La question alimente régulièrement débats, réflexions et études: la violence vue à la télévision, au cinéma ou dans les jeux vidéo favorise-t-elle le passage à l’acte criminel? Une actualité lue dans le magazine Pour la science de janvier sous la plume de Didier Nordon cite le chiffre suivant: un adolescent aurait vu depuis sa naissance environ 20’000 meurtres sur écran.
L’actu n’explique pas comment ce chiffre est calculé, mais peu importe. Il est énorme. Ce ne serait que la moitié, ou le quart, ce serait déjà beaucoup. Y a-t-il vraiment, à partir des images, une incitation à passer à l’acte? Je ne saurais y répondre quand les spécialistes eux-mêmes sont divisés. Mais deux éléments de réflexion m’interpellent.
D’une part, les éléments statistiques comparatifs entre notre époque et le passé vérifiable montrent qu’il y a moins de criminalité actuellement. Les éléments d’information décrivent les 14e et 15e siècles comme des catastrophes pour la sécurité des personnes. La justice y devient d’une sévérité exceptionnelle. Il n’est que de taper Criminalité au Moyen-Âge sur Google pour disposer d’une abondante information aux sources variées: toutes font état d’une période extrêmement troublée, désorganisée socialement, où le crime fleurissait.
Il semble donc que la société moderne soit plus sûre qu’avant l’apparition de la télévision et des jeux vidéos.
D’autre part, Didier Nordon suggère dans son actu que le patrimoine humain religieux et artistique est abondamment illustré de scènes violentes et criminelles. On pourrait commencer par l’image en usage chez les catholiques de la crucifixion: c’est une banalisation de la violence et de la mise à mort pour des raisons plus que discutables. La foule demandant la mise à mort de Jésus ne semble guère pacifique...
En musique, la culture de la souffrance et de la violence est très fréquente, même si elle est là encore liée à la religion: les Passions du Christ y sont représentées avec beaucoup de lyrisme. On peut encore citer les peintures: le martyre de Saint-Sébastien couvert de flèches, la tête coupée de Jean le Baptiste peinte par le Caravage, le massacre de la Saint-Barthélémy, entre autres. Il y a eu de tous temps une imagerie de l’horreur, certes moins répandue qu’aujourd’hui, mais souvent relayée par les contes et histoires populaires.
Enfin les mises à mort publiques du Moyen-Âge dépassent souvent en cruauté les crimes barbares de notre époque: les faux monnayeurs cuits vivants dans un chaudron sous les cris d’une foule haineuse et excitée de ce spectacle, cela pourrait bien banaliser la violence et justifier la torture dans ce qu’elle de plus extrême.
Il faut noter au passage que ces mises à morts n’étaient pas dissuasives pour les criminels.
Si tous les ados qui voient des crimes à l’écran devaient passer à l’acte, il y aurait une forme suicide de société, ce qui est tout sauf le cas. Que ces morts virtuelles à l’écran inspirent quelques ados déjà fragiles psychologiquement, c’est bien possible. Mais il ne semble pas que l’on puisse généraliser ce fait.
Il serait bien de présenter à l’écran des modèles de compréhension mutuelle, de coopération, de solidarité humaine plutôt que de montrer la face sombre de l’humain. Mais il faut croire que nous n’en avons pas fini avec cette face sombre, ni avec la violence. A commencer par son rapport personnel à la violence: verbale, mentale, physique.
C’est en soi que la violence commence.
Image 1: Andrea Mantegna, Martyre de saint Sébastien. Image 2: Le Caravage, Salomé portant la tête de Jean le Baptiste
Vidéo: Claude Debussy, le Martyre de St Sébastien, prélude.