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Delphine, Romane & Elsa (partie 29)

Episode précédent: voir ici.

desert-sunset.jpgMa question laisse place au silence. Un long silence. Elsa ferme les yeux. Je n’insiste pas. Lui laisser son temps. Négocier les virages de cette petite route. Négocier le silence. Lui accorder tout ce qu’elle veut. Mais ne rien laisser sans réponse. Tourner, encore tourner. «Fais le tour, disait le Courbe». «Non, va tout droit, disait le Raide». Il n’y a pas de chemin tout droit. Pas ici. Pas maintenant. Le sujet est circonflexe. Il monte et descend. Sa respiration le dit: calme, puis tendue. Agitation. Apnée. Calme à nouveau. Le corps décrit le voyage de son esprit. Epaules en bas. Tension, épaules en haut. Relâche,épaules en bas. Sourire. Lèvre hésitante. Paroles.

- Aimer le chocolat?

Elsa sourit. Je vais dans son sens.

- Oui, le chocolat.

- Ou un lever de soleil?

- Oui: un lever de soleil.

- Un lever de soleil sur le désert. D’abord il n’y a rien. Rien que les étoiles. Et du sable. Je ne le vois pas, je le sens sous mes pieds. Le sol est inégal, en mouvement. Il crisse à chaque pas, je marche vers la première lueur, là où les étoiles pâlissent. Je marche dans un oued asséché. Ni dune proche ni montagne au loin. C’est le sud marocain. Le sud de Zagora, la vallée du Draa. En été la nuit reste chaude. La lumière monte vite. Il fait déjà clair. C’est un très beau lever de soleil. La chaleur monte comme un vent. Je marche et transpire déjà. Un mouvement dans le sable, une morsure au talon. Je pense avoir touché un petit épineux. C’est un serpent du désert. Je suis déjà loin de la palmeraie. Trop loin pour retourner. Bouger est dangereux. Je m'assied. Je frictionne la plaie avec mon essence de lavande. Les bergers provençaux l’utilisent contre les scorpions et les vipères.  J’attends. Mon pied enfle. La chaleur monte, ma chaleur monte aussi, je sens la fièvre. Assez vite je vois flou. Puis très lumineux, puis sombre, et je ferme les yeux. Une force inconnue prend possession de mon corps. Je suis mal. Très mal. Des spasmes, de la sueur, le souffle court: je me sens mourir. C’est étrange. Un grand calme. Je suis comme dans un rêve. Je pars sur une route, comme une route d’été, sans possibilité de faire demi-tour.

Elsa se tait. Le moteur ronronne. L’air du soir, chargé de chaleur et de parfums sauvages, tourne dans la voiture, de fenêtre en fenêtre. Sa respiration s'apaise.

- Je me suis réveillée dans une pièce sombre. Une voix de femme a glissé dans mon oreille. J’ai ouvert les yeux. Je l’ai vue, penchée sur moi, elle posait un chiffon humide et frais sur mon front, mes joues, mon cou. J’avais mal partout. J’étais couchée sur un matelas. La femme a appelé. Un homme est venu, habillé d’une blouse blanche sur son jean.

- Alors, madame, on se réveille? Vous nous avez fait peur.

- Où suis-je?
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- Au dispensaire de la palmeraie. Je suis le docteur Meksha.

- Je suis là... depuis quand?

- Deux jours. Depuis deux jours, et on ne pouvait pas dire de quel côté vous alliez tomber. Votre corps s’est battu, battu, par moment il relâchait. J’avais très peur pour vous.

- Comment suis-je venue ici?

- Demandez-le à Aïcha, dit-il en tendant la main vers la femme.

- Aïcha?

- Ne vous fatiguez pas, Madame, reposez-vous.

- Non dites-moi.

C’est ainsi qu’Elsa avait connu Aïcha.

- Elle habitait en France. Elle était revenue pour ses vacances. Elle savait que j’étais partie dormir dans le désert. Je devais rentrer après le lever du soleil. J’avais laissé mes affaires à l’hôtel. Elle y est passé le matin, on lui a demandé si l’on m’avait vue.

Aïcha s’était inquiétée. On ne laisse pas dans le désert quelqu’un qui ne donne pas de nouvelles. C’est la survie: on doit se protéger mutuellement.

- J’ai eu un pressentiment. J’ai demandé à mon frère de me conduire. Il a une vieille jeep. On vous a trouvée et ramenée ici.

- Alors... je vous dois la vie?

- Ce que j’ai fait est normal. N’importe qui aurait agi pareil. Vous aussi à ma place. Dès que vous pourrez vous lever je vous invite dans ma famille.

Le soir même Elsa s’installait dans la chambre d’Aïcha. Elle resta une semaine dans cette famille, et cela devint sa deuxième maison tant la générosité dans laquelle elle fut accueillie était grande.

- Aïcha est maintenant une amie très proche. Pour ce qu’elle a fait je l’aime. Je l’aime pour toujours. Quoi qu’elle fasse elle restera mon amie. Voilà, Paul, ce que c’est d’aimer pour moi.

Une autre question me brûle. Mais rien ne presse. Nous approchons de Saint-Michel.


A suivre.


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Image 1: Vladimir Bellon

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