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Delphine, Romane & Elsa (partie 40)

Episode précédent: voir ici.

porte6-32-jpg.jpgJe fais un rêve étrange. Je suis dans une maison avec un couloir. Au bout du couloir il y a deux portes. Une à droite, une à gauche. A droite c’est mon appartement. Tout petit. A gauche, celui d’une femme treize aimée dont je suis séparé. Il y a un colis devant ma porte et un mot écrit à la main. Je reconnais son écriture. C’est une liste d’objets contenus dans le colis. Des objets à moi qu’elle avait encore chez elle, et qu’elle me rend. Sur la liste: des sandales, un tube au néon, du bric-à-brac en vrac. Elle complète la liste avec un allume-bougie à gaz qu’elle n’a pas retrouvé. Il est à elle. Elle ne me demande pas si je l’ai pris. Elle constate, pose des mots sans conclusion. Je la connais. Elle ne demandera pas. Elle ne demandera rien. Elle ne demande jamais. Elle me laisse avec cette liste inachevée et ce colis emballé dans un papier foncé. Tant de paradoxes avec elle. Finir sans avoir abouti. Commencer sans commencement par une irruption amoureuse. Simple sincérité et mensonge calculateur. Je ne choisis pas, je ne tranche pas dans les paradoxes. Une face ne peut plus aller sans l’autre, je dois attendre le jour où la pierre tombera en sable. Tout est possible en rêve. Il reste l’allume-bougie. Je pourrais en chercher un, lui offrir pour rétablir une communication perdue. Il suffit parfois de si peu pour que l’eau rejaillisse de la source. Mais il n’y a pas de magasin dans ce couloir. A ce moment j’entends Elsa. C’est un chant, une danse. Elle entre dans mon appartement comme chez elle. Ne voit pas le colis que je pose dans un coin. Cette femme Elsa, qui éclaire mon intérieur, comment pourrais-je lui expliquer que je n’ai pas réglé une affaire d’allume-bougie? Je ferme ma porte. Dehors, le couloir. De l’autre côté, cette femme treize aimée. Seule. Libre de moi. Dont la solitude, que je cherchais à comprendre, ne s’est jamais vraiment comblée. Cela me déchire. Elsa qui danse dans la lumière, et elle qui médite dans la solitude. Il faudra que quelque chose meure. Le sol tremble. Je me réveille soudain. Un gendarme me secoue.

- Ohé, vous m’entendez? Ohé!

- Que se passe-t-il?

- Vous m’avez fait peur. J’essaie de vous faire lever depuis quinze minutes. Venez, vous êtes attendu.

Il me conduit dans le même bureau qu’avant. Il y a un troisième personnage: le Procureur d’Avignon. Visage dur, regard inquisiteur. Je recommence à raconter mon histoire. Tous insistent désagréablement sur les éventuelles complicités. Ils en savent beaucoup. Je ne dis rien.

- Et ce Monsieur Maurice, Maurice comment? On l’a vu dans Banon. Il complotait avec d’autres. On sait qu’il a passé des coups de téléphone de Forcalquier à Sault.

- Vous auriez pu chercher Lone! Non: vous surveillez Maurice.

- Ne faites pas le malin. La police a cherché dans toutes les directions. Et le comportement de ce monsieur est apparu suspect. Alors, dites-nous tout, cela vous soulagera.

- Je n’ai rien à dire. Vous savez ce que je sais.

- Et ce corps, où-est-il? On ne l’a pas encore trouvé. Ce n’est pas normal. Que cachez-vous, Monsieur Paul?

- Je ne comprends pas votre insistance. Je suis venu me livrer. Que voulez-vous?

De l’autre côté de la fenêtre il y a un espace, et tout de suite après, la rue, derrière une grille. Le portail est ouvert. Je vois la foule dense. Ils regardent l’entrée. Gattefossé et les autres sont en première ligne. Ils m’aperçoivent derrière le carreau.

- Paul! Paul!

- Libérez Monsieur Paul!

- Paul dehors! Paul dehors!
foule_1998.jpg
La tension dans la rue est forte. Quelques mouvements collectifs donnent le sentiment d’un bateau qui tangue. Le téléphone du chef de poste sonne.

- Oui... Oui. Où cela? Ah... Comment? Attendez, je vous passe le sous-préfet.

- Oui? Bonjour appointé. Ici le sous-préfet. Alors?... Où?... Bon. Comment?... Bien. Balisez le terrain, prenez des photos, relevez les indices. Oui. Un véhicule va arriver... Oui, au CH. Merci. Au revoir.

Les trois hommes quittent la pièce. Je vais à la fenêtre, je l’ouvre.

- Paul!

C’est Elsa! Mon coeur tressaille. Elle passe par le portail, vient à la fenêtre. Nous échangeons des baisers. Son visage est si clair alors que les nuages sont de plus en plus foncés.

- Paul, Paul! Comment cela se passe?

- Je ne comprends rien. Ils ont reçu un drôle de coup de téléphone et m’ont laissé seul.

- Oh Paul, mon Paul! Regarde tous ces gens qui sont là pour te soutenir. Comment vas-tu?

- J’ai dormi un peu. J’attends. Ils n’ont pas retrouvé le corps de Lone.

- Comment? Quelqu’un l’a changé de place?

- Je n’en sais rien.

Les trois hommes reviennent.

- Fermez cette fenêtre! m’ordonne le Procureur. Allons, dépêchez-vous!

Il vient vers moi et m’arrache brutalement à Elsa. La foule gronde.

- Libérez Paul! crie-t-on de partout.

Le procureur fait un geste pour chasser l’attroupement. Mais personne ne bouge. Des invectives sont jetées vers lui. Il ferme la fenêtre. A ce moment une pierre frappe et brise un carreau. Puis une deuxième, un autre carreau. Les trois hommes reculent. Le chef appelle des renforts qu’il envoie à l’extérieur.

- Empêchez-les d’entrer!

Nous changeons de bureau. Le Procureur transpire. Lui et ses menaces ont laissé place à un masque apeuré. Il parle à voix basse au sous-préfet puis vient vers moi.

- Alors Monsieur Paul, j’ai une bien étrange nouvelle à vous annoncer. On a retrouvé Lone.

- Quoi? Où était-il?

- Plus loin, dans le sous-bois, sous des taillis. Et j’ai une autre nouvelle: il n’est pas mort. On l’a trouvé en coma profond. Une ambulance le transporte au CH.

- Au CH?

- Au Centre Hospitalier.

Je ne comprends pas.

- J’avais tâté sa gorge, je ne sentais plus son pouls. Il ne respirait plus.

- C’est à la médecine d’expliquer. Le gendarme qui l’a trouvé est secouriste. D’après lui il a pu être comme mort. Avec des veines profondes et une tension artérielle très basse on peut ne rien sentir. Ensuite il aura repris un peu conscience, juste assez pour bouger, et est retombé dans le coma.

Un silence passe entre nous, presque palpable. Dehors, des cris et une colère. Dedans la chaleur et une lumière crépusculaire en ce début d’après-midi. Le chef a allumé une lampe.

- Bon, Monsieur Paul. Lone n’est pas mort. Vous n’êtes dès lors plus un meurtrier mais seulement un agresseur, même si votre agression est d’une extrême gravité. Mais au vu des circonstances et des dépositions de vos amies, plus l’impact de votre arrestation sur la ville, nous vous remettons en liberté sous contrôle judiciaire. Nous gardons votre passeport. Vous pouvez aller, vous être libre. On vous appellera lundi matin.

Je ne bouge pas.

- Allons, partez. Allez-y. Vous voulez rester ici?

Lentement je me dirige vers la porte. Il fait sombre, je vois mal. Des carrés noirs et blancs me guident au sol. Quand j’ouvre la porte une gifle de vent claque mon visage. Tous les gens dans la rue poussent une immense clameur, crient mon nom, lèvent les bras. Un petit groupe me prend, me hisse et me porte. Je suis gêné d’une telle ferveur en ma faveur. Je ne suis pas un héros. J’ai fait ce qu’il fallair faire. Rien de plus. Et j’ai mis un homme dans le coma. Quelles qu’en soient les raisons, l’hommage que l’on me rend semble impudique. Un défilé improvisé se met en route. Nous passons par la rue commerçante qui traverse la ville, la petite rue des Marchands, puis la rue Saint-Pierre, revenons par le quai Général Leclerc pour nous arrêter devant les cafés. Apt est une petite ville, le tour en est vite fait. Un embouteillage mémorable se forme aux deux bouts de la ville. On sert à boire, on parle fort, on rit de Colorado-Provencal_pluie23.jpgsoulagement, on chante, on danse sur le macadam. Cette fête improvisée dure, quoi? Une heure. Puis le vent forcit encore et l’on se sépare en promettant de se revoir bientôt. On ira tous à Banon faire la fête.

Elsa est radieuse, heureuse comme le soleil. Cap sur Chaloux. Nous retournons à la voiture, prenons la direction de Rustrel et du plateau. Nous passons le giratoire qui sépare les départementales D30 et D22. A la hauteur du Colorado provençal je me gare et nous montons dans les collines d’ocre. Les derniers visiteurs se replient vers les abris pour échapper au vent. Quand les premières gouttes s’écrasent dans la poussière nous sommes seuls.


A suivre.

(Tous les épisodes ici)

Image 1: Foule, Olivier Suire-Verley

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