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Delphine, Romane & Elsa (partie 41)

Episode précédent: voir ici.

Seulement quelques gouttes, énormes, qui claquent et soulèvent autour une couronne de sable. Le Colorado est une ancienne carrière d’ocre. Des falaises jaunes et blanches, des collines rouges, une plaine beige, et des arbres le long d’un ruisseau forment un paysage décalé dans cette Provence des hauteurs. Le plateau du Vaucluse est plus habitué à voir pousser l’épeautre qu’à se prendre pour un américain. Les plic ploc lourds des grosses gouttes déchirent les feuilles. Elle dessinent au sol des plaques foncées de la largeur d’une paume. Je montre à Elsa des cratères formés dans le sable. Des dizaines de cônes en creux qui indiquent la présence d’une colonie de fourmilions. Une forte odeur de terre, d’herbes et de racine sauvages se répand dans l’air. Le vent a faibli. Le ciel est si sombre que la lumière semble venir du sol. La pluie s’est arrêtée mais au loin, derrière une crête, des traînées grises approchent. Une spirale tourbillonnante soulève la poussière au milieu de la plaine; hésitante, elle s’effiloche, danse, casse, reprend corps, monte, se courbe et s’allonge. Elsa frissonne.

orage_pluie.jpg- Tu as peur?

- Non: j’aime, c’est beau.

Nos corps se rapprochent par à-coups comme s’ils résistaient - mais c’est un jeu, nous le savons, car nous ne voulons plus résister. Nous allons franchir le pas - nous le savons. C’est un vertige. Le contact est comme la foudre. Elsa déboutonne ma chemise, ouvre la boucle de ma ceinture. Je caresse ses épaules. Les bretelles de sa robe glissent, la robe descend, tombe a ses pieds. Bientôt nous sommes nus. Il n’y a plus de résistance. Un feu tendre serpente entre ses seins et mon ventre, et l’eau brûlante qui va de mes lèvres à son cou, c’est déjà presque une fièvre. Ici commence la maladie douce. Ici, dans ces collines dansantes, un pont de chair est bâti.

Je me soude à sa peau. Un double sentiment prend forme. Celui du commando porteur d’une mission: aller au-delà de moi et survoler mes craintes. C’est un sentiment récurrent que l’on trouve chez certains hommes: jamais sûrs d’être à la hauteur. Un juge va évaluer leurs perfomances: sexuelles bien sûr, c’est ce qui fait en partie l’homme, qu’on le veuille ou non: son pénis. Car c’est bien là ce qui le différencie le plus de la femme, là où il ne ressemble qu’à lui-même, où il est le plus homme et mâle, et la femme attend cela de lui. Ce qu’il fait de son pénis est de sa seule compétence. Il va être évalué sur ses performances affectives aussi, sur le plaisir qu’il donnera  à la femme, comment  il saura être fort et doux à la fois. L’enjeu est considérable. D’où vient cette mise en demeure de réussite que des hommes éprouvent au début d’une relation, cette crainte d’être jaugé et de l’échec? La femme est un grand mystère. L’homme ne s’avance jamais en terrain conquis, même avec de l’expérience. Car chaque femme est autre, est unique. Le chemin vers elle est à chaque fois une découverte. A la femme d’aider l’homme sans quoi il est perdu. L’homme ne sait pas tout d’avance. Il est un prince quand la femme l’accueille en prince, quand elle ouvre ses portes au chevalier qui vient de la plaine. L’homme n’est pas dans la sexualité comme la femme. Sa recherche et son plaisir son liés à son anatomie. Il ne sait pas ce que signifie accueillir. Lui, il est celui qui est accueilli. Les psychologies diffèrent tant les positions sont asymétriques. La communion des corps ne s’atteint, quand cela se fait, qu’après la reconnaissance des territoires différents. Cet acte si simple qu’est l’acte sexuel est comme une montagne à gravir. C’est anxiogène pour beaucoup d’hommes. Elsa est devant moi, elle m’ouvre ses portes. Je peux encore reculer.

L’autre sentiment est d’entrer dans la plénitude. L’unité retrouvée. Le lieu en moi où la femme me désire et m’attend, l’abandon enfin. Entre ces deux sentiments, entre la peur et le désir, la division et l’unité, j’oscille. J’avance, je n’avance pas. Je connais bien ce double mouvement: aller et revenir. Mon corps avance, mon ombre recule. Incorrigible fragilité qui m’a fait rencontrer la femme du rêve, elle-même si près et si loin. Les semblables s’attirent. Je n’ai pas eu le temps de guérir cette fragilité: elle est partie quand le port était en vue. Oiseau tiré en plein vol. Ma fragilité a empiré. Rien n’est gagné. Moins que jamais.

Elsa est différente. Je ne lui vois pas ce mouvement de recul. Avec elle j’avance en terre inconnue, sans repères, sans mes oiseaux ricanants pour me rappeler mes doutes. J’avance seul face à cette terre nue du nom d’Elsa. Elsa qui m’a dit: «Paul, mon Paul» avec cet élan sensible dans sa voix. Elsa et son aplomb léger. Etonnant mélange, association inhabituelle: l’aplomb n’est pas léger, normalement. Chez elle il l’est. Nous avons un point commun: le goût du paradoxe et des associations atypiques. Ne ressembler qu’à soi. Inventer nos chemins.

- Et toi, tu as peur?

Sent-elle mes doutes? Ou parle-t-elle de la petite tornade qui nous frôle et coiffe ses cheveux comme des brindilles enchevêtrées?

- Peur de quoi?

- Je ne sais pas.

Elle me regarde et rit! Décontenancé je ris avec elle. Et sans savoir qui fait le premier pas nous dansons une ronde face à face, traçant un cercle d’or et de cuivre dans les couleurs du sable. Nos pieds sont des ailes. La tornade tourne, striée de rouge et d’écru, emporte des feuilles, se rapproche, glisse entre nos regards, s’éloigne encore, longe la falaise et revient sur nous. Nos corps se rapprochent dans le tourbillon, se déplacent avec lui comme des enfants qui jouent. Mais plus rapide il glisse vers l’autre côté de la plaine. Alors nos corps se saisissent, nos lèvres, nos bras, collés nous tournons, et nos corps s’aspirent.
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Un coup de vent tord les arbres. La pluie revient brusquement. La traînée sous le nuage est à la crête et avance à la vitesse d’un cheval, cache la falaise, les gouttes sont une averse, l’averse un flot. Pluie chaude et si dense que des ruisseaux coulent déjà autour de nos pieds. Un coup de tonnerre craque, je saute, Elsa crie.

- Tu as peur?

- Non! Et toi?

- Non!

Peur de rien, la force du désir emporte la peur, emporte mes oiseaux ricanants. La barrière des mots cède. Le désir est comme cette eau puissante, violente, qui tombe du ciel et nous lave, nous lave de tous ces jours, de Lone, de la cellule à la gendarmerie, du feu. L’eau du ciel vient en libération. Nos poitrines gonflent de cris, de chants, de rires, nous nous enroulons et glissons au sol. La violence des éléments se déchaîne et le désir lui répond. Mon corps dit Je te veux! à Elsa, son regard dit: Viens!

Alors, lentement, millimètre par millimètre, sous les trombes d’eau, entouré d’éclairs et de tonnerre, dans la lumière de son regard, attentif à chaque sensation, aux plus petits signes de son corps, au radar de mes désirs et à la plus imperceptible de ses réponses, si lentement que c’est presque immobile avant que de prendre envol, de s’animer, de devenir le vent, la pluie et la tempête - alors j’abolis toute distance. Je passe la porte.

Pendant une heure l’orage tourne et revient. Pendant une heure nous roulons l’un dans l’autre. Pendant une heure nous dansons entre silences et rires, entre cris et murmures, entre dedans et dehors. Pendant une heure nos corps éclatent avec nos coeurs. Plusieurs fois je sens Elsa monter, je la suis, puis je ralentis, déçue elle redescend, mais remonte bientôt, plus haut, s’accompagne de gestes où rien n’est indécent. Nous chevauchons des montagnes russes, passant des creux aux sommets où je m’exalte, et des sommets aux creux qui me font durer et revenir. Enfin, l’eau jaillit, son eau et mon eau ensemble, et nos regards s’ouvrent et nos yeux nous montrent nos ciels.


orage-ciel.jpgAbandonnés, vibrants, chauds et serrés, nous restons sous la pluie qui diminue. Une paix revient. Au fil des minutes les nuages se déchirent. Le bleu se dévoile par touches. Le vent, un peu moins chaud, faiblit. Le temps passe. Quand le soleil caresse la plaine et les collines rouges, quelque chose de neuf est en moi. Je me relève et m’assieds. Elsa me regarde. Elle ne dit rien. Elle commence à rire. A rire de cette tempête, rire d’être là, nus, et sa joie me gagne, je ris aussi, nous rions de plus en plus fort, de tout: de la boue sur nos corps, de nos habits trempés à quelques mètres, du soleil revenu, d’avoir franchi le pas, du bonheur de nos corps. Nous nous levons, prenons nos vêtements et courons nus vers la voiture. Quand nous arrivons à Chaloux nous rions encore. Il est quatre heure. Manu et les autres sont dehors. La pluie a lavé le paysage. La température a baissé de cinq degrés au thermomètre sous la tonnelle. L’humidité monte en vapeur du sol et dans cette atmosphère tropicale nous buvons une grande tasse de café que Bouki a préparé.

- Manu s’inquiétait de ne pas vous voir, dit-elle.

- Il me connaît, il ne doit pas s’inquiéter.

Nos visages sont transfigurés. Bouki le sent et nous adresse un sourire complice. Aïcha et Romane ont aussi compris. Elles ne font aucun commentaire, même pas sur nos visages marqués d’ocre et nos habits sans plus aucune forme et collant à nos corps. Mais on sent bien qu’elles partagent notre joie. Je ne veux pas en rester là. Je dis à Elsa:

- Si nous allions voir la mer?

Le soleil passe dans son regard:

- Oui!


A suivre.

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