Admettons que vous ayez déjà bien festoyé à Noël. Le boeuf de la crèche est passé au four et revenu sur la table en grosses tranches bien épaisses et juteuses. Le tout arrosé de... combien déjà de bouteilles de Bourgogne ou de Bordeaux? Plus les pousse cafés. Et encore, en l’honneur de l’esprit religieux à l’origine de la fête et de tous les enfants qui crèvent de faim et de leurs parents noyés en Méditerranée, vous vous freinez. Ce que vous ne mangez pas ce soir-là, vous le donnerez pour leur faire des cercueils décents. Bref, il faut déjà une bonne semaine pour vous en remettre.
Et là commencent les choses sérieuses - ou drôles, c’est selon. Le 31, paf! - ça recommence. Mais cette fois sans plus aucun scrupule ni aucune limite. La nuit de la Saint-Sylvestre vous appartient. Les enfants et leurs parents n’ont qu’à attendre 24 heures pour crever de faim après tout, ou pour se noyer. Ce ne serait quand-même pas juste qu’ils vous gâchent la fête.
Donc vous vous lâchez. ça commence par un apéro costaud, mélange champagne-whisky. Une fois. Deux fois. Et comme ça traîne toujours ces repas du 31, trois fois, quatre fois. Quand les chips arrivent enfin vous êtes déjà vers le phare d’Ouessant.
Et ça cause, et ça rigole, et ça raconte toute les résolutions non tenues pendant l’année. Et chacun crache ses noyaux d’olive avec quelques paroles entremêlées en même temps que l’autre. On commence à parler à son vis-à-vis, et comme il écoute son voisin de gauche, vous continuez votre phrase vers la maîtresse de maison qui passe par hasard avec les bouteilles de rouge à ouvrir et qui ne comprend rien à ce que vous dites. Vous faites alors semblant de recevoir un sms pour vous donner une contenance, quand une clameur annonce que l’on peut passer à table.
Tout cela a donné soif: on continue avec le vin, et pas de la piquette. Mais enfin? Pourquoi n’ont-ils pas ouvert la bouteille à 140.- que vous avez amenée? Un cru exceptionnel? Ils vont se la vider quand vous sera parti. Alors il faut boire encore plus pour faire défiler les bouteille et arriver à la votre. Vous n’avez pas dépensé 140 balles pour ne pas y goûter, nom d’une pipe! Problème: chacun a amené sa bouteille. Plus celles des amis qui vous ont invités. Alors à la 15e (alors que vous êtes 12 à table) vous être franchement en train de ramer au milieu de l’Atlantique.
Le temps passe, minuit arrive: re-champagne, et hop! Et après: des liqueurs, du re-whisky, encore du champ, bref à deux heures vous devez avoir 3 ‰ d’alcool dans le sang et vous êtes cette fois complètement à l’ouest. Vous n’arriver même plus jusqu’au balcon pour entamer votre troisième paquet de clopes, mais comme les autres ont dépassé l’Amérique et sont en route pour le Japon, ils ne voient plus rien. Vous fumez au salon.
Pas de cendrier? Pas grave, vous avez un verre. Une rasade de whisky de plus noie la cendre - pour le mégot, on ne sait pas où il est passé. Peut-être cette grosse cacahuète que vous avez avalé en terminant votre verre?
Bon, j’abrège, je vous passe les odeurs de vomi, et à 5 heures vous appelez un taxi. Vous rentrez avec votre épouse, à peu près dans le même état: à l’ouest bien sonné. Et là, dans le lit, on ne sait par quel miracle, une envie, une grosse envie de câlin. Allez, les yeux fermés, vous mettez environ un quart d’heure pour trouver l’entrée, crac-crac, et dodo. Le lendemain matin vous regardez quand même par précaution: oui, c’est bien votre femme qui est dans votre lit, pas celle du couple ami où vous avez passé la soirée.
Et 9 mois après, particulièrement le 23 septembre: Ouiiiiiinnnn! Ouiiiiiiiinnnnn! Un bébé naît. Ah, les bébés de l’amour, conçus en pleine conscience et dans des conditions paradisiaques... Plus tard vous vous étonnerez qu’il finisse vos verres alors qu’il n’a que 8 ans, mais vous n’y êtes pas encore.
Oui, en France le pic des naissances est en septembre, surtout le 23. Les spécialistes invoquent justement la nuit du réveillon, qui réveillerait nos ardeurs. Et puis à nouvelle année, nouveau bébé!
Bon, moi j’aurais quand-même attendu d’être dégrisé. Mais enfin, quand la belle animalité du mâle s’active sur celle de la femelle et que l’on se prépare à repeupler l’Europe, on ne fait pas la fine bouche. On y va!
Banzaï!
... et on se dépêche parce que vu l’état, ça risque de retomber assez vite...
Les bébé du 23 septembre, ça tient un peu du miracle. Mais vu ce que leurs parents ont avalé avant de les concevoir, on se demande si le miracle est bien opportun.