Je me souviens exactement où j’étais le 10 mai 1981: à la campagne avec ma compagne. Il y avait peut-être aussi des amis, de cela je ne me souviens plus. Nous avons écouté le résultat de l’élection à la radio de la voiture. Et dans ce soleil qui caressait les champs de colza et de petits-pois, ou de je ne sais quoi, nous avons sauté de plaisir.
Giscard de cire
Giscard d’Estaing avait déçu. Trop déçu. Ce conceptuel prometteur, qui se permettait d’aller prendre le petit-déjeuner avec les français tôt le matin, s’était lentement figé. De cet homme dynamique et souriant, une autre image émergeait peu à peu. La bouche s’est resserrée, le chhh s’est accentué, le maniérisme ressemblait à une énorme constipation. Je me souviens surtout de la fin de son mandat quand il était empêtré dans l’affaire des diamants de Bokassa. On aurait dit une statue de cire du musée Grévin. Que d’erreurs. Et je me souviens de ce dernier discours, cette amertume, cette baffe, et ce départ raide vers les coulisses. Quelle mauvaise mise en scène avec cette Marseillaise sur une pièce vide, cette chaise seule comme porteuse d’un fantôme. Cette scène reste dans ma mémoire comme le pire ratage de communication politique que j’aie vu. A part peut-être Ségolène Royal au Zénith.
Mitterrand ne pouvait que décevoir. Trop de fantasmes étaient projetés sur lui. Trop d’attente. L’homme providentiel ne l’est, providentiel, que pendant un temps. Il l’avait été pour basculer la majorité politique. Aidé il faut le dire par Giscard qui s’enlisait dans l’affaire. Et puis très vite ce pouvoir est devenu un pouvoir comme un autre. Il y a eu des points positifs. Mais pas de révolution. Mai 68 avait pompé l’énergie révolutionnaire pour des décennies car elle déplaçait le paradigme révolutionnaire: la lutte des classe cédait le pas à une refonte de l’humain et à la lutte anti-autoritaire. Et puis la machine économique avait besoin d’être soutenue, pas dépecée. L’autogestion n’avait pas ouvert de voie viable.
Il y a eu l’affairisme et un libéralisme économique mal assumé. La gauche a tenté de réconcilier les français avec l’argent. On a compris qu’il fallait des capitaux pour lancer une affaire, et que cette capitalisation était le fait de l’économie privée. La gauche n’a pas réglé l’injustice sociale. Pouvait-elle le faire? L’égalitarisme n’avait jamais marché. Il s’était inévitablement transformé en une délégation de pouvoir vers une oligarchie d’Etat et une dictature. Mitterrand savait très bien que ce n’est pas possible. Que l’économie n’y survivrait pas.
De l’aphonie à l’abandon
A défaut de cette égalité économique, pouvait-on au moins moraliser les relations de travail, combler cette fosse qui sépare le monde du travail et le monde de l’argent? La France avait un handicap sur ce point: un rejet mutuel dans les classes sociales qu’il n’y a par exemple pas en Allemagne. Il faut dire qu’au 19e siècle la condition ouvrière déjà très dure était doublée d’un mépris affiché. Sous Mitterrand cette société de classes s’était diluée et recomposée sans qu’aucune théorisation ne puisse, encore à ce jour, la rendre de manière complète et dynamique. La gauche devenait aphone. Ce n’est pas par hasard qu’un marxiste célèbre, un penseur phare de notre époque, orientera peu à peu sa réflexion vers la complexité du monde et sèmera les graines d’une nouvelle théorisation et d’un nouveau fonctionnement mental encore à faire: Edgar Morin.
Je n’étais pas socialiste, d’ailleurs je n’avais de carte à aucun parti. J’étais centre-gauche. Je regardais avec bienveillance cette gauche-là, qui semblait apporter de l’air frais en politique. Mais il y a eu le Rainbow Warrior. Ce fut le choc: Mitterrand avait commandité un tel acte, avec un mort à la clé. Il y a eu les écoutes téléphoniques ordonnées par un président devenu paranoïaque. Et il y a eu Bérégovoy. L’homme de gauche le plus emblématique à mes yeux. Cet ouvrier parti d’en bas, et arrivé si haut. Et sali, assassiné par la rumeur et la diffamation. Je sais personnellement les dégâts que font la rumeur et la diffamation. Si l’on s’en sort la réparation est très longue. Lui ne s’en est pas sorti. Lui mort ses assassins couraient toujours, comme souvent dans ces cas-là. Bérégovoy, lâché par Mitterrand avant qu’il se suicide. L’abandon de Béré illustrait l’abandon des idéaux. Le président défendeur d’une éthique en devenait le fossoyeur.
Mitterrand, par son cynisme, a montré qu’en politique il ne faut pas rêver. Heureusement car quel candidat-e aujourd’hui à gauche aurait le charisme et le talent pour refaire ce que Mitterrand a fait? DSK? Un grand bourgeois autoritaire. Aubry? Le maternalisme du «Care» ne suffit pas à faire une vision du monde. Hollande? Nounours a beau parler plus lentement et essayer de ressembler à Mitterrand, la copie manque d’encre. Royal? Pour avoir un mix de Coluche et de la mère fouettard à l’Elysée? Mélanchon? Un arriviste. Les autres? Lesquels? Lesquels sont à la hauteur d’un tel destin? Lequel en veut assez pour y arriver? Lesquels parmi ceux qui n’en finissent pas de vivre au passé, qui vont de commémoration en commémoration de la seule figure forte de gauche ces 40 dernières années: Mitterrand.
Le faire-part de décès
Commémoration au cimetière à Jarnac cet hiver. Commémoration de l’élection aujourd’hui. Comme si le culte d’un mort allait spontanément générer un gagnant, une vision, une pensée politique. Pauvre gauche, qui voit les ouvriers voter pour Sarkozy ou Le Pen plus que pour elle. Et qui ne se pose pas plus de questions. Se rend-elle compte, cette gauche, que ses commémorations sont comme le faire-part de sa propre mort? Cette gauche qui a perdu la main sur l’Europe, sur l’intégration, sur les thèmes sociaux actuellement porteurs. Elle gagnera peut-être en 2012. Et qu’en fera-t-elle? Je n’ose y penser. Entre le dogmatisme de Royal, l’argenterie de DSK, les babouches du Care d’Aubry et le regard qui ne regarde plus de Hollande, le nombre ne remplit pas le vide.
Depuis j’ai viré ma cuti de la part de gauche qui m’habitait. Indépendant, j’ai vu que je ne devais compter que sur moi-même. Et puis la gauche s’est mise à genoux devant le féminisme radical le plus belliqueux, et participe trop à la déconstruction du masculin, thématique sociétale en émergence qui deviendra un problème majeur d’ici 50 à 100 ans. Ce féminisme que j’avais soutenu à 20 ans. Ce féminisme dont je connais trop bien les dégâts. La lutte des classes est devenue la lutte des genres, et en tant qu’homme je suis forcément une cible. Alors, impossible. Fini. Il m’a fallu accepter d’être orphelin politiquement, en défendant la liberté et ceux qui la défendent.
Orphelin mais libre. Inféodé à personne. Emmerdeur et rêveur, menant mes batailles, surfant sur des débats qui dérangent, sortant des rails du clivage habituel. Cherchant sur quoi fonder une nouvelle vision du monde. Et après avoir été opéré d’un cancer du pancréas, en sursis, forcément en sursis, peut-être pour 20 ans en sursis, et donc forcément encore plus libre dans ma tête. Le temps qu’il faut pour continuer à digérer les grands symboles du siècles dernier: l’Homme sur la Lune. Les camps de concentration. La chute du mur de Berlin. 68 et le début de la fin de l’autorité abusive. Entre autres.
Un peu de nostalgie pour finir. Un rappel d’une chanson de Colette Magny, une chanteuse extraordinaire, très engagée à gauche, une chanson que j’écoutais gamin: Mélocoton
Commentaires
Merci pour cette note. Elle m'a permis de mieux comprendre cet "anniversaire mortuaire", sur fond de déprime Sakozyste.
un texte nul et insultant
Mais non Sancho, juste un témoignage personnel bien imagé, une mise en perspective entre l'évolution de l'histoire politique française et une trajectoire personnelle.
Je ne sais pas pour qui ou quoi vous militez, mais vous devez être bien embrigadé pour réagir de la sorte.
Tout à fait d'accord aoki.
C'est l'histoire personnelle de l'auteur avec un évènement et ses suites. Un texte correct qui n'a rien d'insultant. A moins qu'il soit insultant pour certains de dire qu'on a été déçu par l'ancien titulaire de la francisque, organisateur de faux attentat et devenu président.
oui non mais et alors?
on est en Suisse ou pas? et pas obligés d'encenser les ex français!
Bob Marley a fait plus et continue de le faire pour l'humanité - c'est ce que font les artistes,
que cet opportuniste, collaborateur en ses temps, qu'était Mitterand... pitié pour sa femme!