Une amie qui me disait hier travailler sur le pardon à l’égard de personnes qui l’ont blessée. Le pardon... Une grande notion véhiculée dans la morale tant laïque que religieuse. Il sert à absoudre une faute, une offense, ou à développer de l‘indulgence pour la personne qui a offensé. Je choisi délibérément le terme «offense» pour ce qu’il a de général.
C’est probablement un des mécanismes les plus importants dans le monde civilisé. Il permet de sortir de la roue de la souffrance, de la culture et de la réalimentation de la souffrance, avec ce que cela comporte de rumination et de vengeance qui font que l’on n’en finit jamais.
On connaît des peuples qui se sont vengés pendant des générations. Il y a toujours un offensant et un offensé - pas toujours le même. L’ancien offensé devient à son tour l’offensant, et ainsi de suite. La vengeance n’est que la perpétuation de l’offense. Elle met l’ancien agressé en posture d’agresseur, et l’ancien agresseur devient alors la victime.
Rituel de pardon
Si l’on ne décide pas de sortir de ce mécanisme de la vengeance on perpétue la souffrance - pour l’autre mais aussi pour soi. Car on n’est jamais libre de l’offense qui nous a été faite. Or c’est bien notre liberté qui se joue là.
Sur le plan théorique c’est relativement clair: pardonner libère et défait les charges émotionnelles négatives que nous emmagasinons. Sur le plan pratique c’est une autre affaire. Pardonner c’est renoncer à perpétuer une charge contre l’offensant. Renoncer à cultiver l’état de victime en soi. Mais surtout c’est se retrouver libre intérieurement de toute charge à l’égard de l’offensant. Sommes-nous prêts à être libres et à lâcher nos adhésions collantes à la souffrance?
Il y a des raisons à désirer être libre de toute charge. A terme une charge est une dépense d’énergie psychique, affective, nerveuse, et pourrait nous rendre malade si elle ne diminue pas. Mais on sait que la décision intellectuelle ne suffit pas à désamorcer les charges.
Dans l’idéal le pardon devrait être un rite fait à deux: l’offensant reconnaît son offense, montre ses regrets et sa contrition, demande le pardon afin d’être lui aussi libre de toute charge. Car l’offensant est lié à celui qu’il offense par la même charge. Si ce rituel peut être accompli, l’offensé est reconnu comme lésé par l’offensant; il entend l’auto-analyse de l’offensant sur les raisons qui l’on poussé à blesser et reçoit une réparation sous forme de mots, ou d’argent quand le préjudice a une incidence matérielle. Il peut commencer à désamorcer la charge. Cela prendra quand-même un certain temps après le rituel.
Rituel sans l’offensant
Pardonner seul sans que l’offensant ne participe au rituel est plus difficile car il n’y a ni reconnaissance sociale de l’offense, ni contrition de l’offensant ni réparation. Le travail solitaire dans ce domaine me paraît moins efficace. Ou alors il faut le faire avec quelqu’un: un proche ou un thérapeute qui soient témoin de notre rituel. Il est important de marquer l’acte du pardon face au monde.
On peut aussi s’aider par un processus moins émotionnel et plus cognitif: comprendre intellectuellement que l’offensant est lui-même dans une souffrance pour avoir eu besoin de blesser, ou qu’il est mal orienté. Mais cela ne suffit pas toujours à vider la charge émotionnelle.
Il y a un moyen de renforcer le rituel sans l’offensant: se pardonner à soi-même les offenses que l’on a faites à d’autres. Soit par l’auto-analyse, soit en allant en parler avec la ou les personnes que l’on a offensées. Il faut donc reconnaître que l’on a nous aussi offensé, blessé, par mal-être, par vengeance, par jalousie, etc.
Habituellement le mécanisme du pardon est véhiculé et enseigné par les religions, et c’est probablement une bonne chose que nous devons leur reconnaître. La justice lors d’un procès peut servir de base à un apaisement à défaut de pardon, par la reconnaissance sociale de l’offense. Mais un procès n’est pas une thérapie. C’est uniquement le temps de la reconnaissance de l’offense et de l’élaboration de la réparation. Pas de la libération de la charge et de la transformation des résidus psychiques.
Pardonner c'est vivre plus pleinement, plus libre.
Pardonner: cela peut prendre des années. Peut-être y a-t-il des personnes à qui nous ne pardonnerons jamais. Il faut simplement savoir que ce qui se joue dans le pardon c'est une partie de notre liberté intérieure.
Commentaires
Le pardon, je dirais que tout dépend des dégâts et si réparation il y a eu. A mon avis, pardonner n'est pas une condition nécessaire pour être libre. Bien sûr, il ne faut pas ruminer, mais être capable de prendre de la distance, et passer à autre chose de positif, notamment en créant.
Et vous John avez-vous pardonné?
"Le pardon, je dirais que tout dépend des dégâts et si réparation il y a eu. A mon avis, pardonner n'est pas une condition nécessaire pour être libre. Bien sûr, il ne faut pas ruminer, mais être capable de prendre de la distance, et passer à autre chose de positif, notamment en créant."
Je suis assez d'accord, mais cela nécessite de bien se connaître pour ne pas tomber dans le piège du positivisme et sous évaluer l'impact de "l'offense".
Au quel cas une somatisation pourrait alors nous le rappeler.
Oui, bien sûr, d'accord, c'est ce que j'entendais par "ne pas ruminer" ou autrement dit ne pas refouler, mais faire un travail sur soi-même pour prendre une distance réelle. On peut aussi "pardonner", mais ne pas oublier. La vie est tellement "vivante", qu'il faut tout faire pour ne pas traîner de boulet (qui peut être mortifère (référence à votre somatisation). J'ai aussi parfaitement conscience que c'est une vision de privilégié. A comparer aussi au concept de résilience.
le pardon ,j'ai pardonné toutes ma vie,ai subi de nombreux revers,et le pire c'est le voisin qui dès 22h fait aboyer exprès son chien à un mètre de mon lit,subtile manoeuvre de destabilisation,j'ai essayé de pardonner,mais comme a dit le Dalai-lama tendre l'autre joue n'est plus d'actualité et il en sait quelque chose,je ne vais tout de même pas demander le pardon pour un humain qui se venge uniquement après avoir eu la visite de la police,aussi à bout de force,n'ayant souvent même plus envie de me coucher,je m'adresse au ciel,disant Seigneur ne pourrait-il arriver quelque chose à cet animal,oh juste une petit bobo,afin que je puisse passer une nuit sereine car être réveillée en sursautant ,cette méthode héritée des camps nazis va m'achever un de ces jours,et pour me rendormir je pense à Anne Frank et les autres ayant vécu pires cauchemards mais c'était dans les années 40,et nous sommes en 2010!Et en Suisse!
@lovsmeralda l'histoire du voisin c'est plus le fait de réagir afin de trouver une solution qu'une histoire de pardon. On peut essayer de pardonner, une fois la chose passée. Mais dans une situation qui dure comme la votre, l'idée du pardon sonnerait comme une résignation.
@johann- Effectivement, il y a des moments où il faut faire délibérément le choix de la vie et laisser les boulets repartir à la refonte.
@ Johann et aoki: tout dépend aussi de la gravité de l'offense. Dans certains cas on peut se passer du pardon et ne pas garder de charge. Dans d'autres non. Johann: non, je n'ai pas (encore?) pardonné. J'y pense régulièrement.
Pardonner n'est en tout pas une chose qui se fait sur commande. Mais il est vrai qu'un jour on ne ressent plus la brûlure de l'offense avec la même douleur qu'au premier jour. C'est dans ce genre de moment qu'on a peut être à faire le choix de rester sur la pente ascendante ou d'entretenir sa rancœur.
Même quand la douleur disparait on a parfois de la peine à accepter qu'une personne a eu ce pouvoir de bouleverser notre vie. Mais la sagesse devrait nous dire que de continuer à entretenir cette pensée continue à déléguer, au présent, ce pouvoir à la-dite personne. Alors qu'elle n'en a peut être même pas ou plus conscience.
Arrive toujours un moment où l'on redevient libre de ce maléfice. Avec pardon ou sans pardon.
"tout dépend aussi de la gravité de l'offense."
Certes, surtout quand l'offense a été relayée par la justice et a duré si longtemps.
"Dans certains cas on peut se passer du pardon et ne pas garder de charge. Dans d'autres non."
Un fois la question du pardon écartée, peut-on apprendre à se décharger? Quel serait concrètement le rôle d'un coach dans cet apprentissage?
"Johann: non, je n'ai pas (encore?) pardonné. J'y pense régulièrement."
A pardonner ou à vous décharger, à tourner la page?
Je pense qu'on peut pardonner et ne pas oublier, mais aussi ne pas pardonner et oublier, c'est à dire cesser de ruminer, tenter d'accepter tout simplement la réalité de ce qui s'est passé et clore le chapitre. Et à propos de chapitre, je me demande si écrire un livre (romancé ou non) ne serait pas un moyen de se décharger finalement.
J'ai en tous les cas l'impression que je fonctionne différemment de vous. Mais ça ne veut pas dire "mieux", simplement différemment. Chacun son truc quoi. Chacun son vécu. J'attache une grande importance à la responsabilité dans ses choix et à l'absence de regrets.