellé. Comme beaucoup de personnes atteintes d’un cancer il a changé des choses dans sa vie. Le cancer est souvent vécu comme l’opportunité d’un changement ou d’un approfondissement. Ce fut aussi mon cas en janvier-février dernier. De nombreux témoignages vont dans ce sens.
Aujourd’hui ma réflexion a évolué. Il y a des rémissions - ou des guérisons - indépendamment du fait que la personne change ou non quelque chose à sa vie. Par la naturopathie j’ai appris l’importance des co-facteurs dans le développement ou non d’une maladie: nutrition, mode de vie, stress, charges émotionnelles. Ces co-facteurs ne sont pas tout puisque bien des personnes vivant dans un stress intense et ne prenant pas garde à leur santé meurent de leur belle mort à un âge avancé. Je ne nie pas l’influence de ces co-facteurs, je constate simplement qu’il y a d’autre facteurs qui jouent. La génétique pourrait en être un.
Dans ma pratique personnelle et professionnelle de la naturopathie je ne suis pas extrémiste. Je ne considère pas qu’il faille à tout prix changer de vie pour aller mieux. Dans certains cas même, un changement produit un déséquilibre préjudiciable à l’homéostasie (auto-équilibrage) du corps.
Par l’enseignement j’ai appris le temps qu’il faut pour digérer et faire siennes de nouvelles informations. Par le coaching j’ai appris qu’aucun conseil ou suggestion n’ont de valeur et de force s’ils ne prennent racine dans la personne elle-même.
Alors que faire? Où est la juste attitude? Que faire du cancer - car même si mon opération a bien réussi, mon terrain l’a laissé venir et rien ne me dit qu’il n’y a pas de cellules malignes ailleurs?
Dans le développement du cancer, l’immunité est mise à mal. Une tumeur peut envoyer des leurres sur lesquels nos défenses naturelles s’épuisent sans toucher la tumeur elle-même. Il y a un problème entre le soi: l’intégrité et l’unité personnelle, la capacité de défense et de ne pas se laisser envahir, de reconnaître l’ennemi, et le non-soi: l’ennemi, l’extérieur, ce qui désorganise notre intégrité et notre unité.
Le cancer c’est l’ennemi qui installe ses lignes sur notre territoire, durablement. Le non-soi prend place dans le soi et s’en nourrit. Cela c’est la vision parasitaire du cancer: un objet extérieur qui devient nous. Face à ce parasite, la réponse serait de réorganiser les défenses et l’intégrité du soi pour que le non-soi n’y trouve plus un terrain favorable. Cette option reste à mon avis valable dans presque tous les cas: stimuler les défenses naturelles, drainer les oxydants, oxygéner et reposer le corps. L’opération est aussi une bonne option dans cette vision. Mais si une tumeur est ôtée sur le plan physique, qu’en est-il sur le plan du terrain, du vécu, de l’émotion?
Toutefois une autre vision me questionne: si le cancer était une tentative d’évolution ou de mutation? Une formidable énergie mal ou pas du tout canalisée? Si, plutôt que de combattre le cancer, il fallait aller avec lui, lui laisser prendre notre main, pour utiliser son énergie à notre avantage plutôt que contre nous? Donc: moins combattre qu’utiliser?
Option théoriquement intéressante. Mais je n’ai aucune certitude sur sa justesse et sa validité. Comment évaluer la bonne attitude? Et dans le deuxième cas, celui d’aller avec l’énergie du cancer, qu’est-ce que cela signifie concrètement? Comment faire? Et utiliser quoi?
Trouver la juste attitude est affaire de ressenti profond. A ce point de vue je n’ai pas de certitude et je suis encore dans l’ambivalence. L’ambivalence, cela me connaît: c’est ne pas exclure une possibilité tant que l’autre ne s’est pas imposée avec certitude. Par exemple, faut-il comprendre ou gronder un enfant qui a fait une bêtise? Je n’ai jamais eu de réponse immédiate à cela. Il me faut du temps pour apprécier la situation. Quand il y a deux termes opposés, j’ai besoin de digérer les deux pour qu’émerge une attitude qui n’est plus contradictoire. La résolution des contradiction est pour moi plus souvent dans la digestion des deux termes et leur synthèse que dans le choix de l’un contre l’autre. De ce point de vue, je chemine dans la complexité, je suis dans le ET/ET plus que dans le OU/OU.
Trouver la juste attitude est aussi affaire d’expérimentation. A un moment donné, si je n’ai pas tous les éléments pour choisir avec certitude, je dois prendre le risque de faire l’expérience qui me donnera la réponse. Je dis qu’il y a un risque parce que je peux me tromper. Mais cela je l’assume. Que je me trompe ou non cela fait partie de mon expérience et du bagage que je transmets à mes proches. Je me perçois comme un petit cailloux dans une grande rivière. Où que j’arrive j’aurai fait ma part du chemin.
Ma recherche actuelle est donc cette réflexion et ce ressenti sur la juste attitude, sur comment l’identifier, et sur sa mise en pratique intérieure. Je ne sais si je la trouverai, ni au cas où je la trouve si cela aura une incidence sur la maladie ou sur tout aspect de ma vie. Pour parvenir à la trouver mon sentiment est que j’ai avantage à m’exprimer beaucoup, dans de nombreux domaines, à être très personnel dans ma façon d’être au monde, à ne laisser place à aucune mauvaiseté si possible. Faire les deuils et les réparations nécessaires. Accepter d’aller dans des transformations - personnelles ou professionnelles - sans savoir où je vais. Faire confiance. Il y a encore du travail et du nettoyage à faire…
Et des taches de vins bleus et de vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin
(Rimbaud, Le bateau ivre)
Mais l’entropie et le désordre créatif provoqué par le cancer, ainsi que l’impossibilité de retrouver l’état initial, n’offrent que la possibilité d’accepter une large part d’inconnu, alors qu’une stricte naturopathie ne viserait qu’à rétablir les condition initiales d’avant la maladie. Ce qui ne serait qu’attitude figée, peur et refus de l’inconnu.
Je sais depuis toujours que, plus haut que la nature et ses lois, il y a la liberté.
Ce sont les pistes dont je dispose actuellement et sur lesquelles je fixe ma boussole intérieure.
Commentaires
Vous avez les pistes et la boussole pour vous orienter (c’est pas mal, peu de gens en ont conscience ;o) )
Le plus difficile est de faire confiance aux signes qui jalonneront votre chemin.
Faire confiance et pouvoir se ressourcer sans peurs auprès des autres … ce ne peut-être que bénéfique.
A tous point de vue ;o)
Bien à vous
(☼_☼)
Yo Loredana, merci.
Vais être attentif.
Merci pour ce beau témoignage Hommelibre !
Bien à vous
J'apprécie beaucoup la profondeur de votre réflexion.
Je verrais une hiérarchie parmi les facteurs induisant le cancer : certains conflits en entraînent d'autres, un peu comme d'autres mensonges viennent couvrir un premier mensonge. On peut comparer l'ensemble des facteurs comme un arbre généalogique et il vaut la peine de chercher à atteindre l'ancêtre, ce qui permet d'inclure tous les descendants. Cela est important dans la mesure où le temps pour sortir de l'aiguillage cancérigène est limité.
Le problème avec les médecines alternatives est qu'il y a tant de choix que le patient n'a pas le temps d'expérimenter toutes les méthodes. De plus, souvent il choisit les méthodes qui le séduisent mais qui ne sont pas forcément les plus fondamentales.
Je vous souhaite beaucoup de succès dans l'approfondissement de votre recherche.
Merci de votre réflexion. Je l'ai lue plusieurs fois et elle m'ouvre des horizons nouveaux, ou plutôt, c'est la profondeur du Moi qu'elle touche, à partir de notre corps, beau, vulnérable, fort aussi.
Avancer "sans savoir où je vais", j'y pense souvent, mais une chose est sûre, "plus haut que la nature et ses lois, il y a la Liberté"
claire-marie jeannotat
@ Marie-France: merci pour vos indications. L'image que vous proposez me convient bien et je vais explorer cette direction.
@ Claire-Marie: merci pour votre regard. Je partage cela pour ne pas donner à cette maladie la force du silence ou du caché. Aussi pour les personnes qui en souffrent et aimeraient mettre des mors. Ceux-ci sont les miens, mais ils peuvent peut-être donner une piste.
@ Loredana: J'ai aussi reçu un commentaire hors-ligne d'une personne qui me connaît de longue date, qui est aussi thérapeute, et qui m'a suggéré un complément utile à ma propre réflexion. Je vais explorer et tester ce qu'il me propose et j'en parlerai une autre fois, quand j'aurai avancé avec cela.
On peut comparer l'ensemble des facteurs comme un arbre généalogique et il vaut la peine de chercher à atteindre l'ancêtre, ce qui permet d'inclure tous les descendants.
Merci pour ce que vous êtes, merci pour cette reflexion qui s'applique à tous, en fait. Elle est belle, optimiste, profonde et, surtout, nous restitue ce que vous avez su conquérir, nous guide et nous incite à réfléchir nous-même sur la qualité de notre vie et les changements nécessaires pour comprendre notre corps, élever notre âme et gagner la sérénité avant le grand voyage.
Bonjour Kate,
Merci pour ce mot. J'espère que cela donne du courage à d'autres personnes, et donne l'envie de faire face Je continuerai périodiquement à en parler.
Vous me faites de beaux compliments, mais vous savez j'ai aussi ma tronche parfois, et je ne suis pas toujours serein. Mais j'avance pas à pas.
Bien à vous.
je souhaite la guérison pour tout les gens qui soufre du cancer
Cher Homme libre,
Merci de votre réponse.
Heureusement que vous avez votre tronche et j'espère parfois des coups de gueule, des révoltes car c'est cela qui nous conduit à la sérénité. Si la vie était un long fleuve tranquille, nous n'évoluerions pas, n'est-ce pas? Et vous vivez en un temps beaucoup plus rapide que d'autres les questions essentielles de notre existence, vous allez justement directement à l'essentiel. au coeur de tout ce qui fait notre vie (et notre âme).
Et ainsi, vous nous aidez, ceux qui sont malades et ceux qui ne le sont pas actuellement, comme une petite lumière sur le parcours que nous sommes, chacun, seuls à affronter.
Ce sont ceux qui souffrent qui nous font changer : je suis pour l'instant bien portante mais un petit enfant proche est condamné à mourir prochainement (maladie génétique) avec de grandes souffrances, c'est une douleur et un chagrin et c'est cela qui nous amène à jeter le superflu de notre vie et à essayer d'être attentifs et solidaires aux autres.
Merci de ce que vous êtes.
Bonjour Kate,
Ce que vous écrivez me touche beaucoup, et je vous en remercie. Si par ce que j'écris je peux avoir quelque utilité pour d'autres, alors ma vie a un peu plus de sens qu'une simple survie animale.
Je suis aussi touché par le proche dont vous parlez. Un enfant, c'est plus dur à accepter. Alors de tout coeur avec vous et ceux qui sont concernés.
Merci pour vos paroles précieuses.
J'ai oublié de vous dire, Kate: je veux faire quelque chose de constructif des expériences difficiles de ces dernières années. En plus d'écrire et de composer - c'est-à-dire d'exprimer et de mettre en mouvement. Je vais introduire cela dans mon travail:
http://www.soinsnaturels.ch/Site/resilience.html
Bien à vous.